« La Journée nationale du paysan est une journée des paysans ou une journée des décideurs politiques ? »

Cet article a été publié par le quotidien burkinabè "Le Pays", le lundi 2 décembre 2013. Il mérite toute notre attention.

Le 30 novembre 2013, a été lancée officiellement, l’Année internationale de l’agriculture familiale (AIAF). Et c’est par une conférence de presse que Bassiaka Dao, président de la Confédération paysanne du Faso, et ses camarades ont choisi pour en parler. Mais visiblement, ils en avaient gros sur le cœur sur certaines questions dont celle liée à l’organisation de la Journée nationale du paysan.

 

Le président de la CPF, Dao Bassiaka, lors de la conférence de presse« La Journée nationale du paysan est une journée des paysans ou une journée des décideurs politiques ? », s’est interrogé Bassiaka Dao, président de la Confédération paysanne du Faso (CPF), à la conférence de presse organisée le 30 novembre 2013 à Ouagadougou, pour parler de l’Année internationale de l’agriculture familiale (AIAF). Pour lui, après 20 éditions de ladite Journée, « les résultats atteints suite aux préoccupations sont inexistants.

L’année passée, nous avons demandé la reconnaissance de l’agriculture comme un métier formel à part entière qui génère des droits et des devoirs. Cela fait 10 ans que nous parlons de la mise en place d’un système d’approvisionnement en intrants agricoles de qualité et de quantité. Mais est-ce que c’est la peine de formuler chaque fois des revendications qui sont mises dans des tiroirs ?

La CPF a demandé la création d’une vraie banque agricole avec actionnariat paysan. Les programmes d’urgence qui ont été mis en place concernant la distribution de semences améliorées et des intrants subventionnés visent une minorité. Or, l’on avait parlé des ménages vulnérables. Ces ménages sont choisis par les maires en concertations avec le CVD, sans les Chambres régionales d’agriculture qui représentent la profession agricole, sans les syndicats paysans tels que la CPF.

La première Journée du paysan, organisée par le président du Faso, était un vrai cadre de concertations auquel lui-même avait foi. Mais avec son évolution, l’on constate que chaque petit fonctionnaire, chaque directeur de cabinet veut faire sa promotion à travers cette journée. Vous étiez à la Journée nationale du paysan l’année passée ! Vous avez été témoins des dérapages orchestrés par les ministres, les gouverneurs et autres ! On veut connaître à l’avance ce que les gens vont poser comme question. C’est cela une concertation ? »

En rapport avec le Sénat, Bassiaka Dao a formulé également une plainte : « Toutes les composantes ont été reconnues à travers un quota, mais personne n’a parlé des paysans ». Revenant sur la Journée nationale du paysan (JNP), il a précisé que « la vocation première de cette journée, c’était du genre : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » Mais non ; le maire élabore son plan local de développement, le soumet à un paysan qui l’évoque à la Journée du paysan, mais est-ce cela la préoccupation du paysan ? C’est plutôt celle du maire de la commune rurale ! Mais la préoccupation du paysan, c’est l’accès à l’équipement. Des tracteurs sont venus, mais ce sont les ministres, les députés, les chefs de cabinets qui les ont pris. C’est la Journée du paysan ou c’est la journée des décideurs politiques ? Vous avez le Conseil des ministres, les congrès, les colloques et séminaires où les paysans ne parlent pas. Le jour où ils doivent parler, on les muselle. Sinon ce n’est pas le courage qui manque ».

Revenant à un contexte plus général lié à l’agriculture, Bassiaka Dao et ses camarades ont laissé entendre que « les pays comme le Burkina n’ont pas une vision claire de ce qu’ils veulent devenir. Ils sont tentés de suivre la vision qu’on leur a définie. S’ils avaient une vision claire, ils sauraient qu’une population à 86% qui vit d’un secteur comme l’agriculture, cela confère à ce secteur un risque et c’est comme une bombe à retardement. Est-ce qu’on doit s’amuser avec ce secteur ? Les donateurs comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international imposent un modèle d’agriculture qu’ils estiment rentable et conditionnent leurs dons en fonction de cela.

C’est un peu cela la réalité. Depuis 2004, nous sommes en train de discuter de l’agro-business et l’entrepreneuriat agricole. Montrez-nous au Burkina Faso un exemple d’agro-business ou d’entreprise agricole réussi. Quand vous faites les grands séminaires, c’est l’agro-business. Pourquoi continue-t-on à se tromper soi-même ? Le Burkina Faso est devenu l’un des meilleurs pays cotonculteurs de l’Afrique de l’Ouest. Pourquoi ? Parce qu’il y a un minimum de service qui est rendu à ces gens. Service d’approvisionnement en intrants agricoles, c’est-à-dire les semences améliorées, les engrais et un marché à l’horizon. Les producteurs s’engagent à produire du coton en sachant bien que ce coton ne va pas rester sur leurs bras. On s’est engagé à faire 750 000 tonnes de coton graine et l’on sait que cette quantité sera dépassée parce qu’il y a un soutien. Cette année, plus de 140 000 tonnes d’engrais chimique ont été accordées aux cotonculteurs. Mais toute la subvention réservée à la culture vivrière et ses corollaires est estimée à 13 000 tonnes d’engrais. Dans tous les discours, l’on parle de l’atteinte de la sécurité alimentaire, mais nous, nous disons : allons plutôt à la souveraineté alimentaire. D’un côté, on fixe un objectif et on le dépasse et de l’autre, on sait que la mission régalienne de l’Etat, c’est d’arriver à nourrir tout le peuple à moindre coût. Mais il n’y a aucun intérêt pour l’agriculture familiale. La CPF n’est pas contre l’agro-business. Un agro-business peut être un marché potentiel. Quelqu’un qui s’installe dans une région pour travailler, par exemple dans le domaine du lait, est un marché potentiel pour tous les éleveurs dans un rayon d’environ 100 km. C’est ce qui devait se faire, mais chez nous quand on parle d’agrobusinessman, c’est un accapareur de terres. Ils prennent 400 ou 500 hectares, et n’exploitent même pas 5 hectares. Si aujourd’hui nous avons le quart du soutien accordé aux cotonculteurs, la question de la sécurité alimentaire sera résolue en moins d’une année ».
Pour ce qui est de l’année 2014 déclarée Année internationale de l’agriculture familiale, à en croire les animateurs de la conférence de presse, ce sont les acteurs eux-mêmes qui ont demandé l’érection d’une année pour célébrer l’agriculture dans le monde. Et cela leur a pris trois ans de campagne, de plaidoyers et d’actions diverses afin que le principe passe. « Il y a des millions de personnes qui vivent de cela et pour nous, ce n’est que par l’agriculture familiale que nous pourrons parvenir à la sécurité alimentaire ». A en croire les conférenciers du fait que les gouvernants ne semblent pas prendre à bras-le-corps la question, ils ont estimé nécessaire de saisir l’opinion publique sur les enjeux afin d’amener le gouvernement à prendre des résolutions à cet effet.

Boureima DEMBELE
Le Pays du lundi 2 décembre 2013
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