Le gouvernement burkinabè va-t-il s'emparer, à vil* prix, de la production nationale de riz ?
La confrontation semble inévitable. Il y a une semaine, nous vous avons rendu compte du lancement de la « Campagne Justice Economique ». A cette occasion, les producteurs de riz et les femmes étuveuses ont donné leur point de vue sur la commercialisation de la production locale de riz. Le Ministère de l'Agriculture, invité, n'a pas daigné honorer l'invitation. On peut le comprendre. Lui aussi a son idée sur cette commercialisation. Ses propositions sont très éloignées de celles des producteurs et des femmes étuveuses.
Avant de présenter la position du gouvernement, en complément de l'abc Burkina n° 302 nous vous proposons le message des femmes étuveuses. Il a été lu à Bama, le 16 octobre 2008, par Madame Ramata Soré, la Vice-Présidente de l'Union des étuveuses, qui s'est présentée brièvement avant de lire le message. Elle s'est présentée comme mère de famille dont les enfants vont à l'école, comme pour dire qu'elle a besoin de revenus pour payer la scolarité de ses enfants.
Message des femmes étuveuses :
« Nous avons vécu des années difficiles où personne ne voulait acheter le riz paddy de nos maris. C’est nous les femmes qui, par notre travail, en étuvant notre riz, avons réussi à le vendre, car tout le monde le trouvait très bon. Nous vous invitons à consommer davantage notre riz.
Notre riz part même au Mali ! Mais nous avons dû travailler dur, avec nos simples marmites.
Aujourd’hui, nous sommes heureuses car nous voyons que tous s’intéressent à notre riz. Avec un peu d’aide, nous pouvons faire plus et mieux.
Nous pouvons faire plus, car nous sommes organisées à Bama, Bazon, Mogtédo, Sourou, Bagré. Nous voulons transformer tout le riz paddy des plaines et, avec votre appui, nous pouvons le faire. Nous avons seulement besoin d’un vrai appui.
a) Nous ne voulons pas voir sortir un seul kilo de riz paddy de notre plaine, comme autrefois un seul épi de mil n’avait pas le droit de sortir de notre village ! Pour cela, nous voulons un prêt qui nous permette d’acheter tout le riz paddy, de le stocker (ce sera notre garantie pour obtenir le prêt). Nous rembourserons ce prêt par un versement chaque semaine, qui nous donnera le droit de sortir la quantité de riz correspondante. Nous étuverons ce riz. Nous vendrons ce riz étuvé. Nous pourrons alors faire un nouveau versement et continuer à travailler. Le bénéfice servira aux besoins de nos familles…
b) Pour étuver tout le riz paddy et faire un riz de qualité, nous avons besoin de plusieurs étuveuses modernes. Ces étuveuses nous permettront de transformer plusieurs tonnes de riz paddy par jour. Si en plus, nous pouvons disposer de trieuses, d’aires de séchage, de bâches, de jolis sacs où il sera écrit clairement qu’il s’agit du riz de Bama étuvé par notre association, nous sommes sûres que bientôt tout le Burkina voudra goûter notre riz !
Si nous payons le riz paddy à 175 F le kilo, nous vous garantissons un très bon riz, pour 340 F le kilo. Aidez-nous seulement à obtenir des moyens de travailler dignes du Burkina d’aujourd’hui. »
Quelques propositions du gouvernement.
Ces propositions sont extraites d'un document qui émane du Ministère de l'Agriculture. Ce document s'intitule : « Note d'information sur les modalités d'organisation de la commercialisation du riz produit au titre de la campagne 2008/2009. »
1. Bonne nouvelle : Pour la première fois, le gouvernement parle de fixer un prix plancher pour le riz paddy.
2. Mauvaise nouvelle : Alors que les producteurs demandent un prix plancher à hauteur de 175 F CFA, le gouvernement veux imposer un prix plancher à hauteur de 115 F CFA.
Que veut dire ce prix plancher quand le gouvernement, dans le même document, reconnaît qu'actuellement les producteurs vendent déjà leur riz paddy à 150 F, 175 F, voire 190 F le kilo ?
