Pendant des années, j'ai appris à travers la presse nationale que la population de Léo (au Sud du Burkina Faso) venait de vivre « la fête de l'igname ». Cette année j'ai demandé à être prévenu à l'avance, et j'ai donc pu participer à la 18ème édition. Je n'ai pas été déçu.
J'ai tenu à participer à cette fête, car je trouve que l'igname est une tubercule merveilleuse. Elle supporte de nombreuses préparations culinaires, et sa culture offre des rendements à l'hectare (pouvant atteindre 40 tonnes à l'hectare) qu'aucune céréale ne peut prétendre approcher. ( Lire notre abc Burkina n° 351 )
Ce samedi 13 mars 2010, j'étais donc à Léo pour la 18ème édition de « la fête de l'igname ». Le thème de cette année était intéressant : « Contribution de la filière tubercule à la sécurité alimentaire ». Mais ce thème a été peu développé. Nous y reviendrons.
La cérémonie d'ouverture était composée de plusieurs discours, dont celui du Président de l'Union des producteurs de tubercules de la Sissili, et pour conclure, celui du Ministre de l'Agriculture. Dans son discours, le Ministre nous a donné quelques chiffres. C'est ainsi que nous avons appris que la province de la Sissili a produit cette année : 900 tonnes de manioc, 31 700 tonnes de patates douces et 31 241 tonnes d'ignames.
Ensuite le Ministre a abordé le thème de la gestion des terres (un thème très sensible à la Sissili où de nombreux acteurs étrangers à la province se sont déjà rendus propriétaires d'une part importante des terres disponibles). Il a défendu la loi, récente, portant sur le régime foncier. Il a dit en substance que la loi ne dépossède pas les producteurs de leurs terres. Qu'il appartient aux producteurs de défendre leurs terres. Il a invité les producteurs à s'approprier la loi, à organiser les débats nécessaires. Sous-entendu, si vous ne le faites pas, nombreux seront ceux qui seront tentés par l'argent facile, et la loi risque alors de se retourner contre vous, les agriculteurs de la province. Il sera alors trop tard !
Puis, ce fut la remise des prix : Deux concours avaient été organisés. Le premier s'adressait aux transformatrices. Les plats primés étaient variés : salade d'igname, igname aux œufs, couscous d'igname, gâteaux d'ignames, dégué d'igname, tô, foutou... Le second concours a vu la participation de 44 producteurs.
La remise des prix terminée, nous avons été visité les stands. L'entrée dans l'enclos qui leur étaient réservé, nous réservait une surprise. Une vue impressionnante. De nombreux tas d'ignames formaient comme une mer agitée par les vagues... Les stands des producteurs d'ignames se ressemblaient tous, mais le stand des transformatrices étaient très diversifiés. Celles-ci présentaient leurs produits : farine, couscous et gâteaux d'ignames... Des produits promis à un bel avenir, si toutefois la production de l'igname devient pérenne, durable.
Et là les interrogations sont nombreuses !
Après la fête, j'ai cherché à comprendre comment une province qui organise chaque année, depuis 18 ans la fête de l'igname, produit moins de 38 000 tonnes d'ignames, alors qu'on nous a parlé de rendement de l'ordre de 40 tonnes à l'hectare. Et j'ai appris que, dans la Sissili, la culture d'igname se pratiquait, pour l'essentiel, sur les nouveaux champs, nouvellement défrichés. Cette culture se pratiquait une seule fois. Dès la seconde année, on passait à une nouvelle culture. Et si on voulait cultiver à nouveau des ignames, on cherchait une nouvelle terre à défricher !
Je suggère que, l'an prochain, le gouverneur organise avec les meilleurs producteurs un voyage d'étude au Bénin, où les Béninois, avec l'appui du Cirad ont réalisé un projet intitulé : « Appui à la production durable d'ignames adaptée à la demande des marchés urbains ». Ils ont publié différentes brochures sur ce thème , notamment un livret ayant pour thème : « Production durable d'igname dans un système intégrant le Mucuna pruriens ». Quand on sait que le Mucuna est une plante fourragère, on se dit qu'il y a là une piste pour, en prime, faire des alliances avec les éleveurs, pour obtenir du fumier pour la production de fumure organique (on préconise 15 à 20 tonnes de fumure organique pour un hectare d'igname; c'est difficile pour un producteur, mais sûrement possible dans une rotation des cultures sur 4 ans). Et on pourra exiger que le « dégué d'igname » soit fait à partir de lait local (et non avec du lait en poudre, comme cette année), pour prétendre obtenir un prix.
Autre suggestion : remplacer, en 2011, la fête de l'igname, par un stage organisé par les chercheurs de l’Institut International d’Agriculture Tropicale d'Ibadan au Nigeria. Cet institut possède de nombreux spécialistes de l'igname, et organise régulièrement des stages dans l'espace de l'Afrique de l'Ouest, à la demande des gouvernements de la région.
La fête de l'igname ne devrait pas reprendre avant qu'une méthode durable de production d'igname soit pratiquée par les producteurs (au moins une partie notable) de la Sissili. Aujourd'hui, il est irresponsable d'encourager la production d'ignames sans chercher à rendre la production pérenne, durable.
Koudougou, le 14 mars 2010
Maurice Oudet
Président du SEDELAN