Burkina Faso : La filière riz.

Quand un "expert international"
se laisse aveugler par ses propres chiffres !

Rencontrer "un expert" est une expérience étonnante. Il est impressionnant de voir comment, trop souvent,  la certitude qu'il a de posséder des outils d'analyse  que ne possèdent pas le citoyen ordinaire, le rend incapable de comprendre des réalités toutes simples.
Je viens d'en faire à nouveau l'expérience, et de quelle manière !

Il y a huit jours, j'étais invité à prendre part à la restitution d'une étude réalisée par "deux experts" (c'est ainsi qu'ils se définissent en page deux de l'étude) :

un "Agro-économiste, en qualité d'expert international au compte du
bureau d'étude AGRER" (un bureau d'étude européen basé à Bruxelles) ;

un "économiste en qualité d'expert national au compte du bureau d'étude STATISTIKA" (STATISKA Sarl a été créé par des burkinabè avec des fonds entièrement burkinabè en 1996. On ne peut donc dire qu'il s'agit d'un bureau d'étude " financé par l'Union Européenne", comme nous l'avions écrit précédemment).

Ce n'est pas le lieu ici de rendre compte de l'ensemble de cette analyse.
Dans quelques jours, je mettrai sur www.abcburkina.net une réflexion plus détaillée, où je ne manquerai pas de signaler les aspects qui me semble les plus intéressant dans cette étude.

Aujourd'hui, je voudrai simplement réagir au passage suivant :


" * Niveau de protection de la filière nationale :

A propos de la politique tarifaire. On constate que la filière nationale est doublement protégée : par son enclavement (frais de transport) et par les taxes sur le riz importé qui représentent plus du tiers du prix payé par le consommateur final.

Ce qui conduit le riz local à être moins cher que le riz importé (cf enquêtes SONAGESS, enquêtes de la mission, rapports de stages et observations ponctuelles).
Le riz importé dispose déjà de taxes importantes. Il est donc inutile pour le moment,
dans l'état actuel du marché international et du niveau de couverture des besoins de riz par la production nationale, de taxer davantage le riz à l'importation. Une surtaxation de la filière d'importation conduirait à un renchérissement du prix dans les villes (où sévit également la pauvreté) et augmenterait inconsidérément la pression sur les céréales locales."
(Fin de citation)

Ahurissant !

1. Dommage que l'étude ne donne pas plus de détails sur ces "observations ponctuelles".
J'imagine que M. l'expert international faisait son marché dans les boutiques d' "alimentation générale" de Ouagadougou, où on trouve du bon riz thaïlandais, récolté il y a quelques mois. Ce riz peut être vendu 500 F, voire 600 F le kilo. Il est donc vendu plus cher que le riz local qui est vendu le plus souvent 280 F ou 300 F le kilo (ces prix sont les prix du riz de Bagré à Ouagadougou durant la période de la mission chargée de l'étude).

Dommage que M. l'expert international n'est pas interrogé un de ces pauvres de Ouagadougou (dont il semble se soucier plus que des producteurs de riz !). Il lui aurait dit qu'il ne mange pas le même riz que lui. Quand il achète du riz thaïlandais, il le paie 210 F, voire 220 ou 230 F le kilo.
De plus, c'est un riz qui gonfle (il a souvent 5 à 10 ans d'âge, il est complètement desséché...).
Ou encore c'est de la brisure de riz. Cette brisure de riz est vendu, on peut le comprendre, à des prix très bas. Pour lui, il n'y a aucun doute, le riz importé est beaucoup moins cher que le riz local. Or c'est ce riz importé de mauvaise qualité qui rentre en masse dans le pays.

Avant de me rendre à la restitution de l'étude, j'ai fait un tour autour de la Grande Mosquée de Ouagadougou. J'ai  trouvé du riz vietnamien à 5 250 F le sac de 25 kg (soit 210 F le kilo).
Comment peut-on continuer d'affirmer que le riz local est moins cher que le riz importé ?

Interrogé, sur cette affirmation, durant la restitution, l'expert international s'est réfugié derrière ses chiffres (qui ne sont pas dans l'étude - qui fait déjà 112 pages - et qu'il n'a pas pu nous montrer).

Par la suite, à la pause, il m'a dit qu'il avait fait la moyenne de 38 relevés de marché.
Le problème, c'est que ces "marchés" ne sont pas de même nature.
N'importe quel bon élève de nos lycées ou collèges sait bien que faire la moyenne entre les prix du marché de Ouagadougou et celui de Gorom-Gorom n'a aucun sens.
Dans l'un (à Ouagadougou) il s'écoule peut-être 10 000 tonnes de riz par mois, contre quelques sacs de 25 kg ou 50 kg dans l'autre !

2. L'étude nous dit (en caractère gras, page 110) : "les taxes sur le riz importé représentent plus du tiers du prix payé par le consommateur final".

Nos experts ont été incapable de justifier cette assertion durant la restitution.
Et pour cause : leurs propres chiffres (page 107 de l'étude) montre le contraire : les taxes et impôts n'atteignent pas 11 % de ce prix !

Tout le monde (au moins parmi les experts) sait que le TEC (Tarif Extérieur Commun de la UEMOA, qui définit les droits de douanes à l'importation dans l'Union) a fixé les droits de douanes sur le riz à 10 % (à comparer au 100 % du Nigeria, et au 500 % du Japon). Comment un expert européen (agro-économiste de surcroît) qui sait combien l'Europe protège son agriculture peut affirmer que cette protection est suffisante. J'aimerai qu'on m'explique - entre autre - comment cette taxe protège les producteurs de riz du Burkina d'une chute du dollars de plus de 30 % par rapport à l'euro (et donc au Franc CFA). Or, c'est ce que nous avons vécu il y a peu de temps.

Pour ma part, je n'ai actuellement qu'une explication (jusqu'à preuve du contraire) :
cette étude participe à la pression qui est exercée par l'Europe (et les pays les plus riches de la planète) qui veut faire croire aux pays les plus pauvres qu'il est de leur intérêt d'ouvrir largement leurs frontières. Cela participe à la pression qui est exercé par l'Europe sur les pays ACP (notamment ceux de l'Afrique de l'Ouest) qui veut leur faire croire qu'il est de leur intérêt de signer des accords de libre-échange avec l'Europe (ces accords dit Accord de Partenariat Economique).

Pour notre part, nous pensons que de tels accords sont suicidaires pour nos pays. De plus, ils ne respectent pas la Politique Agricole de la CEDEAO (appelée ECOWAP) que nos chefs d'Etat ont signé le 19 janvier 2005 à Accra. Celle-ci, en effet, se place résolument dans la perspective de la Souveraineté Alimentaire.

Si l'Europe se veut vraiment notre partenaire (mais il est permis d'en douter, ou alors, il s'agit d'un partenariat à l'image de celui que Maître Renard souhaite signer avec Dame Poule), qu'elle aide nos pays à défendre et à actualiser l'ECOWAP, comme elle a su mettre en place sa PAC (Politique Agricole de la Communauté Européenne), et comme elle sait la défendre aujourd'hui.

Koudougou, le 21 juillet 2005
Maurice Oudet

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