Ces forums ont commencé le 17 avril 2008 et se poursuivent jusqu’au 26 avril prochain. Nous étions, la semaine dernière, de cette randonnée cotonnière, de laquelle il ressort que, si les deux saisons écoulées ont été cauchemardesques, la campagne 2008/2009 s’annonce sous de meilleurs auspices.. Yendéré, quelque 150 kilomètres de Bobo-Dioulasso, à la lisière de Niangoloko. Nous sommes à un jet de pierre de la frontière ivoirienne. La Léraba, qui a donné son nom à la province, est juste à côté, une dizaine de kilomètres à peine. Pour quelqu’un qui vient de Ouagadougou, où la chaleur, en ce mois d’avril, est à la limite du supportable, le temps est plutôt clément. La rencontre avec les producteurs et la délégation de la Société des fibres textiles du Burkina (SOFITEX), conduite par Arsène Somda, le chef de région, est bercée par le bruit saccadé d’un moulin et le battement des mains de femmes qui pilent dans la cour attenante. Le parking où sont garées essentiellement des motos à vitesses, souvent en version super, est un indicateur de la relative prospérité des cotonculteurs. Très en verve, Arsène Somda et Aboubacar Djinko tiennent le crachoir depuis un bon bout de temps. Il faut dire qu’ils sont venus avec, sous la main, de bonnes nouvelles. L’ambiance détendue, parfois rieuse, est loin, très loin des forums houleux de mai 2007 quand les ambassadeurs du Directeur général Célestin Tiendrébéogo étaient porteurs de mauvaises informations : non seulement le prix plancher d’achat du coton graine allait baisser (145 FCFA), mais celui des intrants devait connaître une hausse. Alors, on imagine que certains de ses cadres auraient pu dire à Célestin d’aller lui-même annoncer ces "funérailles" aux producteurs qu’ils ne s’en seraient pas privés. Et de fait, les échanges furent tendus. Une saison plus tard, les résultats de la campagne 2007/2008 sont pour le moins décevants : pour ne parler que de la zone SOFITEX, on a seulement récolté 310 000 tonnes de coton graine (1) contre 557 600 la saison écoulée, soit une chute de 44%. Dans la même période, les superficies emblavées sont passées de 615 000 ha à 365 000 ha (40% de moins), les rendements au champ suivant la même courbe, descendante, pour s’établir autour de 877 kg/ha. Qu’il semble loin, le rêve du million de tonnes, caressé il y a seulement quelques années quand la production culminait à 650 000 -700 000 tonnes ! Les causes de cette moisson : l’installation tardive des pluies puis leur arrêt brutal, des poches de sécheresse par-ci, des inondations par-là ; avec, en prime, le boycott de certains producteurs, principalement dans le Kénédougou -Sud et dans la Léraba. Est-ce d’ailleurs pour cela que le Dagari Arsène Somda, jusque-là à Houndé, a récemment été affecté dans les Cascades ? La mort est ressuscitée Toujours est-il qu’avec ses parents à plaisanterie, il a tenu en ce vendredi 18 avril 2008 un langage direct et de vérité ; à grand renfort de proverbes, de paraboles et de gentilles piques. Comme lorsqu’il dit, pour mettre en exergue l’importance de ses interlocuteurs et le rôle principal que ceux-ci jouent dans le développement de la filière, que les usines d’égrenage ne fonctionnent pas avec du bangui (la boisson alcoolisée du cru), mais bien avec du coton. Hilarité générale dans l’assistance. Au sujet du classement, parfois litigieux (1er ou 2e choix), du coton, à un paysan qui lui faisait remarquer que "si tu veux savoir comment ta mère décédée est couchée dans sa tombe, il faut forcément être à son enterrement", Arsène le rhéteur réplique avec un art consommé de la répartie : "Si tu as confiance au fossoyeur, tu n’as pas besoin de te rendre au cimetière pour le savoir". La confiance règne. Vendredi dernier à Yendéré donc, l’ambiance était plutôt bon enfant, tout comme la veille à Tiéfora (à 25 kilomètres de Banfora) avec Boureima Kantagba, le chef du Service crédit agricole, ou