L'allaitement

A trois ans, un petit Africain encore allaité est-il maigre parce qu'il est au sein, ou au sein parce qu'il est maigre? Une équipe de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) vient de répondre à cette question (1). Et de clore une violente polémique sur les effets négatifs supposés de l'allaitement maternel prolongé. Une idée curieuse, en opposition avec les discours de l'OMS sur l'allaitement. Mais publiée en août 1988 dans une des revues scientifiques les plus sérieuses, The Lancet. Une équipe de chercheurs japonais et ghanéens y relatait l'observation suivante: dans plusieurs villages du Ghana, les enfants allaités au-delà du douzième mois sont plus petits et plus maigres que ceux déjà sevrés à cet âge. Ils en tiraient la conclusion que cet allaitement prolongé était à l'origine de ces retards de croissance.

Tollé scientifique. Pour valider leur thèse, ils avaient carrément monté une expérience sur enfants gravement mal-nourris, en cours de soins dans un centre, en demandant à la moitié des mères de sevrer les enfants brusquement, en comparaison avec l'autre moitié des enfants qui continuaient à téter. Peu probante, et surtout «vraiment douteuse au plan éthique, cette expérience a soulevé un tollé dans la communauté scientifique», raconte Kirsten Simondon, de l'IRD Montpellier. Elle s'est alors lancée dans une étude au long cours sur le terrain, seul moyen pour en avoir le cœur net et éviter que cette idée dangereuse se répande.

L'opération vérité décidée par Kirsten Simondon ne pouvait être réalisée qu'en de rares endroits, puisqu'il faut, dans des pays très pauvres et sans moyens médicaux, s'appuyer sur des dispositifs d'enquêtes fiables. C'est justement le cas au Sénégal, avec l'Observatoire de la santé de la région rurale de Niakhar (2), au cœur du pays Serer, mis en place par l'IRD depuis plus de vingt ans. Son article relate les résultats d'une étude épidémiologique menée sur trente villages, avec notamment des entretiens approfondis avec près de 500 mères.

Retard rattrapé. Ces travaux montrent qu'elles décident de sevrer ou non leurs enfants justement en fonction de leur état de santé, sauf si une nouvelle grossesse vient interrompre l'allaitement de l'aîné. C'est lorsque l'enfant est jugé «petit et maigre», ou «malade», mais aussi quand «la nourriture manque dans la famille» que l'allaitement est prolongé. Des mesures régulièrement réalisées sur les enfants ont démontré, en outre, que ceux qui sont allaités au cours de leur deuxième et troisième année grandissent plus vite que ceux sevrés précocement, et rattrapent ainsi leur retard de croissance. Claire et fiable, la démonstration met fin à la polémique, confirme les bénéfices de l'allaitement prolongé et donne raison aux mères africaines.

(1) Kirsten Simondon et al. International Journal of Epidemiology n° 30, juin.

(2) Lire Libération du 24 avril.

Article tiré du journal Libération du 27 juin.

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