Bénin : la campagne cotonnière 2002-2003
face à la mondialisation

En ce début de septembre, il est maintenant possible de faire un premier bilan de la campagne cotonnière 2001-2002 et d’envisager à quoi va ressembler la campagne 2002-2003.

En 2001-2002, le Bénin a produit 415.000 tonnes de coton, équivalent à 172.000 tonnes de fibres et 224.000 tonnes de graines.

C’est, du point de vue de la quantité, un record historique absolu.

Par contre, du point de vue économique et financier, c’est probablement l’une des pires années. Les prix du coton sur les marchés internationaux ont été au plus bas et aujourd’hui, il y a encore plus de 50.000 tonnes de fibres, non enlevées par les acheteurs, qui encombrent les entrepôts des égreneurs.

Le déroulement lui-même de la campagne a été calamiteux ; la commercialisation n’a commencé qu’en février, de sorte qu’une partie du coton graine a été mouillé ; les égreneurs ont même refusé d’enlever des quantités en fin de campagne.

Les producteurs ont été frustrés de leurs revenus légitimes ; non seulement les paiements ont été effectués en retard, mais la CSPR doit encore 9,3 milliards de FCFA aux paysans (sans compter 1,3 milliards de FCFA au titre de la campagne précédente !). Au cours de la récente émission ‘‘Regards Croisés’’ du 30 août 2002, les représentants des paysans ont d’ailleurs eu l’occasion d’expliquer les drames sociaux et familiaux que cette situation a entraînés.

Le gouvernement de son côté, s’était engagé à verser une subvention de 45 FCFA le kg de coton graine, soit une ponction sur le budget de l’Etat de 18,7 milliards de FCFA sur la base des 415.000 tonnes.

La campagne 2002-2003 ne se présente pas sous de meilleurs auspices. Le prix de la fibre au niveau international est toujours aussi bas : environ 48 cents en moyenne la livre avec le dollar à 670 FCFA se comparant à 49 cents en moyenne la livre avec un dollar à 730 FCFA lors de la dernière campagne.

Cette année, le FMI a interdit à l’Etat béninois de subventionner la filière coton. Pourtant, il faut rapidement boucler les déficits des campagnes précédentes (les 10,6 milliards de FCFA vus plus haut) et trouver un moyen pour équilibrer la campagne 2002-2003, affectée par la baisse du dollar.

Or, et nous l’avions démontré par ailleurs, le marché international n’est déprimé que parce que les Américains pratiquent un dumping effréné sur leur production de 3,9 millions de tonnes de fibres vendue sur le marché à 48 cents la livre alors qu’elle leur revient à un coût compris entre 80 et 90 cents la livre.

Sans cette production parasite qui fausse l’équilibre du marché international, le prix de la fibre se serait certainement établi aux environs de 75/80 cents la livre ; il y a donc un manque à gagner pour la fibre béninoise de 25 cents minimum la livre.

Cela signifie une perte de 69 milliards de FCFA pour la campagne 2001-2002 (sur la base de 172.000 tonnes de fibres pour 415.000 tonnes de coton graine) et de 53 milliards de FCFA pour la campagne 2002-2003 à venir (sur la base de 145.000 tonnes de fibres, correspondant à la production annuelle moyenne du Bénin de 350.000 tonnes de coton graine).

Ainsi, sur les deux campagnes 2001-2002 et 2002-2003, le dumping américain aura privé le Bénin d’une manne de 122 milliards de FCFA, qui lui aurait permis de desserrer l’étau de la dette extérieure et de financer son développement.

Monsieur Abdoulaye Bio TCHANE, Directeur Département Afrique FMI et ancien Ministre des Finances et de l’Economie du Bénin, lors de son récent passage à Cotonou, a indiqué qu’il était opposé aux subventions à l’agriculture aussi bien dans les pays du Nord que dans les pays africains.

Nous ne pouvons que lui donner raison.

Les pays africains, et singulièrement le Bénin, n’ont nul besoin de subventions à l’agriculture, puisque leur production de coton est parmi les plus compétitives au monde. Par contre, ils ont besoin d’indemnisations contre les préjudices qu’ils subissent du fait du dumping américain (et accessoirement européen).

