Les producteurs de la Vallée du Sourou privée d'eau, à leur insu,
au profit des travaux d'aménagements de nouveaux hectares par le MCA-BF

Le jeudi 7 juin 2012, je me suis rendu à Niassan (vallée du Sourou), à l'invitation de M. Bitié Valentin, président de l'Union des Coopératives Agricoles du Sourou (UCAVASO). Il voulait me montrer dans quel état étaient les rizières de "sa vallée", celle du Sourou; spécialement celles des villages de Niassan et de Débé. C'est avec stupéfaction que j'ai découvert un spectacle de désolation. De très nombreux champs de riz sont frappés par la sécheresse. Des bœufs se promènent librement dans les parcelles initialement irriguées, mais où l'herbe des rizières est déjà sèche. Ces champs n'ont pas donné de riz, seulement un peu d'herbe pour le bétail.

 

D'où vient une telle sécheresse alors qu'à Noël la vallée du Sourou regorgeait d'eau ?

Rien ne laissait présager un tel désastre. C'est devant une foule enthousiaste que, le 17 décembre 2011, le chef de l’État, Blaise Compaoré, a procédé au lancement des travaux d'aménagement des périmètres irrigués de Dî, dans le cadre du projet «  Développement de l'agriculture ». A Dî, il s'agit du volet « Eau et Agriculture » du projet du Millennium challenge account-Burkina Faso (MCA-BF), financé par le Millenium challenge corporation des États-Unis (MCC). Il est prévu dans ce projet l'aménagement de 2033 hectares irrigués sur la commune de Dî.

 

L'eau baisse, les plus fortunés vont louées des pompes pour récupérer le peu d'eau qui reste à leur portée !Les troupeaux de zébus broutent la paille de riz Mais voilà que dès la mi-janvier les agriculteurs de la vallée du Sourou s'aperçoivent que l'eau du Sourou baisse plus rapidement que d'habitude. Se rendant au Barrage de Léry (qui retient l'eau pour qu'elle ne s'écoule pas vers le Mouhoun), ils découvrent que les vannes laissent couler l'eau avec force. Inquiets, ils alertent aussitôt les responsables de « l'Autorité de Mise en Valeur de la vallée du Sourou » (AMVS).

L'AMVS va alors rassurer les producteurs, leur disant de ne pas s'inquiéter, que l'eau ne va pas manquer, et donc de poursuivre leurs travaux (riz et maïs "Bondofa"). Les producteurs se sont donc engagés dans les travaux de la "campagne sèche", la campagne irriguée grâce à la seule eau du Sourou : préparation des sols, semis, repiquage... Ils ont engagé de fortes dépenses pour l'engrais, le carburant (pour les pompes)...

Le 28 avril, la situation est déjà dramatique, si bien que le président de l'UCAVASO convoque une réunion de toutes les coopératives avec pour seul ordre du jour : "Le manque d'eau sur les périmètres irrigués". Au cours des échanges, il est ressorti que certaines stations de pompage n'arrivent plus à pomper l'eau pour alimenter les parcelles de productions.

On s'interroge : Que vont devenir les producteurs de la vallée du Sourou en cette campagne sèche ?

Les coopératives CANI (de Niassan, 500 ha) et CAD (de Débé, 475 ha) semblent les plus atteintes, car l'eau s'est retirée entièrement des visses sans fin de leurs stations de pompage. La plupart des parcelles de maïs sont déjà brûlées. Les autres le seront une semaine plus tard.

Au cours de cette réunion du 28 avril, il a été recommandé de recenser les superficies totales emblavées par chaque coopératives et les superficies endommagées. C'est ainsi que lors de mon passage à Niassan, il m'a été communiqué les résultats suivants :

Pour la coopérative de Niassan (CANI – 500 ha) :

- Surface emblavée en riz : 179 ha ; surface où le riz n'est pas arrivé à mâturité par manque d'eau : 112 ha.
– Surface emblavée en maïs (Bondofa) : 84 ha ; surface où le maïs a brûlé par manque d'eau : 40 ha.

Pour la coopérative de Débé (CAD – 475 ha) :

- Surface emblavée en riz : 225 ha ; surface brûlée : 175 ha.
- Surface emblavée en maïs (Bondofa) : 174 ha ; surface brûlée : 75 ha

Il est facile d'estimée les pertes subies par chacune des coopératives. Nous avons fait un bref calcul sur la base suivante : rendement des surfaces emblavées en riz : 5,5 tonnes à l'ha (chiffre habituellement retenu par la SONAGESS) ; rendement du maïs : 3 tonnes à l'hectare. Prix de vente du riz paddy : 175 000 F la tonne. Prix de vente du maïs : 120 000 F la tonne.

Ce qui nous donne :

  • perte subie par la coopérative CANI : 122 200 000 F
  • perte subie par la coopérative CAD : 195 437 500 F

Total pour les deux coopératives : 317 637 500 F . Ce qui est considérable. Sans compter que ces deux coopératives ne sont pas les seules à avoir subies des pertes à cause du manque d'eau.

Deux vannes sont encore ouvertes, l'eau continue à baisser, et les producteurs "à pleurer"Les travaux continuent, l'inquiétude est grandissante chez les producteursQui va payer ? Peut-être le Millénium Challenge Account-Burkina Faso (MCA-BF), à l'origine de ce manque d'eau. Son budget s'élève tout de même à près de 64 milliards de francs. Il serait injuste de faire payer les producteurs de la vallée qui n'ont même pas été avertis que les travaux nécessitaient de faire baisser considérablement le niveau d'eau de la retenue de la vallée.

Début juin, deux vannes sont toujours ouvertes au barrage de Léry et les travaux d'aménagement des 2033 hectares continuent comme si le manque d'eau pour les producteurs de riz n'était pas un problème. Mais pour les producteurs, la situation est vraiment désastreuse. Ils ne comprennent toujours pas pourquoi ils n'ont pas été avertis à temps. Ils ont en train d'estimer leurs pertes, avec l'intention de présenter la facture à l'AMVS en vue d'un dédommagement (par le MCA-BF ?).

Cela ne serait que justice !

Niassan, le 7 juin 2012
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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