Observateur attentif du monde rural et de ses organisations paysannes, je voudrais, par cette lettre, interpeller les députés burkinabè et les inviter à relire la « loi 14 ». De quoi s'agit-il ? Quand un leader paysan vous parle de la « loi 14 », il vous parle de la loi N° 014/99/AN portant réglementation des sociétés coopératives et groupements au Burkina Faso. Elle est datée du 15 avril 1999. Elle a donc plus de dix ans. Il est temps d'en faire une évaluation.
Prenons un exemple fictif (mais souvent la réalité dépasse la fiction !) : Un groupement d’une vingtaine de femmes décide de s’organiser en coopérative. Ce groupement coopératif, une fois reconnu, sera régi par la loi 14. Parmi les femmes qui composent cette nouvelle coopérative, trois sont alphabétisées (ce qui correspond exactement à la moyenne nationale, où, dans le monde rural, 85 % des femmes sont analphabètes. Tout naturellement, ces trois femmes seront élues au conseil de gestion (l’organe d’exécution de la société coopérative, selon la loi 14). On peut imaginer que l’une soit élue présidente, une autre secrétaire et la troisième trésorière. Quand elles auront terminé leur mandat, que va-t-il se passer ? Que dit la loi ?
Article 45 : Le mandat des membres du conseil de gestion est de trois ans renouvelable une fois.
Article 46: Le conseil de gestion élit parmi ses membres un président, un trésorier et un secrétaire par scrutin secret.
La loi nous dit aussi que lorsqu’un membre de la coopérative a fait six ans au sein du conseil de gestion (même en assumant différentes fonctions), il doit se reposer au moins trois ans.
Retournons à notre coopérative féminine. Imaginons qu’une des femmes alphabétisée ait assumée le rôle de trésorière pendant 3 ans, puis de secrétaire également pendant 3ans. Comme, dans ses deux postes successifs, elle a bien fait son travail, tous les membres de la coopérative la choisissent pour présidente !
Eh bien, c’est interdit par la loi ! Elle a fait 6 ans au conseil de gestion (comme les deux autres femmes scolarisées). La coopérative devra se choisir un conseil de gestion d’analphabètes !
Pourtant, comment mieux se préparer à son futur rôle de président d’une coopérative qu’en assumant plusieurs fonctions à l’intérieur du conseil de gestion, pour enfin être susceptible d’être choisi par les membres de la coopérative comme président ?
On peut aussi se demander pourquoi la loi ne donne pas au président la chance d’être élu par l’ensemble de ses membres ?
Pourquoi la loi burkinabè est-elle si restrictive envers les paysans ? On peut se le demander.
Je connais, entre autre, un paysan qui a fait 6 ans comme trésorier, puis il s’est reposé quelques temps (mais moins de 3 ans, comme le demande la loi 14). Le président de sa coopérative ayant accompli un mandat de 3 ans, fatigué, a souhaité se retirer. Les coopérateurs sont venus à plusieurs reprises demander à notre ancien trésorier de le remplacer. Il a fini par accepter. À l’Assemblée générale de la coopérative, il a été élu président avec une très large majorité. Quand l’administration vient dire à l’intéressé et aux coopérateurs qu’il n’a pas le droit d’être président, les coopérateurs ne comprennent pas !
De fait, c’est difficile à comprendre ! Les coopérateurs savent bien que la coopérative leur appartient, que si elle est mal gérée, personne ne viendra à leur secours. Mais quand ils choisissent les personnes les plus capables d’assurer une bonne gestion, on vient leur dire que la loi ne le permet pas. Qu’il vaut mieux mettre à la tête de leur coopérative des analphabètes plutôt que de ne pas respecter la loi. Je ne connais pas une seule entreprise qui accepterait de fonctionner sur le modèle de la loi 14.
Il est temps de revoir cette loi. Le Burkina a besoin d’une agriculture forte, et donc de leaders paysans efficaces, honnêtes et bien formés. Il faut leur donner l’occasion de se former dans leur structure de base en assumant, successivement, plusieurs fonctions.
Le président d’une coopérative a besoin d’autorité. Pourquoi ne serait-il pas élu directement par les membres de l’assemblée générale de son organisation? De même le secrétaire et le trésorier.
Que le mandat du président, du trésorier et du secrétaire soit de trois ans, renouvelable une fois, très bien. Mais il faut qu’un élu puisse rester plus de six ans au sein du conseil de gestion, mais avec des fonctions différentes, et donc des mandats différents (trésorier, secrétaire, président).
Encore une fois, le Burkina a besoin d’une agriculture forte, et donc d’organisations paysannes fortes.
Messieurs les députés, pour la plupart, vous avez été élus par les paysans. Relisez cette loi 14. Informez-vous. Consultez les leaders paysans de votre circonscription. Proposez les amendements qui permettront de faire émerger les leaders paysans de demain. Les organisations paysannes seront alors plus fortes et mieux gouvernées. Et c’est l’ensemble du pays qui se portera mieux.
Koudougou, le 6 avril 2010
Maurice Oudet
Président du SEDELAN