La vie chère ne fait pas seulement couler de l’encre et de la salive. Elle a aussi fouetté l’imagination de certaines personnes qui ne manquent pas de remèdes, de solutions qu’elles n’hésitent pas à partager. C’est le cas des paysans regroupés dans la Confédération paysanne au Faso (CPF) qui, dans les lignes suivantes, font des propositions de lutte contre la vie chère.
Comme d’autres pays à travers le monde, le Burkina s’est retrouvé dans la tourmente de la hausse généralisée des prix ou "vie chère". Cette hausse, manifestée particulièrement au niveau des produits alimentaires, est à l’origine des émeutes de la faim dont l’ampleur varie d’un pays à l’autre. Dans l’espace CEDEAO, rares sont les pays où les consommateurs n’ont pas crié leur ras-le-bol, arguant l’incapacité des gouvernants à juguler une crise sans précédent.
Au plan mondial, l’origine de la crise réside dans la flambée des prix des hydrocarbures, l’accroissement de la demande mondiale en produits alimentaires et le développement des agro-carburants. La hausse du prix du baril du pétrole, en allant crescendo et accompagnée de la dépréciation du dollar, a des effets induits sur les produits agro-industriels qui, à leur tour, connaissent un renchérissement. Au même moment, la demande en produits alimentaires s’est accrue compte tenu d’un changement d’habitude alimentaire constaté dans des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil et certains pays africains. L’accroissement de la demande ne s’est pourtant pas accompagné de celui de l’offre. Selon l’USDA, « les stocks mondiaux de céréales ont baissé de 6,5% en 2008 alors que la demande a augmenté de 3,5%. » ( ). Pour des observateurs avisés, ce déséquilibre s’explique par le développement des agro-carburants et une crise de la productivité. En 2008 aux Etats-Unis, 23,7 % de la production de maïs a été converti en éthanol. Ainsi, le Fonds monétaire international (FMI) a affirmé dans un de ses rapports récents que « la fabrication de biocarburants perturbe sérieusement le marché des produits alimentaires. » ( ). Pour sa part, la crise de la productivité constatée surtout dans les pays asiatiques producteurs de riz est à l’origine de la réduction des exportations. Certains pays, dont l’Inde, sont passés d’un statut d’exportateur à celui d’importateur de riz.
Au Burkina Faso, ces facteurs externes se sont conjugués à des facteurs internes d’ordres climatique et politique. Au plan climatique, la saison pluvieuse écoulée a été d’une irrégularité spatio-temporelle avec une installation tardive de la campagne agricole. 2006-2007 s’est effectivement caractérisée par de fortes averses et inondations, de longues périodes de sécheresse et finalement d’une fin brusque des pluies. Au plan politique, la crise résulte en partie du désengagement de l’Etat du secteur de l’agriculture intervenu à la faveur du Programme d’ajustement structurel (PAS) imposé par le FMI au début des années 90. En effet, le PAS est à l’origine d’un faible investissement de l’Etat dans le secteur et d’un démantèlement progressif du dispositif d’encadrement des producteurs. La principale conséquence a été la consommation par les populations de produits alimentaires importés au détriment d’une simulation de produits locaux. Mais à qui donc profite la crise ?
Comme il s’agit d’une hausse de prix de produits alimentaires, d’aucuns concluent rapidement que le producteur serait l’acteur qui tire profit de cette situation. En réalité, la crise a éclaté à une époque où les commerçants de céréales s’étaient emparés massivement des stocks disponibles auprès des producteurs, à vil prix de surcroît. De ce fait, la crise confère des avantages aux commerçants spéculateurs confortés par les achats de précaution des consommateurs.
Quant aux producteurs agricoles, ruraux dans leur majorité, la vie chère s’invite dans leurs ménages déjà frappés par la pauvreté. Selon l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) qui relève chaque mois les prix de 320 biens et services dans 190 points à Ouagadougou pour calculer son Indice harmonisé des prix à la consommation (IHPC), les prix des céréales ont augmenté de 13% ces douze derniers mois, alors qu’en milieu rural l’achat des céréales représente 45% des dépenses, selon la Direction générale des prévisions et des statistiques agricoles (DGPSA).
