Une alternative pour maîtriser les flux migratoires |
Lettre ouverte à M. Nicolas Sarkozy, Ministre de l'Intérieur de la France : M. le Ministre, permettez-moi de vous rapporter l'essentiel d'une conversation que j'ai eu, il y a quelques jours, avec M. François Traoré, Président de la nouvelle Confédération Paysanne du Faso. Après la projection de notre film "Coton africain : la menace vient du Nord", au FESPACO, le Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou, nous nous sommes retrouvés autour d'un rafraîchissement. Dans ce film, un jeune s'exprime sur l'apport, pour son village, de la production du coton. Il termine son intervention en disant : M. François Traoré rentrait tout juste de Paris où il avait participé à "l'Autre Sommet", qui s'est tenu en même temps que le sommet "France-Afrique". Nous avons eu l'occasion d'évoquer tous les efforts, que vous, M. le Ministre, faites pour contrôler l'immigration vers la France, y compris votre récent voyage au Mali. A Bamako, vous avez rencontré les responsables politiques du pays. C'est bien normal. Mais à notre connaissance, vous n'avez pas pris le temps de rencontrer les Organisations Paysannes du Mali. C'est bien regrettable ! Car les responsables paysans de ces organisations auraient pu vous dire que les paysans maliens, comme les paysans du Burkina Faso et de bien d'autres pays aiment leur village, leur famille, leur pays. Ils ne demandent qu'une chose : pouvoir vivre dignement de leur travail. Ils ne souhaitent pas devoir quitter leur village. Ils désirent avoir les moyens d'entretenir leur famille, et d'élever et éduquer convenablement leurs enfants. Pour cela, il suffirait que les prix des produits agricoles soient suffisamment rémunérateurs pour les producteurs africains. Mais nous sommes loin du compte. La raison principale : le dumping exercé par les pays du Nord (surtout les USA et l'Union Européenne, mais aussi la Thaïlande pour le riz...) sur leurs produits agricoles, et les pressions faites par ces mêmes pays pour que les pays du Sud laissent entrer librement ces produits. Savez-vous qu'en France, le revenu des producteurs de blé provient davantage des aides directes de la Communauté Européenne que de la vente de leurs produits ! Ce qui leur permet d'exporter leur blé, notamment en Afrique, en dessous de leurs coûts de production. Et les producteurs de maïs du Mali ou du Burkina Faso n'arrivent plus à vendre leur maïs à un prix rémunérateur. En ville, la population mange de plus en plus de pain et de pâtes alimentaires, et du riz importé : ils n'ont plus besoin des produits des paysans de leur pays. La misère s'installe durablement. Dans ces conditions, que peuvent espérer les paysans pauvres des pays pauvres? A quoi peuvent-ils rêver ? Sinon quitter leur village avec sa misère pour la ville ou les pays du Nord, censés leur offrir une vie meilleure. Oui, ce dumping des pays riches sème la misère et la mort dans les pays du Sud ? Combien faudra-t-il que d'enfants africains meurent de froid dans le train d'atterrissage des avions qui relient l'Afrique à l'Europe pour que les responsables politiques prennent les mesures qui s'imposent ? Ces mesures : interdire le dumping à l'exportation, et autoriser chaque pays, du Nord comme du Sud, à protéger son agriculture par des taxes à l'importation. Alors les paysans du Nord, comme ceux du Sud, pourront tirer leur revenu de leur travail. Au dernier sommet, France-Afrique, le président, M. Jacques Chirac, a commencé à reconnaître les effets pervers de la Politique Agricole Commune de l'Union Européenne sur les pays africains. Alors M. le Ministre, permettez-moi de vous faire une suggestion : Arrêtez de parcourir la France et le Monde pour freiner le flux migratoire vers l'Europe. Avec votre Premier Ministre, allez plutôt trouver le Ministre de l'Agriculture et celui du Commerce, et faites ensemble une déclaration solennelle, reconnaissant que les accords sur l'agriculture de l'O.M.C. ne sont pas bons, et qu'ils ne peuvent que conduire à la misère des centaines de millions de paysans des pays pauvres. Que non seulement, cette situation est intolérable, mais qu'elle est une menace pour la paix dans le monde. Que dans ces conditions, il est vain d'espérer pouvoir maîtriser le flux migratoire vers les pays riches. Qu'en conséquences, aux négociations de l'O.M.C., la France va demander que l'exception agricole soit reconnue, comme elle demande déjà la reconnaissance de l'exception culturelle : les produits de l'agriculture, comme ceux de la culture, ne peuvent être traités comme de simples marchandises. Espérant que cette lettre retiendra votre attention, je vous prie de recevoir, M. le Ministre, l'expression de mon profond respect. Maurice Oudet Koudougou, le 15 mars 2003. |