Sortir de l’OMC pour avancer sur le chemin de la Souveraineté alimentaire !
Après neuf jours de discussions, les négociations sur la libéralisation des échanges commerciaux au niveau mondial se sont finalement achevées, mardi 29 juillet à Genève, sans accord. L’échec de ces négociations doit pouvoir favoriser une réflexion sur la spécificité des politiques agricoles. Pour que les peuples mangent à leur faim et que la planète se porte mieux.
Certains négociateurs ont été surpris quand le Directeur Général de l’OMC, Pascal Lamy, a annoncé la fin des discussions. Ils se croyaient proches de conclure !
« Jamais, jamais auparavant nous avons été aussi proches, juste pour voir tout s’écrouler », a déclaré Mariann Fischer Boel, Commissaire européenne au commerce, lors d’une conférence de presse.
Aucun observateur extérieur « n’aurait pu penser qu’après les progrès réalisés ici, nous n’aurions pas pu conclure », a déclaré Celso Amorim, Ministre des affaires étrangères du Brésil.
Certains membres ont estimé qu’un accord était si proche que quelques délégations se sont dites disposées à poursuivre les consultations, tard dans la soirée du mardi, a déclaré Lamy.
C’était mal comprendre les enjeux. C’était oublier la crise alimentaire actuelle.
C’était oublier que la libéralisation actuelle des échanges des produits agricoles et alimentaires a déjà fait des ravages auprès de 600 millions de paysans qui n’arrivent pas à vivre de la vente de leur production, et de plusieurs centaines de millions d’habitants pauvres des villes qui n’arrivent pas à acheter de quoi se nourrir, les produits alimentaires étant devenus trop chers !
En exigeant l’application d’un « mécanisme de sauvegarde spéciale» (MSS) simple, rapide et efficace pour taxer, si nécessaire, les importations agricoles à bas prix qui risqueraient de ruiner ses paysans, l’Inde a fait jouer la souveraineté alimentaire comme un message politique fort. Contrairement à ce que suggèrent certains commentaires, la négociation n’a donc pas échoué sur un « mécanisme technique », mais bien sur une revendication majeure de certains Etats et de très nombreuses organisations paysannes : tout accord sur le commerce agricole devrait reconnaître le droit des peuples à déterminer leurs propres politiques agricoles en matières d’agriculture et d’alimentation nationales.
Rappelons que si les produits agricoles ne représentent que 8 % du commerce mondial, l’agriculture reste la principale source de revenu d’environ 2,5 milliards de personnes, surtout dans les pays en développement. Cependant, les agriculteurs des pays pauvres sont incapables de concurrencer les exportations fortement subventionnées en provenance de l’UE, des Etats-Unis et du Japon, voire d’autres pays émergents ! Face à cette situation, la reconnaissance du droit de mettre en place un « mécanisme de sauvegarde spéciale » (MSS) semble bien être la priorité des priorité. C’est l’Inde qui a défendu le plus vigoureusement ce MSS. Ce sont les Etats-Unis qui s’y sont opposé le plus farouchement.
Les Etats-Unis sont coutumiers du fait. Ils ne signent les accords internationaux que lorsqu’ils les trouvent avantageux pour eux, sans trop se soucier du reste de la planète. Pensons au protocole de Kyoto qui a été ouvert à ratification le 16 mars 1998 et qui est entré en vigueur en février 2005. Il a été ratifié à ce jour par 172 pays à l'exception notable des États-Unis. Par contre, en mars 2002, ces mêmes Etats-Unis n’ont pas hésité à appliquer, contre les règles de l’OMC, une mesure de sauvegarde spéciale pour protéger leur acier. Ils n’ont pas besoin du mécanisme de sauvegarde (MSS) négocié par l’Inde à l’OMC, ils pratiquent la loi du plus fort !
Face à ce blocage des négociations, pourquoi ne pas faire sortir l’agriculture et l’alimentation de l’Organisation Mondiale du Commerce ? Répétons-le : les produits alimentaires et agricoles ne sont pas une simple marchandise. Ils requièrent des politiques solidaires, locales et de gestion de l'offre. L'accès à la nourriture en quantité et en qualité doit être au coeur de ces politiques. Pourquoi ne pas négocier « un protocole sur l’agriculture et l’alimentation » dans le cadre de la FAO (Food and Agriculture Organization : Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture) ? Et cela, dans une FAO rénovée, où les paysans seraient représentés, de droit, par leurs grandes organisations.
La nourriture n’est pas une simple marchandise, mais un droit fondamental. L’échec des négociations à Genève devrait permettre de le reconnaître, et d’en tirer les conséquences.
Koudougou, le 2 août 2008
Maurice Oudet
Président du SEDELAN