D’autres produits traditionnellement prisés en ville et dont l’utilisation s’est répandue dans nos villages ont connu des hausses considérables : « 28% pour le savon de ménage industriel local, 15% pour l’essence mélange, 3,2% pour le pétrole lampant, 1,4% pour les produits pharmaceutiques. » ( )
Face aux manifestations de rue et à la pression de la société civile, le gouvernement burkinabè a pris une série de mesures pour apaiser la situation. C’est ainsi qu’après concertation avec les producteurs et les commerçants, il a procédé à la vente des céréales à prix social. En vue de réduire les coûts des produits de grande consommation, le gouvernement a réduit pour une période de six mois les droits de douanes de 30% et les taxes à l’importation sur le riz, le lait, le sel et l’huile. La crise a également réveillé des structures étatiques comme l’Inspection générale des affaires économiques (IGAE) qui a multiplié des sorties de contrôle des prix et de la qualité des produits. Dans certaines localités, le contrôle a permis d’appréhender des commerçants véreux s’adonnant à des pratiques bannies par le droit commercial.
Des solutions émanent aussi des organisations syndicales qui revendiquent prioritairement une hausse des salaires de 25% pour faire face aux dépenses sans cesse croissantes. La Ligue des consommateurs pense à un observatoire pour surveiller les prix et la qualité des produits.
Sur le marché, les mesures gouvernementales n’ont pas eu d’impact significatif sur la structure des prix. Le riz et les autres produits se vendent toujours aux mêmes prix. Dans certaines surfaces et boutiques, la tendance est même au renchérissement. A l’analyse, les mesures gouvernementales semblent arranger les commerçants spéculateurs et les importateurs qui se frottent les mains au regard des avantages fiscaux accordés. A contrario, des groupes déjà vulnérables comme les producteurs agricoles vivent réellement les affres de la crise.
C’est pourquoi, après avoir longtemps observé les manifestations, les tractations et les négociations effectuées pour résorber les difficultés de renchérissement la CPF décide de passer d’une phase d’observation à une phase de propositions. Certaines de ses propositions ont été déjà soumises à la Commission ad hoc sur la vie chère de l’Assemblée nationale. Au nombre de sept, elles se résument à un soutien consistant au secteur de l’agriculture et précisément aux producteurs.
1) L’accroissement de l’investissement dans le secteur agricole
Au Burkina Faso, le niveau actuel d’investissement dans le secteur de l’agriculture doit être revu à la hausse et orienté vers les productions alimentaires. Un effort doit être fait pour consacrer au moins 10% net du budget national à l’agriculture, conformément à la décision AU/Déc. 61 (IV) prise au cours de la 4e session de la Conférence des chefs d’Etat de l’Union africaine à Maputo (Mozambique). Nous parlons bien d’un investissement direct pour financer des activités agricoles au profit des producteurs et non des dépenses de fonctionnement des ministères en charge des questions agricoles.
2) L’accès aux intrants, aux équipements agricoles et aux produits vétérinaires
Les intrants, les équipements agricoles et les produits vétérinaires sont des facteurs importants d’accroissement de la production agro-sylvo-pastorale. Or, au Burkina Faso, l’accès à ces facteurs traduit la grande souffrance des producteurs. Malgré certains avantages fiscaux accordés (concernant la subvention des tracteurs et motopompes), les intrants agricoles (engrais, semences, pesticides, produits zootechniques, etc.), les tracteurs et les motopompes ne sont pas à la portée des petits agriculteurs qui, jusque-là, ont produit 45% des richesses du pays. La facilitation de l’accès aux intrants doit commencer avec l’opération « 700 tracteurs » lancé par le gouvernement. La CPF encourage l’Etat à mettre le matériel à la disposition des organisations paysannes sous forme de coopératives d’utilisateurs de matériel afin de le rendre plus accessible au plus grand nombre. Au sujet des intrants toujours, un système de centrale d’achat des engrais se doit d’être envisagé et assorti d’un mécanisme de contrôle systématique pour veiller sur la qualité des engrais importés.