le lendemain à Tiara (40 km de Bobo sur la route d’Orodara). Une atmosphère détendue parce que, affirme monsieur Kantagba, "l’horizon s’éclaircit". Il est vrai qu’après avoir broyé du noir ces deux derniers années, l’or blanc reprend des couleurs. "On a annoncé notre mort et même notre enterrement, mais à supposer qu’on soit mort, on est aujourd’hui ressuscité", lâche, dans une posture pascale, le premier responsable de la SOFITEX. Après la pluie vient le beau temps Il faut dire que depuis juin 2007, les cours mondiaux de la fibre, à l’image de ceux de la quasi-totalité des matières premières, notamment agricoles, devenues le refuge des investisseurs, du fait, entre autres raisons, de la chute de l’immobilier (le scandale des subprimes aux Etats-Unis), de l’effondrement de la Bourse et de la baisse continue du dollar, les cours du coton, disons-nous, connaissent une tendance haussière. A titre d’exemple, pas plus tard qu’en mars 2008, ils sont montés de 40% en l’espace d’une semaine. Après avoir donc été ballottés, c’est le comble, pendant trois bonnes années, les sociétés cotonnières, qui ont vu leurs fonds propres laminés et connu des déficits abyssaux, remontent la pente, lentement mais sûrement. Les émissaires de la SOFITEX, qui parcourent le bassin cotonnier dans tous les sens depuis le 17 avril, apportaient donc dans leur besace trois bonnes nouvelles. Primo : l’embellie du marché mondial, comme indiqué plus haut, permet de distribuer (à partir de fin mai) un prix d’achat complémentaire de 10 francs CFA par kilogramme de coton graine, portant donc, au bout du compte, le prix d’achat effectif de la campagne 2007/2008 à 155 FCFA (145 + 10). Pour Tiara, par exemple, qui a enregistré 549 tonnes sur 525 ha, ce sont 5,5 millions à peu près qui seront bientôt injectés sur cette base dans l’économie locale. Selon les spécialistes, cette remontée des cours, observable depuis 9 mois et qui devrait se poursuivre pour un bout de temps, tient à une baisse de la production mondiale, à une diminution des surfaces cotonnières en Chine et à un accroissement des besoins en fibre. Deuzio : pour la campagne 2008/2009, les prix plancher du coton graine sont fixés à respectivement 165 FCFA et 140 FCFA pour le 1er et le 2e choix, auquel devrait s’ajouter une ristourne minimum de 15 francs si l’embellie se poursuivait et si la production atteignait les 650 000 à 700 000 tonnes, question justement de profiter au maximum du redressement des cours. Tertio : Le statu quo ante sera observé pour ce qui est du prix des intrants, soit 13 200 francs CFA pour le sac d’engrais composés (NPKSB), 14 400 francs pour celui d’engrais azoté (Urée) tandis que le traitement à l’hectare de l’insecticide EC revient à 4 342 francs. Tous ces coûts sont à crédit au taux de 8,5% (difficile de trouver mieux sur la place financière). Pour mesurer l’importance vitale de cette décision pour la filière, il faut savoir qu’avec la hausse du prix du baril de pétrole (qui bat chaque jour son propre record), ce qui renchérit automatiquement le coût des matières premières entrant dans la composition du NPK et de l’urée, si la loi du marché devait s’appliquer bêtement, ces intrants auraient connu des augmentations respectivement de 47% et de 33% et le paysan les aurait achetés à 19 404 FCFA et à 19 152. Fort heureusement, il y a ce qu’on appelle les "stocks de report", les trois sociétés cotonnières (2) ayant toujours dans leurs magasins, à l’issue de la campagne 2007/2008, 21 000 tonnes de NPK et 12 600 tonnes d’urée, mais aussi et surtout la subvention de l’État qui, conscient du rôle de locomotive que joue ce secteur dans l’économie nationale et dans la lutte contre la pauvreté en milieu rural, la soutient à bout de bras ; car s’il devait s’effondrer, ce serait un pan entier de notre économie qui s’écroulerait avec toutes les conséquences désastreuses qu’on peut imaginer pour les