Les paysans ouest africains trahis
par les chefs d'Etat de la CEDEAO !

Il y a un an (le 19 janvier 2005, à Accra), nous avons accueilli la signature, par les chefs d'Etat de la CEDEAO, de la politique agricole commune de l'Afrique de l'Ouest (appelée ECOWAP) comme une bonne nouvelle. En effet, il était clairement précisé que l'ECOWAP se plaçait résolument dans la perspective de la souveraineté alimentaire, ce qui suppose que l'on se protège des aléas du marché mondial dont les prix n'ont souvent rien à voir avec les coûts de production.

Aujourd'hui, nous nous interrogeons. S'agissait-il d'un piège ? On peut se le demander. En effet, un an après cette signature, les mêmes chefs d'Etat signe un autre document qui va rendre impossible l'application de l'ECOWAP. Expliquons-nous.

Déjà en octobre 2004, nous nous étions demandé :

 La CEDEAO va-t-elle sacrifier ses paysans ?

En effet, nous apprenions alors que les ministres du commerce voulaient étendre le TEC (Tarif Extérieur Commun qui définit les taxes à l'importation) de l'UEMOA à l'ensemble de la CEDEAO.

Aujourd'hui, nous apprenons que le 12 janvier 2006, à Niamey, les chefs d'Etat de la CEDEAO viennent de faire ce que nous redoutions alors :

ils ont étendu le TEC de l'UEMOA à l'ensemble de la CEDEAO.

Or ce TEC est très libéral, il n'assure aucune protection. Aucune taxe à l'importation ne dépasse les 20 %. (A comparer au Japon qui taxe le riz à l'importation à 500 %, ou au Nigeria qui taxe le même riz à 100 %). Aucune agriculture des pays riches ne s'est développée sans barrières de protection. Alors, pourquoi abandonner les paysans africains aux aléas du marché mondial ?

Ce TEC ne permettra pas d'appliquer l'ECOWAP qui avait fait le choix de remplacer progressivement les importations alimentaires par des produits locaux.

Nous ne comprenons pas comment les chefs d'Etat peuvent effacer ainsi un document qu'ils ont eux-mêmes signé il y a moins d'un an et qui donnait enfin un peu d'espoir aux millions d'agriculteurs et d'éleveurs de la CEDEAO.

Pourquoi une telle décision a-t-elle été prise sans aucun débat démocratique ?

A ma connaissance, aucune Assemblée parlementaire n'a débattu de cette question.

Pourquoi les chefs d'Etat des pays africains font-ils semblant de défendre leurs populations à l'OMC pour se livrer aussitôt pieds et mains liés aux vicissitudes du marché mondial. Ironie du sort, cette décision a été préparée en cachette par la commission de la CEDEAO, à Abuja, pendant les négociations de la Conférence ministérielle de Hongkong !

Nous ne comprenons pas : Comment le Nigeria a-t-il pu accepter une telle décision ?

Dans le rapport de l'OMC sur l'examen de la politique commerciale du Nigeria, en date du 13 avril 2005 (référence OMC : WT/TPR/S/147), on peut lire, à propos de l'agriculture : "Le secteur est fortement protégé; le droit de douane moyen appliqué sur les produits agricoles (ISIC, 2° Révision) a augmenté de 26,7% en 1998 à 41,4% en 2003, et plusieurs produits agricoles (fruits, légumes, grains) ont des droits de douane de 100%.  En outre, des interdictions d'importation ont été décrétées sur certains produits, comme la farine de blé, le sorgho, le manioc, et les produits avicoles". Qui plus est le rapport ajoute que, conjointement avec d'autres politiques de développement, "ces mesures ont contribué à la croissance robuste récente du secteur agricole".

Nous ne comprenons pas : Pourquoi le Nigeria, à son tour, a-t-il accepté de sacrifier ses paysans ?

Pour ma part, il me semble qu'une telle décision est intolérable pour les producteurs de l'Afrique de l'Ouest. Nous espérons un sursaut de leur part pour exiger qu'un débat soit organisé à l'Assemblée nationale de tous les pays de la CEDEAO, et que des contre-propositions soient faites. Peut-être en s'appuyant sur l'article 9, alinea 2, qui dit :
Le Conseil peut, selon la même procédure, édicter d’autres mesures spécifiques de protection.

Assurément, une forte mobilisation paysanne est nécessaire pour espérer un renversement de la situation !

Maurice Oudet
Koudougou, le 26 février 2006

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