Cela me rappelle étrangement ce que nous disaient, l'an passé, les producteurs de riz thaïlandais : « Le gouvernement fixe bien un prix plancher. Mais ce prix ne nous arrange pas. Il est beaucoup trop bas. Le gouvernement le fixe en accord avec les banques et les commerçants ! Pas en accord avec les paysans ! »
3. Bonne nouvelle : Le gouvernement reconnaît le rôle important joué par les femmes pour la transformation du riz paddy collecté par les coopératives auprès des producteurs. Et donc un quota leur serait réservé.
4. Mauvaise nouvelle : Le gouvernement ne s'engage pas à appuyer les femmes à acheter ce quota. A elles de trouver le financement ! Et surtout ce quota est fixé d'autorité à 15 % ! Alors que les femmes étuveuses de Bama veulent tout transformer elles-mêmes. Au Sourou, où l'organisation des étuveuses est plus récente, elles ont déjà comme objectif de transformer la moitié de la production de la plaine. De plus, nulle part dans le document il n'est mentionné que la valeur nutritionnelle du riz étuvé est bien supérieur au riz blanc. Pourtant, ce même gouvernement répète à l'envie qu'il veut faire reculer la pauvreté dans le monde rural. Or appuyer les étuveuses, c'est soutenir 15 à 20 000 familles, et bientôt le double, si on tient compte du fait que leurs organisations est en pleine extension ! C'est faire reculer la pauvreté du monde rural. Appuyer les transformateurs, c'est soutenir à peine 15 familles. Le choix du gouvernement est vraiment étrange.
Une analyse étonnante !
La page 10 du document (disponible en cliquant ici ) est vraiment très intéressante. Il s'agit d'abord de trois simulations faites à partir des prix d'achat du riz paddy sur les marchés dans différentes régions du pays. Les résultats sont consignés dans un tableau.
L'hypothèse moyenne (qui correspond à un prix d'achat du paddy par les commerçants/transformateurs auprès des Coopératives de producteurs de riz de 180 F - à comparer au prix plancher de 175 F proposé par les producteurs) donne un prix de vente du riz blanc au consommateur de 19 550 F CFA le sac de 50 kg. (17 500 F et 20 750 F pour les autres hypothèses).
Et la conclusion du document (en caractères gras dans l'original) :
L'analyse des structures des prix qui ressortent du tableau ci-dessus indique que si le prix plancher d'achat du paddy au producteur bord champ était indexé sur les prix pratiqués sur le marché national en octobre 2008, le prix de vente du riz blanc au consommateur ne serait pas compétitif par rapport au prix de vente du riz importé.
Tout porte à croire que le gouvernement veut obliger les producteurs de riz à céder leur paddy à 115 F le kg.
Comment peut-on dire que ces prix ne sont pas compétitifs quand les producteurs trouvent facilement des acheteurs ? !
Comment peut-on dire que ces prix ne sont pas compétitifs quand, dans les boutiques, le riz thaïlandais qui a moins de deux ans d'âge est vendu à 37 500 F le sac de 50 kg ?
Et que la brisure de vieux riz importé est vendu à 22 500 F le sac de 50 kg ?
Quant au riz blanc, le grand commerçant de la place nous a dit qu'il n'en avait même pas ! ?
La lecture de l'ensemble de ce document de 20 pages a fait naître en moi des sentiments de colère et d'indignation. L'impression dominante étant que le gouvernement a fait alliance avec les transformateurs et les commerçants pour faire main basse sur le riz des producteurs. Au risque de casser la dynamique qui était en marche pour aller rapidement vers l'autosuffisance en riz au niveau national. Il serait étonnant que les producteurs consentent à ce que l'Etat leur arrache leur production à vil* prix, alors que le prix du riz importé leur permet de vendre leur riz à un prix rémunérateur.
* : Dans le dictionnaire Littré : Vendre, acheter à vil prix : vendre, acheter fort au-dessous de la valeur.
Koudougou, le 27 octobre 2008
Président du SEDELAN