Cher Commissaire Européen à l'agriculture et au développement rural,
vous êtes invité au Burkina pour y rencontrer les producteurs de lait.
Ils vous aideront à comprendre l'impact de la Politique Agricole
Commune de l'Europe sur la vie de leurs familles...
Le 2 juin 2017, vous avez publié sur votre blog un article intitulé “Défaire les mythes selon lesquels la Politique Agricole Commune (PAC) nuirait aux agriculteurs des pays en développement” 1. La rhétorique de la Commission semble ne pas voir bougé à ce sujet depuis1992.
La boîte verte de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – qui permet à l’Union européenne (UE) et aux autres pays riches de soutenir sans limitation leurs agriculteurs par des subventions découplées de la production – permet à ces pays d’exporter des produits agricoles à des prix inférieurs à leurs coûts moyens de production. En conséquence, les pays en développement, qui ne peuvent subventionner leurs nombreux agriculteurs, souffrent des impacts négatifs des importations à bas prix en provenance de l’UE et d’autres pays.Cette pratique déloyale a été rendue possible par la définition biaisée du dumping fournie par le GATT2, confirmée ensuite par l’OCDE3 et l’OMC, qui considèrent qu’il n’y a pas de dumping tant que les exportations sont faites au mêmes prix que ceux payés aux producteurs sur le marché intérieur, même si ces prix sont inférieurs aux coûts de production moyens du pays exportateur. Les objectifs suivants ont été au coeur des réformes PAC depuis 1992: réduire les prix agricoles sur le marché européen et abaisser ces prix vers les niveaux
du marché international, de telle sorte que l’UE n’a plus besoin de faire appel aux subventions à l’exportation, et que son industrie agro-alimentaire a moins besoin d’importer. Les paiements directs découplés aux agriculteurs de l’UE, en compensant ces prix plus bas, leur ont permis d’exporter à des prix inférieurs aux coûts de production moyens européens, avec exactement le même effet que les subventions à l’exportation vis à vis des agriculteurs des pays en développement.
Le Commissaire Phil Hogan devrait savoir que les producteurs de lait africains ne peuvent concourir face aux excédents à bas prix de poudre de lait exportés par les grandes laiteries, privées ou coopératives, de l’UE. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: le total des subventions directes et indirectes aux produitslaitiers UE exportés vers l’Afrique de l’Ouest s’est élevé en 2016 à 169 millions d’Euros, avec une subvention moyenne de 67,4 Euros par tonne d’équivalentlait, et un taux moyen de dumping de 21% par rapport à la valeur européenne de ces exportations, pour un total de 2,5 millions de tonnes d’équivalent-lait, dont 2,1 millions de tonnes de lait en poudre. En résumé, pour les producteurs africains, que les importations à bas prix soient rendues possible par la boîte rouge, jaune, bleue, ou verte dans laquelle les subventions UE sont notifiés à l’OMC, importe peu. Ce qui compte pour eux, est qu’ils ne peuvent gagner leur vie lorsqu’ils sont en compétition forcée avec des produits importés hautement subventionnés. Boîte verte = blanchiment du dumping. Pour garantir aux producteurs européens et africains un revenu digne et équitable, ainsi qu’un accès stable à leur marché intérieur, les règles du commerce international agricole (OMC, 1994) doivent être modifiées, et basées sur le principe de souveraineté alimentaire4. Cela signifie que le DEVOIR de ne pas exporter à des prix inférieurs aux coûts de production moyens du pays exportateur doit aller de pair avec le DROIT d’établir des droits de douane pour les produits importés à des prix trop bas (même en l’absence de dumping de la part du pays exportateur). A notre point de vue, la priorité de la politique agricole commune de l’UE ne doit pas être d’exporter des produits à bas prix, mais de nourrir sa population.
Nouveau Signataire: Maurice Oudet, président du Sedelan(Services d'Edition en Langues Nationales).
Signataires:
Jacques Berthelot, économiste agricole (F)
Gérard Choplin, analyste indépendant, politiques agricoles et commerciales (B)
Priscilla Claeys, Senior Research Fellow, Centre for Agroecology, Water and Resilience, Coventry University (UK)
Guillaume Cros, Vice-Président du Conseil régional d’Occitanie, Rapporteur du comité européen des régions pour son avis sur la PAC après 2020
Thierry Kesteloot, Policy advisor, Oxfam-Solidarité (B)
Niek Koning, économiste agricole (NL)
Jean-Christophe Kroll, professeur émérite, économie agricole, AgroSupDijon, (F)
Virginie Pissoort, Policy officer, SOS Faim (B)
Aurélie Trouvé, Professeur-chercheur à AgroParisTech (F)