3) La disponibilité du crédit agricole
La disponibilité du crédit agricole s’entend par la baisse du taux d’intérêt qui est actuellement de deux chiffres, à un chiffre (7%) comme dans certains pays de la sous-région. Cette disponibilité passe également par la suppression de la TVA sur le crédit agricole et la mise en place de mécanismes adaptés à l’investissement agricole (conditions de garanties) et de penser à la garantie des risques liés aux activités de production et de commercialisation des produits agricoles.
4) Le rétablissement du système d’appui/conseil
Le démantèlement du système d’appui/conseil intervenu à la faveur du Programme d’ajustement structurel (PAS) a été d’une grande fatalité pour les producteurs burkinabè. Abandonnés à eux seuls, les producteurs perdent progressivement leurs capacités, tâtonnent dans les systèmes de production et se butent finalement à la baisse de la productivité. Pour parer à cette éventualité, l’Etat doit réinventer un système d’appui/conseil aux producteurs essentiellement basé sur l’appui aux filières agricoles et en concertation avec les organisations paysannes et d’autres acteurs de terrain.
5) Accompagner franchement la commercialisation des produits agricoles
Pour permettre à chaque producteur de maîtriser sa filière d’amont en aval et pour permettre aux consommateurs d’accéder en permanence à la nourriture, l’Etat doit s’impliquer dans la commercialisation en facilitant la mise en place de circuits de distribution, en instaurant un prix minimum garanti et en assurant une meilleure jonction entre la production et le marché. Cette solution paysanne est possible dans la mesure où elle rejoint les propos d’un haut responsable du FMI qui pense que la résorption de la crise actuelle passe en bonne partie par un interventionnisme étatique dans les différentes économies nationales.
6) La protection du marché des produits agricoles et la promotion de l’intégration régionale
Depuis 2002 et dans un élan de visionnaire, la CPF a toujours signalé le danger d’ouvrir nos frontières à des produits agricoles subventionnés à l’exportation. Même compétitifs à court terme, nous assurions qu’à long terme, ces importations allaient mettre à rude épreuve la souveraineté alimentaire au Burkina et en général en Afrique de l’Ouest. L’histoire et la crise nous donnent raison et nous permettent de saisir une opportunité pour inviter le gouvernement à accorder non seulement la priorité à la production, à la transformation et à la consommation des produits locaux, mais aussi à mettre l’accent sur sa participation à la construction de l’intégration ouest-africaine. Espace par excellence de production agro-sylvo-pastorale et d’écosystèmes diversifiés, l’Afrique de l’Ouest dispose d’un marché qui, fondé sur les complémentarités écologiques, facilitera les échanges de produits agricoles entre les Etats et garantira surtout une sécurité alimentaire durable à 255 millions de consommateurs.
7) La méfiance à l’égard des agro-carburants
A l’heure où les agro-carburants sont identifiés comme partie intégrante des causes de la vie chère dans le monde, on constate qu’une faction de Burkinabè manifeste un engouement à l’endroit du jatropha. Elle encourage les producteurs à cultiver massivement cette plante et pense qu’elle peut réduire la pauvreté. La CPF recommande à tous les producteurs de la prudence et propose qu’une étude d’impact des biocarburants sur les ménages ruraux et sur l’environnement soit commanditée.
En conclusion, les paysannes et paysans du Burkina tiennent et croient en ces mesures. Ils fondent l’espoir de les voir appliquer par l’Etat, les opérateurs économiques, les commerçants et les consommateurs. Elles sont incontournables pour assurer une souveraineté alimentaire au Burkina Faso où l’agriculture reste le principal moteur du développement.
Le vendredi 6 juin 2008
Le Président de la CPF
Bassiaka DAO