La Banque Mondiale et la lutte contre la pauvreté

Le vendredi 16 avril j'ai participé à une Vidéoconférence qui s'est tenue dans les locaux de la Banque Mondiale à Ouagadougou. Cette vidéoconférence comprenait deux partie, deux études de cas. Deux cas pouvant servir, selon la Banque Mondiale, comme modèle dans le cadre de la lutte contre la pauvreté.

Deux cas susceptible d'être retenus pour la Conférence de Shangai (25 - 27 mai 2004), qui aura pour thème : Une stratégie d'apprentissage globale pour réduire la pauvreté.

1. La stratégie de développement fondée sur les exportations de la Tunisie.    
2. Le développement de la culture du coton au Burkina Faso.

Je représentais, avec d'autres participants, la société civile. J'ai trouvé cette vidéoconférence intéressante, mais frustrante en même temps, car comme représentant de la société civile, nous n'avons quasiment pas eu le droit à la parole. Voici ce que j'aurais aimé dire, si on m'avait donné la parole, après la présentation du cas de la culture du coton au Burkina Faso.

Depuis les années 70, je suis un observateurs attentif du monde rural au Burkina Faso. De 1993 à 1997 j'ai vécu dans un village (Boni, près de Houndé) où toutes les familles cultivaient déjà le coton. A cette époque, l'adhésion à la culture du coton était moins forte qu'aujourd'hui. Beaucoup cultivaient le coton pour détourner une partie de l'engrais obtenu pour leur culture du maïs. Aujourd'hui, je puis témoigner que ceux qui adhèrent vraiment à la culture du coton sont plus nombreux qu'en 93, malgré la crise de 2001 à 2003.

1) Qu'est-ce qui a permis cela ?

Ce sont d'abord les prix garantis. Depuis la dévaluation de 1994 les paysans savent avant de semer à quel prix leur coton sera acheter, et à quel prix ils devront payer les intrants. Les années où les prix garantis sont intéressants, la production fait un bond en avant. Pour développer une culture, et donc faire reculer la pauvreté, il faut assurer un prix rémunérateur, garanti et pouvoir le faire dans la durée. Cela a été fait, tant bien que mal au Burkina, grâce au fonds de soutien des prix du coton-graine qui a permis de traverser la crise sans trop de gravité. Le contre exemple du sésame au Burkina (voir le fichier  lutte-pauvreté.htm , est tout aussi révélateur).

2) Garantir un prix rémunérateur aux producteurs, dans la durée, pour un produit exporté, est-ce possible ?

C'est certainement difficile. En 2001 le prix du coton-fibre sur le marché mondial a été divisé par deux entre janvier et le mois d'octobre. Seul le fonds de soutien des prix a permis l'exploit de la Sofitex en 2002 : tous les producteurs ont été payé au prix convenu. (Dans les pays voisins, cela ne s'est pas passé ainsi !). Il serait temps que la communauté internationale (Banque Mondiale comprise) reconnaisse l'importance de stabiliser les prix agricoles sur le marché mondial pour lutter contre la pauvreté (sachant que la majorité des pauvres de notre planète sont des paysans). Pourquoi, alors, démanteler tout ce qui ressemble à une "Caisse de Stabilisation des prix". S'il y a eu une mauvaise gestion, plutôt que de supprimer la caisse, ne vaut-il pas mieux la réformer ? En confier la gestion aux producteurs ?

3) Garantir un revenu stable et satisfaisant pour un producteur dont la production est en concurrence directe avec le marché mondial, est-ce possible ?

Oui, pour les pays qui en ont les moyens, grâce aux subventions (couplées ou découplées). Le prix rémunérateur devient alors : la valeur du produit sur le marché mondial + la subvention (liée à la production, voire à l'exportation; ou découplée). On comprend (sans nécessairement tout approuver) alors le refus des pays développés de supprimer tout soutien interne à leurs agriculteurs. Pour les pays pauvres, cela semble impossible. Le cas du riz au Burkina Faso aujourd'hui semble le montrer clairement (voir le fichier  : " Le cas du riz " )

4) Garantir un prix rémunérateur et stable à un producteur agricole d'un pays moins avancé (PMA), est-ce possible ?
Oui, si la communauté internationale reconnaît à ce pays le droit de protéger par des taxes à l'importation son agriculture et son alimentation. La protection à l'importation apparaît être la forme de soutien la plus équitable, car elle est à la portée de tous, même des pays les plus pauvres. Elle permet de construire, dans la durée, une véritable politique agricole basée sur les prix (mais sur les prix du marché intérieur, pas sur ceux du marché mondial, trop volatils). Les pays développés l'ont bien compris, eux qui ont construit leur agriculture performante derrière des barrières de protection. Le Japon d'ailleurs n'a pas abandonné cette façon de faire, lui qui protège ses producteurs de riz en taxant le riz en provenance du marché mondial à hauteur de 490 % ! Sous la pression de la Banque Mondiale, du F.M.I., et de l'Union Européenne les pays de l'UEMOA ont abandonné ce droit de protéger leur agriculture et leur alimentation. Et le piège s'est refermé. Aujourd'hui la communauté internationale (en s'appuyant sur l'Accord agricole de l'OMC) leur interdit de récupérer ce droit, et elle s'étonne qu'il y ait tant de pauvres en Afrique. Et elle prétend vouloir aider ces pays à sortir de la pauvreté. Je ne comprends pas.
Devrai-je me rendre à la conférence de Shanghai pour comprendre ?
Ou bien y-a-t-il quelqu'un à la Banque Mondiale capable de résoudre pour moi cette énigme ?


Maurice Oudet
Koudougou le 19 avril 2004

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