Parole de paysan au sujet du jatropha : « Il n'y a pas de bénéfice dedans ! »
De passage à Boni, le 8 février 2012, ayant appris que la société Agritech avait commencé à acheter les graines de jatropha, je me suis arrêté pour en savoir un peu plus. Je pensais bien que j'aurais du mal à trouver des paysans enthousiastes. Mais ce que j'ai vu dépasse tout ce que je pouvais imaginer.
Pour commencer, un paysans m'a invité à prendre la route de Bansié, village au nord de Boni. J'ai découvert un spectacle de désolation : une plaine calcinée (voir la photo ci-contre). Le mécontentement envers la société Agritech est tel que le feu a été mis dans une de ses plantations de jatropha.
Parmi les mécontents, on trouve des employés de la société Agritech qui se plaignent de ne pas avoir été payé pendant plusieurs mois (ils ont finalement été payé entre le 9 et le 11 février, après mon passage), comme des paysans qui ont le sentiment d'avoir été trompé. On leur a fait croire que la culture du jatropha allait être rentables pour eux. Or il n'en ai rien ! Ils ont le sentiment d'avoir été pris dans un piège et d'être les victimes d'une vaste escroquerie.
Ce que j'ai vu, en effet, a toute l'apparence d'une escroquerie.
C'est ainsi qu'un paysan m'a conduit dans ses champs. Un joli domaine, où il a planté une mangueraie et où il fait un peu de maraîchage. Derrière sa mangueraie, il a un vaste champ de maïs. A l'écoute des animateurs de la société Agritech et de son « projet jatropha », il s'est dit que le jatropha allait lui permettre d'augmenter ses revenus. Il a donc décidé de consacré un hectare de son champ pour y planter des pieds de jatropha. Ses terres étant bonnes, il obtient ainsi une des plus belle plantation de jaropha de la commune de Boni. Cette année, ses jatrophas (plusieurs centaines) âgés de 3 ans ont donc produit leurs fruits. La cueillette de ses fruits a demandé plus d'un mois de travail. En effet, il ne suffit pas de cueillir les fruits, il faut en extraire les graines. Une fois écartée la capsule des fruits, vous obtenez trois graines. Mais ces graines sont très légères ! Si bien qu'à la fin, il n'a récolté qu'un sac de graines qui ne lui a rapporté que 4 000 F à raison de 60 F le kilo.
C'est ainsi qu'à la fin de sa démonstration, le paysan nous a présenté des graines de jatropha (voir la photo ci-contre) en nous disant :
« Il n'y a pas de bénéfice là dedans ! »
J'ai cherché à savoir si certains producteurs n'ont pas gagné plus à l'hectare. Il m'a été répondu que certains ont obtenus deux sacs à l'hectare, mais que cela ne dépassait pas les deux sacs à l'hectare.
Comme on peut faire deux récoltes par ans, ils semblent que la culture du jatropha, payée 60 F le kilo, rapporte entre 8 000 F et 16 000 F à l'hectare.
A comparer au prix du maïs. Ce jour-là, le sac de maïs se vendait à 15 000 F. Or sur cet hectare, ce paysan récoltait auparavant 18 sacs de maïs. Soit les 18 sacs à 270 000 F. Mais à Boni un bon producteur de maïs fait facilement 25 ou 30 sacs de maïs à l'hectare. Si on déduit les différents frais (notamment herbicides et engrais) à Boni, la marge bénéficiaire d'un hectare de maïs se situe entre 200 000 F et 300 000 F.
D'autres ont cultivé du soja. Les meilleurs producteurs ont obtenu un rendement de 2 tonnes à l'hectare, avec très peu de frais. Or, le jour de mon passage à Boni, le kilo de soja dépassait les 300 F. Cette récolte de soja, est souvent valorisée par les femmes qui transforment le soja en soumbala, doublant ainsi les revenus de la famille. C'est ainsi qu'une famille de Boni qui cultive un hectare de soja peut obtenir un revenu de 300 000 F à 500 000 F si elle transforme une partie plus ou moins grande de sa récolte en soumbala. Sans compter que le soja est une excellente nourriture et le jatropha du poison !
A Boni, il semble que les paysans ont enfin compris qu'ils n'avaient rien à gagner avec la culture du jatropha. Comme le paysan que nous avons rencontré, ils disent, en parlant du jatropha :
« Il n'y a pas de bénéfice dedans ! »
Et ils en tirent les conséquences : nombreux sont ceux qui ont commencé ou même achevé de couper leurs arbres de jatrophas (voir les photos ci-contre) pour revenir à une culture plus utile et plus rentable comme celles du maïs, du niébé, ou du soja...
Arrêtons de dire que la culture du jatropha offre une opportunité pour faire reculer la pauvreté du monde rural burkinabè. Prenons plutôt le temps d'analyser l'exemple que nous donne le « projet jatropha » de Boni pour en tirer les conséquences.
Koudougou, le 12 février 2012
Maurice Oudet
Président du SEDELAN