Lettre ouverte au Ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'artisanat.
« Monsieur le Ministre, je ne vous comprends pas ! »
Monsieur le Ministre,
il y a quelques temps, en octobre dernier, à l'occasion de la première édition des « Koudou du Faso », j'ai eu la joie de vous entendre dire publiquement : « la promotion des produits locaux sera un axe fort de la politique du Faso ».
Mais il y a quelques jours, j'ai lu dans le quotidien Sidwaya, l'arrêté portant fixation des prix du riz de production nationale. A ma grande surprise vous avez fixé, dans toutes les grandes villes du pays, le prix aux consommateurs du riz de production nationale à 300 F le kg, ou 7 500 F le sac de 25 kg, sans autres précisions. Au risque de casser la production nationale, et tous les efforts qui sont déjà entrepris pour promouvoir la qualité du riz local. Je ne vous comprends plus.
Je m'explique !
Déjà début octobre 2011, j'étais très surpris par la chronique de votre ministère : « Produits de grande consommation : le riz local objet de toutes les attentions »
Dans cette chronique, on pouvait lire : « Les prix du riz vendu au Burkina Faso (NDLR : il s'agit d'abord du riz importé, comme la suite le montre clairement) varient en fonction de la gamme de variétés. Actuellement, sur la plupart des marchés de Ouagadougou, le riz ordinaire (bas de gamme ou 25% brisure) coûte 18 000 francs CFA. Le sac de 50 kg du riz de moyenne qualité (milieu qualité ou 15 à 20% brisure) coûte 19 500 francs CFA. Quant au riz de qualité supérieure (haut de gamme ou 5 à 10% brisure), il est vendu entre 19 500 et 20 000 francs CFA le sac de 50 kg au consommateur et 4 000 francs CFA pour le riz de luxe (paquets de 5 kg) moins de 5% brisure. Le riz local est quant à lui vendu à 15 000 francs CFA le sac de 50 kg et 7 500 francs le sac de 25 kg. Les prix dans les autres localités sont fonction du coût de transport. (Fin de citation)
Ce passage suscite plusieurs interrogations.
En 2011, ce n'est, à ma connaissance, que dans les boutiques qui commercialisaient le riz local de la SONAGESS (Société Nationale de Gestion du Stock de Sécurité), subventionné, qu'on a pu acheter du riz à 7 500 F le sac de 25 kg. Au moment où j'écris ces lignes le décret n'est pas encore connu, et le sac de 25 kg de riz blanc burkinabè se négocie autour de 9 000 F et le paquet de 1 kg est vendu, le plus souvent, à 400 F. Faut-il vraiment casser le prix du riz local, au risque de casser la production nationale ? Est-ce vraiment préparer l'avenir, alors que les spécialistes nous disent que le prix du riz disponible sur le marché mondial va encore augmenter ces prochaines années ?
Ce n'est pas tout . Les spécialistes du riz burkinabè distinguent de nombreuses variétés (plus de dix) que tous les consommateurs ne connaissent pas. Mais de plus en plus de consommateurs se tournent vers la variété TS2, que certains appellent déjà le « riz parfumé taïwanais » car les premières semences de ce riz, très apprécié, ont été offertes par la coopération taïwannaise. Et les producteurs sont de plus en plus nombreux à répondre à cette demande des consommateurs. Même en hivernage, où la TS2 résiste moins bien aux vents du mois de septembre que d'autres variétés comme la Tox. Il le font en espérant « vendre la qualité de leur riz », en le vendant à un prix rémunérateur. Pourquoi refuser au riz burkinabè ce que l'on accepte pour le riz importé ? C'est à dire que les prix varient selon la qualité du riz (son taux de brisure, mais aussi son goût, sa pureté...).
Pourquoi le gouvernement distingue-t-il plusieurs variétés quand il s'agit du riz importé, mais pas pour le riz local !? Il aurait été utile d'apporter la même attention au riz local.
Je pense également que les « étuveuses », ces femmes qui se fatiguent pour nous offrir un riz de qualité (même si des progrès sont encore possibles) en étuvant une partie non négligeable de la production nationale, auraient apprécié que l'on distingue le « riz blanc » et le « riz étuvé ».
A vrai dire, je ne suis pas sûr que le riz étuvé soit concerné par l'arrêté « portant fixation des prix du riz de production nationale ». En effet, c'est un riz qui a subit une transformation locale. Or le décret ne parle pas de cette transformation, ni de son incidence sur le prix de vente de ce riz. Il me semble qu'il serait bon qu'un prochain décret précise que le riz étuvé puisse être vendu 20% plus cher que le riz blanc. Cela pour tenir compte du travail (et de l'investissement) de ces femmes « étuveuses » et de la qualité nutritionnelle du riz étuvé.
Monsieur le Ministre, je comprends très bien que vous-même et votre gouvernement se soient engagés à lutter contre la vie chère. Mais faut-il déshabiller Pierre pour habiller Paul ? Je ne doute pas que vous étiez sincère quand, à l'occasion des Koudou du Faso, vous avez dit : « la promotion des produits locaux sera un axe fort de la politique du Faso ». C'est pourquoi, j'espère vraiment que vous saurez prendre cette lettre en considération, et qu'ainsi, très bientôt, ce n'est pas seulement le riz local qui sera « l'objet de toutes les attentions » du gouvernement, mais aussi les producteurs de riz burkinabè et les femmes « étuveuses ». Et les consommateurs burkinabè, qui aujourd'hui, ne regardent plus seulement le prix des produits alimentaires, mais aussi leur qualité.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma très haute considération.
Koudougou, le 9 janvier 2012
Maurice Oudet
Président du SEDELAN