Plusieurs voies s’offrent au Bénin :

  • se rapprocher du groupe de Cairns dont il partage les intérêts ;
  • fédérer autour de lui les pays africains qui ont le même souci de survie de leur secteur cotonnier (en premier lieu le Mali, le Burkina Faso et le Tchad, mais aussi la Côte d’Ivoire, le Togo, le Cameroun) en vue d’exiger une indemnisation de ceux qui faussent le marché et les frustrent ainsi du fruit légitime de leurs efforts ;
  • poser, avec ces pays, pour condition de leur participation, dans le cadre de l’OMC, à la négociation et à la signature des documents de DOHA, qu’un mécanisme soit immédiatement mis en œuvre pour un déblocage, par le groupe FMI - Banque Mondiale, d’avances sur cette indemnisation, permettant le démarrage de la campagne prochaine avec des comptes apurés. En cas de refus des Institutions de Washington, une démarche pourrait être tentée auprès de l’Union Européenne qui s’honorerait à y répondre, quitte à puiser temporairement dans les fonds de l’enveloppe B de son programme de coopération avec le Bénin pour la période 2002-2007.

Le temps presse ! Combien de temps encore, la vaillante paysannerie béninoise va-t-elle se sacrifier pour assurer la pérennité de la filière coton ?

Déjà, lors de la campagne dernière, beaucoup de producteurs de coton du Zou se sont détournés de cette spéculation  ; deux usines d’égrenage n’ont pas tourné et une troisième a commencé à produire alors que la commercialisation du coton graine était presque finie.

Pour la campagne 2002-2003, les premiers chiffres prévisionnels s’inscrivent en forte baisse par rapport à l’année précédente. Seuls 300.000 hectares auraient été plantés, correspondant à 300.000 tonnes de coton graine, ce qui signifie que le nombre de producteurs qui se détournent du coton s’accroît. Certains le font parce qu’ils n’ont pas été réglés ou l’ont été en retard les campagnes précédentes, d’autres parce qu’aucune assurance n’a été donnée quant au prix d’achat du coton graine pour la présente campagne.

Si ce mouvement prend de l’ampleur, c’est l’activité d’excellence du Bénin qui disparaîtra ; c’est aussi sa jeune industrie oléagineuse, embryon de l’industrialisation du pays, avec ses 20 milliards de FCFA d’investissements, qui sera rayée de la carte.

Au contraire, la mise en place rapide, avant le démarrage de la commercialisation de la saison 2002-2003, d’une avance substantielle sur l’indemnisation évoquée plus haut, redynamiserait complètement la filière coton.

Pour la présente campagne, elle permettrait que le ramassage se fasse dans les temps, sans aucune mouille.

Pour les campagnes suivantes, grâce à la liquidation des arriérés dûs aux producteurs et à l’assurance d’un prix rémunérateur, elle redonnerait confiance à ceux-ci. Elle permettrait de dégager suffisamment de moyens pour que, sous la surveillance de l’Etat, l’interprofession assure un encadrement de la production aussi efficace que dans le passé, centré sur :

  • le respect des dates de labour, de semis et de mise en place des intrants ;
  • le contrôle de la qualité des intrants (dates de péremption, etc.) ;
  • la recherche de variétés toujours plus performantes.

En peu de temps, on verrait la productivité à l’hectare passer de 900 kg en moyenne actuellement à plus de 1.500 kg, avec une amélioration de la qualité de la fibre qui permettrait au coton béninois de bénéficier à nouveau de la prime à la qualité dont le gratifiait naguère le marché international.

C’est maintenant au gouvernement de prendre le problème à bras le corps, dans le respect de la déclaration d’Abidjan de la Conférence des Ministres de l’Agriculture de l’Afrique de l’Ouest et du Centre des 25 et 26 juillet 2002 et dans l’esprit de l’intervention du Chef de l’Etat à la Conférence des Ministres des PMA les 6 et 7 août 2002.

Roland RIBOUX
Président-Directeur Général de
FLUDOR BENIN S.A.
Ancien Président de l’Association des Industriels de la Filière Oléagineuse de l’UEMOA - AIFO-UEMOA

La Nation du 11 septembre 2002

FaLang translation system by Faboba