Pour sauver son agriculture, la CEDEAO doit consolider ses droits de douane dès maintenant.
Cet article fait suite au n° 320 qui invitait la CEDEAO à déterminer les prix d’entrée de ses produits agricoles sensibles. Aujourd’hui, il s’agit de montrer comment cette démarche peut être justifiée, et donc négociée, à l’OMC.
Rappelons qu’il s’agit pour la CEDEAO de trouver le moyen de développer son agriculture tout en permettant aux populations urbaines de se nourrir à un prix supportable. L’enjeu est de taille. C’est pourquoi nous nous permettrons d’être un peu plus technique que d’habitude !
L'objectif essentiel de la CEDEAO est de promouvoir le développement durable par une intégration régionale accrue, en disposant de mesures de protection du marché régional efficaces et souples pour garantir aux producteurs, notamment agricoles, des prix rémunérateurs les incitant à produire plus sans pénaliser les consommateurs, notamment les consommateurs urbains.
La CEDEAO veut mettre en place un marché commun régional et donc une politique commerciale commune. Cela passe par d’intenses négociations entre les états membres. Prenons un exemple : le cas du riz. Certains pays se satisfont du droit de douane actuel sur le riz de l’UEMOA qui s’élève à 10 %. S’ils ne souhaitent pas développer leur production de riz, un tel taux, dérisoire, leur permet d’offrir à leur population du riz à moindre coût. Mais le Nigeria, gros importateur de riz, taxait le riz à l’importation à 100 %. Cela devait lui permettre d’augmenter sa production de riz et de diminuer ses importations. A la fin des négociations (pas encore terminées) le riz sera sans doute soumis à un droit de douane fixe de 35 %.
Ce qui est dommage, c’est que les négociations se sont focalisées sur les droits de douanes fixes, alors qu’à l’OMC, les négociations portent sur les droits de douanes consolidés. Cela mérite une explication !
Chaque État a notifié à l'OMC un « droit consolidé » par produit. C'est le droit qu'il s'engage à ne pas dépasser. Dès lors qu'un taux de droit est dit consolidé (notifié à l'OMC), il ne peut être relevé sans qu'une compensation soit accordée aux pays affectés. Par contre vous pouvez augmenter vos droits de douanes appliqués, sans compensation, pourvu qu’ils restent inférieurs aux droits de douanes consolidés. La négociation actuelle à l’OMC porte sur la réduction des droits consolidés et donc du Tarif Extérieur Commun consolidé (c'est-à-dire l’ensemble de ces droits consolidés).
Comme les 15 Etats membres de la CEDEAO ont tous consolidés un droit agricole moyen devant l’OMC, en tenant compte du poids de chaque Etat dans les importations agricoles totales de la CEDEAO, on peut calculer le taux du droit agricole moyen consolidé de la CEDEAO. Sur la base des données de la FAO pour 2005, on obtient un droit agricole moyen consolidé de 73,4 % (auquel on peut ajouter un ADI (« autres droits et impositions », selon le langage de l’OMC) de 58,1 %. Soit au total : un ensemble de droits consolidés à 131,5 %. Oui, c’est technique ! Mais le résultat est assez simple, et très important.
Reprenons le cas du riz, et l’hypothèse que nous avons faite qu’il sera bientôt taxé à 35 %. Il est tout à fait possible que dans 3 ans (par exemple) les cours du riz se soient effondrés à nouveau, et que le dollar ait perdu encore 30 % de sa valeur par rapport à l’euro et donc au FCFA. Ce jour là, il sera encore possible de taxer le riz à l’importation à 100 %, et donc de protéger les producteurs de riz et l’ensemble de la filière riz de la CEDEAO. Mieux, si la CEDEAO protège alors ses produits sensibles par des prix d’entrée, on peut penser que dans trois ans le prix d’entrée de la tonne de riz sera de 450 000 F CFA. Si le prix CAF (rendu au port d’Abidjan, par exemple) est alors de 200 000 F la tonne, le prélèvement sera de 250 000 F par tonne, soit un prélèvement s’élevant à 125 % du prix CAF. Beaucoup plus que les 35 % envisagés aujourd’hui. Cependant, la CEDEAO ne sera pas en infraction, puisque le taux moyen des droits consolidés de la CEDEAO s’élève à 131,5 %.
Cependant, pour éviter toute contestation dans l’avenir, la CEDEAO aurait intérêt à signaler dès maintenant qu’elle considère qu’elle a bien un droit de douane agricole moyen consolidé à hauteur de 73,4 % et un ADI (« autres droits et impositions ») moyen consolidé de 58,1 %.
Que retenir? La CEDEAO doit se donner les moyens de sa politique, notamment de sa politique agricole, l’ECOWAP. Pour cela elle a de bons atouts à faire valoir : les droits de douanes consolidés de ses états membres qui lui permettent de considérer qu’elle a déjà un Droit de Douane agricole consolidé moyen de 73,4% et un ADI de 58,1%. Et que ceci lui donne la possibilité de définir des prix d’entrée pour ses produits agricoles sensibles. Le reste est une question de volonté politique ! Ce qui n’est pas rien !
Pour la faire naître, les organisations paysannes auraient sûrement intérêt à proposer une liste de produits sensibles – aussi large que possible – accompagnée pour chaque produit d’une proposition de prix d’entrée.
C’est sans doute le prix à payer pour sauver l’agriculture et faire en sorte que la politique agricole de la CEDEAO soit enfin appliquée.
J’invite ceux qui veulent aller plus loin à consulter le document de Jacques Berthelot :
Réflexions sur les mesures de sauvegarde adoptables par la CEDEAO
Koudougou, le 27 mars 2009
Maurice Oudet
Président du SEDELAN