deux à trois millions de personnes qui vivent directement ou indirectement de l’or blanc ainsi que pour le tissu industriel du Faso. Pour ce faire donc, le gouvernement a consenti un appui de 6,5 milliards (contre 3 millions l’année passée) pour que le prix de cession des intrants reste au même niveau. Cette aide représenterait, si la production devait atteindre les 650 000 à 700 000 tonnes espérées, 10 francs par kilogramme de coton graine, que le producteur économise ou gagne donc. Si on devait extrapoler, on pourrait dire que, tout compte fait, ces 10 francs gagnés sur le prix subventionné des intrants, ajoutés aux 165 du prix plancher plus les 15 francs de ristourne amènent théoriquement le prix d’achat du coton qui sera cultivé à ... 190 francs le kilogramme. Après la pluie donc vient le beau temps et les cotonculteurs, à l’image de Sankara Seydou et de Sirima Tiémoko de Yendéré, de Sagnon Khalifa et de Kaboré Adama de Tiéfora ou encore de Traoré Go Yacouba, de Traoré Djibril, de Traoré Sidiki et de Traoré Moussa de Tiara se sont dit heureux de ces bonnes perspectives et se sont engagés à retrousser les manches pour produire plus. Ce serait tellement dommage de ne pas profiter de la conjoncture, favorable. La terre ne ment pas Mais ils n’ont pas aussi manqué d’exposer les problèmes qui les assaillent tels le saccage des champs par des troupeaux d’éléphants ; les impayés, pour lesquels certains demandent un moratoire ; la caution solidaire, qu’on veut parfois remettre en cause, car elle est susceptible de décourager les bons travailleurs ; la couverture phytosanitaire, jugée onéreuse et que beaucoup veulent faire au rabais alors que, pour les techniciens, il faut un minimum de 6 traitements ; etc. Pour les envoyés spéciaux de la SOFITEX, il faut adopter le principe de précaution, par un bon dosage (qui n’est pas négociable), car, si ces dernières saisons, la pression parasitaire n’est pas énorme, on semble, dans le bassin cotonnier, avoir déjà oublié hélicoverpa et la mouche blanche, qui ont fait des ravages il y a quelques années de cela. Il ne faut pourtant pas baisser la garde. Quelquefois, ça tourne au dialogue de sourds entre les hommes de Célestin Tiendrébéogo et leur auditoire. "Vous avez raison, mais nous aussi, on n’a pas tort", concède parfois Arsène Somda, qui s’est attelé à revaloriser la paysannerie et son travail, car, sans elle, les sociétés cotonnières ne sont rien. Et d’inciter les brebis égarés qui avaient déserté la filière à réintégrer le troupeau. Cela d’autant plus que la direction générale de la SOFITEX a rapporté sa circulaire n°23 du 25 juillet 2007, qui excluait du circuit les groupements de producteurs de coton (GPC) ou leurs membres qui, l’année passée, après l’augmentation du coût des intrants et la baisse du prix d’achat du coton graine, ont refusé soit de réceptionner lesdits intrants soit les ont retournés en masse à l’envoyeur alors que les commandes avaient été faites en fonction de leurs besoins. Des boycotteurs qui, au dire des responsables de la nationale des fibres textiles, se sont d’ailleurs par la suite mordu les doigts, certains ayant dû vendre à vil prix leurs motos, des bœufs de labour, des charrettes, des ânes, des charrues pour faire face à des besoins urgents. Une situation aggravée par le fait que leurs cultures vivrières n’ont pas profité de l’abandon du coton, puisque, on l’oublie souvent, ce sont les intrants de culture de rente qui servent aussi pour les céréales. "La terre ne ment pas", conclut le D.G. de la SOFITEX, pour qui l’adage selon lequel "on récolte ce que l’on a semé" a rarement été aussi bien illustré. La campagne 2008/2009 s’annonce donc sous les meilleurs auspices. Reste maintenant, pour que le blues de l’or blanc soit désormais un mauvais souvenir, que la pluie soit au rendez-vous. Ousséni Ilboudo Notes (1) : 360 000 tonnes pour l’ensemble du territoire (2) : SOFITEX, Faso coton et la SOCOMA En bref • Pour avoir vu sa production fondre comme neige au soleil (360 000 tonnes de coton graine), le Burkina a perdu sa place de premier pays producteur africain au profit de l’Egypte, qu’il avait surclassée deux campagnes durant. La SOFITEX conserve néanmoins son rang de première société d’égrenage en Afrique au Sud du Sahara. • 1400 milliards de francs CFA, c’est la somme que la filière cotonnière a injectée ces dix dernières années (1996-2006) dans l’économie nationale. 