Zambie : le choix de la dignité ! |
Beaucoup furent choqués par la récente décision prise par le gouvernement de Zambie de refuser l'aide alimentaire offerte par les Etats-Unis. La presse exprima sa désapprobation et même son incompréhension qu'un pays, dont la population risquait de souffrir de la famine, eût le culot de bouder l'offre qui lui était faite ! En réalité, dans la plupart des articles que j'ai lus, il n'était pas fait mention des vraies raisons qui ont poussé la Zambie à faire ce choix négatif, lequel était de fait difficile et risqué. Beaucoup d'auteurs ont préféré indiquer que le refus zambien découlait de leur crainte que le maïs offert ne pouvait être garanti par le gouvernement américain comme étant : non génétiquement modifié (GM). Ces auteurs citaient des autorités zambiennes qui regrettaient le manque d'enquêtes sur ce sujet. Personne ne connaît les effets à long terme des éléments GM sur ceux qui les consomment ; c'est exact. Et le gouvernement américain ne manqua pas de répliquer que leurs citoyens en mangent tous les jours et ne s'en portent pas plus mal ! Pan ! Un candide officiel américain ajouta même qu'après tout, " à cheval donné, on ne regarde pas les dents ! ". (Il disait : " Les mendiants n'ont pas le choix ! ")
Peut-être que la citation qui précède pointe davantage en direction de ce que beaucoup supposent gît derrière l'insistance du gouvernement américain à offrir des céréales GM à la Zambie et à d'autres pays africains. Entre 1994 et 2000, 30% des 500 000 tonnes de maïs et dérivés, donnés par les USA, étaient des excédents de stocks de céréales GM. Ayant le choix, la Zambie - et beaucoup d'autres pays - ont préféré refuser d'importer chez eux des récoltes GM, et cela au grand déplaisir de l'industrie agricole américaine. Le centre jésuite pour la réflexion théologique, à Lusaka, fait remarquer que les deux dangers principaux des OGM sont la menace possible sur la santé et les risques courus par les infrastructures de l'agriculture zambienne. Pour le premier - on l'a dit, ci-dessus - personne ne sait, encore, quels sont, à long terme, les effets des OGM sur la santé ; la question n'a pas encore été étudié à fond. Pour le second, il existe d'autres problèmes futurs qui sont tout aussi importants : risques de production diminuée, usage plus massif d'herbicides, résultats disparates et réduction du profit économique des petits fermiers. Peut-être aussi - et surtout - la perte possible d'accès aux marchés européens, pour les produits zambiens tels que fleurs, fruits et légumes, tabac, café et produits organiques. En 1999-2000, la Zambie a exporté plus de 8 400 tonnes de produits vers l'Europe, pour un montant de 62,6 millions de dollars. Si ces produits zambiens deviennent contaminés par pollinisation croisée avec des espèces GM, l'Europe - qui est allergique à tout le système GM - pourrait alors refuser les produits zambiens. Ceci est en partie précisément le but - disent certains - qui pousse les USA à multiplier ses exportations OGM vers les pays qui sont pratiquement incapables de les refuser. Si les USA ne peuvent entrer dans le marché européen, par la grand-porte, ils essaieront, alors, de s' y infiltrer par la porte de derrière, c'est-à-dire par les pays pauvres qui ont besoin d'aide. Biowatch d'Afrique du Sud l'affirme sans ambages : " L'Afrique est utilisée comme la poubelle du monde…lui donner de la nourriture et des semences non testées n'est pas une bienveillance humanitaire, mais bien une tentative d'enfermer davantage l'Afrique dans une dépendance toujours plus esclave de l'aide étrangère. " En théorie, les organisations qui produisent des OGM pourraient même faire valoir leurs quasi droits d'auteur sur les produis GM nés par pollinisation dans les champs voisins des fermiers traditionnels. Donc, les fermiers qui conservent des semences pour semer l'année suivante, pourraient être poursuivis pour… plagiat. On pourrait également craindre que les compagnies biotechnologiques n'introduisent aussi des gènes exterminateurs dans leurs semences, de façon à empêcher les petits fermiers de les ressemer après la moisson ; ces fermiers deviendraient ainsi totalement dépendants des grandes compagnies qui contrôlent les prix des semences. Si cela n'était pas assez, les OGM pourraient aussi créer des problèmes de destruction de l'environnement et des déséquilibres biologiques - comme on le remarque dans certains cas ; par exemple : la menace récemment repérée sur le papillon Monarque - : il y aurait alors des résistances acquises par les insectes, des contaminations de plantes sauvages voisines des plantes domestiques, une plus grande utilisation de produits chimiques, l'apparition de la biodiversité et des mutations nuisibles et nocives. " Mais les gens ont faim ! certains diront ; le gouvernement zambien a-t-il le droit de fermer les yeux ? Y a-t-il une autre possibilité d'agir ? " La réponse est : Oui, en fait ! Ce serait de moudre les graines GM, de façon è ce qu'elles ne puissent servir qu'à la nourriture et non à la culture ; mais cela coûterait cher… et les USA refusent d'en couvrir les frais. C'est aussi risqué : car, si le moulin est dans le pays importateur, inévitablement, des graines s'échapperont de l'usine de moulinage, accidentellement ou délibérément. Une autre solution - sans aucun doute la préférée du World Food Program (WFP) - serait de demander aux USA de donner de l'argent plutôt que des graines. Le WFP pourrait alors avec cet argent acheter d'abondants surplus de grains non-GM provenant des pays africains voisins, éliminant ainsi le problème des OGM et, par la même occasion, aidant l'économie de ces pays environnants. Malheureusement, les USA ont opposé leur veto à cette solution si logiquement plus simple et plus pratique. On doit louer la Zambie pour sa courageuse attitude. Sa décision était mûrie et résistante à de très fortes pressions. Une délégation de scientifiques et de politiciens zambiens fut envoyée aux USA et en Europe pour étudier la question. Handicapés par un système économique international souvent injuste, ils ont choisi l'option : dignité. Leur exemple, nous l'espérons, servira de solide modèle d'action pour les pays qui connaissent les mêmes difficultés. Leur choix n'était pas seulement entre famine et nourriture infectée ; il y avait beaucoup plus en jeu : un refus de servir de victimes impuissantes face à un capitalisme sec et dur ; ils ont montré au monde qu'ils n'étaient pas mendiants mais conscients de leur propre destinée. Phil Reed, M.Afr |