Le bâton de vieillesse


Cet article fait suite au deux précédents numéros d'abc Burkina. Le premier était intitulé « Démographie et conflits fonciers » , le second « Développement durable et conflits fonciers familiaux » . Aujourd'hui, nous allons poursuivre notre réflexion, à la lumière d'un des résultats du dernier recensement du Burkina (de décembre 2006) : le nombre moyen d'enfants par femme est de 6,2 au niveau national et de 6,7 en milieu rural (4,6 en milieu urbain). Que faut-il en penser ?

Il ne suffit pas de dire : « Vous êtes trop féconds. Arrêtez pendant qu'il est temps. » (Titre d'un article de l'Observateur Paalga du 20 novembre , qui reprenait sous forme de citation les propos de la représentante-résidente de la Banque mondiale au Burkina, Madame Galina Sotirova) le jour de la présentation des résultats du recensement du Burkina le 18 décembre 2008.

Il faut essayer de comprendre d'où vient ce taux si on veut élaborer une politique qui tienne compte de cette réalité, et qui soit également susceptible d'être entendue par les populations rurales.

Dans les années 60 et 70, le nombre moyen de naissance par femme rurale était de l'ordre de 8. Mais la moitié des enfants nés vivants mourait avant d'atteindre l'âge de 5 ans. Je l'ai vérifié encore en 1974 sur un échantillon, en arrivant à Kiembara. J'ai consulté le registre des baptêmes d'enfants : la moitié des enfants baptisés ayant atteint l'âge de 5 ans étaient décédés.

La retraite n'existait pas ! (Elle n'existe toujours pas pour les agriculteurs ou les éleveurs du Burkina). Aussi, une des grandes préoccupations d'un couple de paysans était (et est encore !) de s'assurer « son bâton de vieillesse », c'est à dire un fils qui se marie, mais aussi qui reste auprès d'eux (et donc sur lequel on peut s'appuyer, comme sur un bâton). Et pour cela, on pouvait dire que mettre au monde huit enfants était raisonnable ! Même si ce n'était pas calculé comme je le fais actuellement. Huit naissances, c'était en moyenne 3 à 4 enfants qui allaient se marier au village, dont un ou deux garçons. Sachant que les filles vont quitter la famille pour se marier, huit naissances, c'était la garantie d'avoir un fils auprès de soi dans sa vieillesse, son bâton de vieillesse.

Aujourd'hui, heureusement, la situation a changé. Le taux de mortalité infantile n'est plus de 50 %, mais de 8,6 %. Et donc quatre enfants nés vivants, aujourd'hui, le plus souvent, c'est quatre enfants qui atteindront l'âge du mariage. C'est pourquoi, pour les parents, avoir quatre enfants, c'est bien, le plus souvent, l'espoir fondé d'avoir, au temps de la vieillesse, un enfant marié auprès d'eux : leur bâton de vieillesse !

Ce qui a considérablement changé, c'est également le nombre des écoles. Rares sont les villages éloignés d'une école primaire. Il est donc beaucoup plus facile d'offrir l'école primaire à ses enfants. Les collèges sont de plus en plus nombreux. Mais là, les frais de scolarité restent encore un obstacle. Les paysans ont du mal à mettre plusieurs enfants au collège ou au lycée. Pourtant, c'est ce que souhaite la plupart des parents du monde rural.

Inutile de dire aux foyers ruraux : « Vous êtes trop féconds ! Il est temps d'arrêter ! ». Mais il est sans doute possible de leur dire : « Les temps ont changé. Si vous choisissez d'avoir trois ou quatre enfants, vous pourrez veiller sur leur santé. Vous pourrez les scolariser tous. Vous aurez un fils qui restera près de vous, qui pourra cultiver les terres que vous lui laisserez; et d'autres enfants, proches ou éloignés, mais qui pourront aussi vous aider quand vous serez devenus vieux. »

Koudougou, le 28 janvier 2008
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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