60% de cette enveloppe sont allés aux producteurs de coton (principaux bénéficiaires de la manne) ; 13% ont servi aux amortissements ainsi qu’aux impôts et taxes directes ; 10% pour les transports et les transits ; 7% pour l’énergie et les emballages ; 5% pour le paiement des frais financiers aux banques ; les derniers 5% représentant les salaires du personnel. • Certains ont parfois attribué les difficultés que traverse la filière cotonnière, principalement la SOFITEX, à des problèmes de gestion. A tort, dit-on, dans la mesure où la maison est régulièrement auditée, et si c’était le cas, ça se saurait. A titre d’exemple, ces deux dernières années seulement, la boîte a vu ses états passés au peigne fin tour à tour par l’Agence française de développement (AFD), l’Union européenne (U.E.), la Banque africaine de développement (BAD), le Fonds monétaire international (FMI) sans compter les auditeurs institutionnels de Price Waterhorse. • Pendant les forums, certains producteurs ont réclamé à cor et à cri la généralisation de la culture du coton biotechnologique, qu’ils pensent être la panacée à leurs problèmes de rendement et de traitement phytosanitaire. Comme on le sait, le débat fait toujours rage entre pro et anti-OGM, même si leurs conséquences sur la santé humaine et animale ainsi que sur l’environnement ne sont pas formellement établies. Pour autant, il faut, c’est bien connu, appliquer le principe de précaution, et la culture du coton BT est pour le moment à un stade expérimental aussi bien dans les centres de recherches agricoles que dans des champs pilotes. Pour la campagne à venir, ce sont 15 000 ha de coton BT qui seront emblavés. De l’avis des spécialistes de la question, le cas du Burkina est unique au monde, car la semence O.G.M. burkinabè a été développée par les chercheurs de Farako-Ba (sur la route de Banfora à la sortie de Bobo) avant que Mosento n’y introduise son gène. Contrairement donc au prêt-à-porter semencier, il y a ici une copropriété, et les royalties, apprend-on, seront réparties entre la partie nationale (72%) et la firme américaine (28%) sur la base d’une convention, renouvelable périodiquement. • Au nombre des difficultés qui assaillent les cotonculteurs figurent les impayés, lesquels menacent même de les asphyxier si des solutions idoines n’y sont pas trouvées. Il y a d’abord les impayés externes (avec les institutions de crédits comme la BACB et le Réseau des caisses populaires du Burkina), qui tournent autour de 867 millions de francs CFA, et celles internes aux groupements de producteurs de coton (GPC), estimées à environ 2 milliards 846 millions. De quoi donner des insomnies. Pour les premiers, au regard des résultats de la campagne 2007/2008, la SOFITEX, en accord avec les établissements sus-cités, s’attellera à un rééchelonnement au cas par cas sur une période de trois ans. Pour les seconds, le chef de file de la filière et l’AICB sont en quête de soutiens extérieurs pour aider les GPC qui croulent sous le poids des dettes. "Mais en attendant que ces demarches aboutissent, les GPC devraient trouver des solutions internes". Les producteurs sont de ce fait incités "à une utilisation efficiente du prix complémentaire de 10 francs par kilo pour régler entre eux les dettes internes", la SOFITEX s’engageant à n’opérer aucun précompte de crédit sur cette ristourne..." Rassemblés par O.I. L’Observateur