Du quotidien canadien "Le Devoir" Éric Desrosiers Édition du jeudi 14 avril 2005 Les producteurs agricoles du Québec et des pays en voie de développement unissent leur voix pour réclamer la défense, à l'OMC, du droit des pays de maintenir des barrières tarifaires efficaces contre les produits subventionnés des États-Unis et des autres pays riches. À la Fédération des producteurs de lait du Québec, on dit grandement s'inquiéter des derniers signaux en provenance d'Ottawa, qui laissent penser qu'en dépit des promesses faites, le gouvernement fédéral pourrait accepter, dans le cadre des négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de réduire le niveau des tarifs sur lesquels s'appuient, au Canada, les systèmes de gestion de l'offre dans les secteurs du lait, des oeufs ou encore de la volaille. «En jouant la carte de l'ouverture des marchés comme moyen d'assainir le commerce des produits agricoles, le Canada sera l'un des pays les plus pénalisés au sortir de cette ronde de négociation. Car il ne fait plus de doute que l'Europe et les États-Unis vont continuer de contrôler l'accès à leurs marchés et de subventionner largement leur agriculture», a déclaré hier le président de la Fédération, Marcel Groleau, à l'ouverture d'une assemblée générale de deux jours à Québec. Le soutien direct et indirect des gouvernements aux seuls producteurs laitiers des États-Unis a totalisé 14 milliards en 2003, a expliqué aux 150 délégués présents le spécialiste de commerce international, Peter Clark. Cette aide, dit-il, qui équivaut à environ 40 % de leurs revenus, offre un tel avantage aux producteurs américains qu'elle les protège de la concurrence étrangère tout aussi efficacement que des tarifs douaniers sans pour autant être menacée d'extinction par l'OMC. Ces subventions sont telles, poursuit-il, que la moindre réduction de tarifs de la part du Canada risque, même si on les maintient à un niveau relativement élevé, d'ouvrir la porte toute grande aux exportations américaines. La proportion d'huile de beurre américaine, qui entre dans la fabrication de la crème glacée au Canada, n'est-elle pas déjà trois fois plus élevée aujourd'hui, à près de 50 %, qu'elle ne l'était en 1998, et ce sans même que l'on ait baissé les tarifs ? déplorait-on hier à l'assemblée de la Fédération. «Agriculteurs du monde entier... » Les producteurs agricoles du Québec et du Canada ne sont pas les seuls à craindre la mise hors la loi des tarifs douaniers à l'OMC. Des représentants d'agriculteurs de pays en voie de développement ont fait le voyage jusqu'à Ottawa cette semaine pour convaincre le Canada de défendre le droit de leurs gouvernements de les mettre à l'abri de la concurrence déloyale et destructrice des pays riches en ce domaine. Plus de 80 % des pauvres de la planète vivent dans des zones rurales, ont-ils rappelé aux députés fédéraux rencontrés. Une réduction brutale des tarifs douaniers dans le secteur de l'agriculture risquerait non seulement d'emporter des économies entières, mais aussi de déchirer le tissu social de plus d'un pays. Les États-Unis et l'Union européenne ont adapté leurs subventions agricoles de façon à ce qu'elles apparaissent conformes aux règles de l'OMC, dénonce le dernier rapport sur le sujet de l'organisme humanitaire Oxfam, intitulé Enfoncer la porte. Cela leur permet, dans les faits, de poursuivre leur dumping sur des produits comme le riz, le blé, le lait, le sucre et le coton à des prix bien en deçà de leurs coûts de production réels. «Le Canada ne pratique pas le même genre de dumping que les États-Unis et l'Europe, reconnaît le directeur exécutif d'Oxfam Canada. Mais il s'est joint à eux pour essayer de forcer les pays pauvres à réduire leurs tarifs rapidement. Ces pays ont été obligés de libéraliser leur commerce agricole plus vite et plus profondément qu'a eu à le faire n'importe quel pays riche dans l'histoire. Ils sont les grands perdants de cette thérapie de choc et ne devraient pas endurer cela.» |