Il y a moins d’un mois la revue francophone l’Expansion.com a publié une interview très intéressante de M. Marc Dufumier agronome et professeur titulaire de la Chaire d’agriculture comparée et de développement agricole à l’Institut National Agronomique Paris. En voici l’essentiel.
L’Expansion : La crise économique, en fragilisant les pays en développement, pourrait-elle entraîner de nouvelles émeutes de la faim ?M. Dufumier : Oui, je suis très pessimiste à ce sujet. Le problème de la pauvreté n'est pas du tout réglé. Et la pauvreté est la principale origine de la faim. Environ les trois quarts des personnes affamées sont des agriculteurs qui n'ont pas assez de revenus ou qui ne produisent pas assez pour se nourrir. Le quart restant est constitué de ruraux qui ont migré vers les villes car ils n'étaient pas suffisamment compétitifs. C'est cette population qui a participé aux émeutes.
Comment peut-on améliorer le revenu de ces petits agriculteurs ?
Il faudrait mettre en place des droits de douane conséquents pour leur permettre d'avoir un revenu incitatif, rémunérateur et stable. Cette politique de prix garantis bénéficierait immédiatement à l'agriculture familiale. C'est plus efficace que les aides publiques au développement qui sont souvent détournées avant d'arriver dans les campagnes reculées. Les sommes ainsi récoltées pourraient être redistribuées aux populations urbaines à travers des créations d'emplois. L'Europe a mené cette politique au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce qui lui a permis d'être rapidement excédentaire.
Pourquoi l'effort des politiques agricoles doit-il porter sur l'agriculture familiale ?
Ce modèle a fait ses preuves pour lutter contre la faim. L'agriculteur qui cultive individuellement des terres sait se prémunir contre les aléas, en constituant des stocks et en diversifiant leurs cultures et il sait utiliser les ressources naturelles renouvelables. Au Brésil ou en Argentine, les cultures vivrières ont été abandonnées au profit d'une agriculture salariée. Désormais, dès que les coûts d'un salarié augmentent, on le remplace par un désherbant ou une machine. Les paysans sont évincés de leur campagne alors qu'il n'y a pas d'emploi en ville. Ces pays exportent des produits alimentaires mais tous les habitants ne mangent pas à leur faim.
Supprimer les barrières protectionnistes des pays développés peut-il régler le problème de la faim ?
L'Union européenne a promis de supprimer les restitutions (subventions) aux exportations en 2013. Cet outil autorise l'exportation de produits agricoles vers le Sud à un prix inférieur au coût de production. C'est un progrès mais il reste d'autres subventions qui devraient être abandonnées. On pourrait réorienter les aides vers des produits de qualité et vers les marchés solvables comme les Etats-Unis ou l'Europe.
Parallèlement, les gouvernements des pays pauvres devraient faire davantage confiance à leur paysannerie locale, pour les choix d'investissement par exemple. Il y a actuellement une vraie coupure entre ville et campagne. La défense des intérêts des urbains passe par l'amélioration de la situation économique des agriculteurs. A Madagascar par exemple, le président déchu a fait preuve d'un mépris pour les paysans en décidant de vendre la moitié des terres cultivables à Daewoo, une société de la Corée du Sud.
Ces propositions peuvent-elles être entendues par les décideurs politiques ?
(En France) le ministre de l'agriculture Michel Barnier a récemment demandé une réorientation des aides au développement vers l'agriculture. Mais les lobbies de l'agroalimentaire restent très puissants et freinent cette évolution. La Commission européenne n'est pas favorable non plus à un plus grand soutien aux pays en développement. La crise actuelle pourrait cependant être l'occasion de remettre à plat tout le système alimentaire mondial.
Marc Dufumier,
le 20 avril 2009
L’Expansion.com