Cinq bonnes raisons de suspendre les négociations sur les APE.

Et aussi, pour l’Afrique de l’Ouest, les difficultés à définir le nouveau Tarif Extérieur Commun.

Dans un article publié récemment par Jeune Afrique, Ablasse Ouédraogo, ancien directeur général adjoint de l’OMC, ancien conseiller spécial du président de la Commission de la CEDEAO sur les négociations commerciales, mentionne cinq (5) bonnes raisons de suspendre les négociations sur les APE.

Manifestation des paysans burkinabè avant la réunion de l'OMC à Hong-Kong en décembre 2005Il s’agit des Accords de Partenariat Économique entre l’Union Européenne et les 76 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). « L’Europe tente actuellement d’imposer ces accords par la force, au détriment du dialogue », nous dit Ablasse Ouédraogo. Il poursuit : « S’ils étaient finalisés dans leur forme actuelle, ils priveraient les pays ACP d’instruments de politique essentiels à leur développement. À l’opposé des objectifs initiaux, ils auraient pour effet de compromettre l’intégration régionale, en aggravant la pauvreté et en empêchant les pays de diversifier leurs productions et de s’affranchir de la dépendance vis-à-vis des produits de base. »

Ablasse Ouédraogo énumère cinq bonnes raisons de suspendre les négociations. On pourrait en trouver d’autres.

Il met en avant la crise économique mondiale.
« Notre planète vit depuis un an et demi une situation de crise financière qui s’est transformée en crise économique et, par la suite, en crise humanitaire dans les pays à faible revenu. Le contexte qui prévalait en 2002 n’est donc plus le même. Le libéralisme triomphant des deux dernières décennies vient de montrer ses limites. L’impact de cette crise a obligé les pays développés à se réorganiser en mettant l’accent sur le protectionnisme. ». Cette seule bonne raison devrait nous suffire. Comment peut-on demander aux pays de l’Afrique de l’Ouest (dont plusieurs sont parmi les pays les plus pauvres au monde) de libéraliser leur économie au moment où les pays riches se tournent vers le protectionnisme.

Il faut aussi se donner le temps de renforcer l’intégration régionale.
« Depuis plus de trente ans, les pays africains, convaincus du fait que seuls des espaces économiques importants sont viables à terme, mettent en place des organisations interétatiques pour promouvoir l’intégration régionale. Ce travail est loin d’être achevé et le commerce intra-régional en Afrique de l’Ouest représente moins de 10 % du volume total des échanges, contre plus de 60 % en Europe. La libéralisation imposée par les APE pourrait accentuer cette extraversion des économies africaines et annihiler les efforts titanesques entrepris par les organisations sous-régionales (CEDEAO, UEMOA, CEMAC, SADC, etc.), pour consolider un marché régional en cours de construction. »

En Afrique de l’Ouest, la seule question du tarif extérieur commun (TEC) manifeste clairement que l’intégration régionale est loin d’être achevée, et qu’il est urgent d’attendre.
De quoi s’agit-il ? Depuis des mois, les pays de la CEDEAO (Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest) se sont mis d’accord pour ajouter un nouveau TEC. Il s’agit d’ajouter une cinquième bande tarifaire de droits de douanes de 35 % aux quatre bandes déjà existantes (aux taux de 0 %, 5 %, 10 %, et 20 %). Il faut maintenant choisir les produits qui doivent être mieux protégés, et donc être classés dans cette cinquième bande. C’est là que les difficultés surgissent.
Nous en avons déjà parlé, notamment en donnant l’exemple du lait : « Il est clair que si les pays du Sahel veulent développer leur filière lait, ils doivent mettre les produits laitiers dans la nouvelle bande tarifaire du TEC de la CEDEAO, la bande dont le taux est de 35 %. Or, nous entendons dire que la Côte d’Ivoire a demandé de classer le lait en poudre (notamment les sacs industriels de 25 kg) à 0 %. Elle considère le lait en poudre comme un intrant pour fabriquer du lait reconstitué ou des yaourts… » (abc Burkina n° 341)

Les éleveurs demandent que le lait en poudre soit taxé fortementNous avions alors demandé que ce débat sur les produits à mieux protéger soit rendu public et que la société civile soit consultée. Nous constatons cependant que le débat est soit au point mort, soit qu’il se fait en dehors de toute transparence.
Toujours pour l’Afrique de l’Ouest. Comment peut-on envisager de poursuivre les négociations avec l’Union Européenne quand on connaît la situation qui sévit au Niger, en Guinée et en Côte-d’Ivoire ?

Oui, avec Ablasse Ouédraogo (et bien d’autres), nous pouvons le dire :
« La crise économique mondiale et de nombreuses autres raisons commandent la suspension des négociations des APE ». Il serait souhaitable que le ROPPA (Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs de l’Afrique de l’Ouest) prenne position en ce sens.
Au Burkina Faso, il me semble que les paysans devraient profiter de « la Journée du Paysan », programmée pour la semaine prochaine, pour proclamer haut et fort :

« La crise économique mondiale et de nombreuses autres raisons
commandent la suspension des négociations des APE !»

Sinon, avec d’autres, je ne serai pas loin de penser qu’il s’agit plutôt de « la Journée du Président » que de « la Journée du Paysan ».
Les paysans du Faso pourraient également profiter de « la Journée du Paysan » pour réclamer que les produits de leur agriculture soient tous classés dans la cinquième bande tarifaire, celle qui offre une protection douanière de 35 %.

Koudougou, le 28 février 2010
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

FaLang translation system by Faboba