La souveraineté alimentaire fait une percée aux Nations Unies
Les paysans burkinabè, comme ceux du reste du monde, ont désormais un allié au sein même de l’Organisation des Nations Unies.  En effet le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, M. Olivier de Schutter, considère  la souveraineté alimentaire comme essentielle pour résoudre la crise alimentaire mondiale.

Conférencier à Montréal, le 8 novembre 2008, M. De Schutter a rappelé qu’il y a près d’un milliard de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, dont 80 % sont des producteurs de nourriture, soit des petits paysans, des travailleurs sans terre ou des éleveurs de bétail. « La crise alimentaire est la goutte qui a fait la preuve que le système actuel ne fonctionne plus » , a-t-il souligné devant quelque 200 personnes. 

« Et il est irresponsable de prétendre que la solution à cette crise réside dans la libéralisation du commerce », réfutant ainsi l’argumentaire du directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy. « L’Inde exporte des produits agricoles d’une valeur de 2,4 milliards de dollars américains alors que 235 millions de personnes y souffrent de la faim », a expliqué M. De Schutter. 

La faim ne découle pas d’un manque de nourriture, mais d’un problème d’accès en raison d’un pouvoir d’achat insuffisant des populations ou de politiques publiques qui conduisent à violer le droit à l’alimentation. » D’où la priorité de garantir un revenu stable et rémunérateur aux petits producteurs agricoles. 

Impasses
La nourriture n’est pas une marchandise comme les autres, a soutenu M. De Schutter, et ce serait une « pure folie » de la soumettre aux mêmes règles à l’OMC. À ses yeux, « il faut redomestiquer l’OMC, qui a été établie délibérément hors de l’ONU en 1994 afin de donner une autonomie au commerce international. Il faut soumettre l’OMC aux droits de l’homme qui priment sur le droit au commerce mondial ». 

M. De Schutter a dénoncé l’absence de coordination entre les politiques d’agences internationales comme la FAO ou le Programme alimentaire mondial (PAM) et celles de l’OMC ou du Fonds monétaire international. La gouvernance mondiale réclamée par des pays mérite donc d’être explorée. 

La libéralisation du commerce mondial en agriculture a de multiples coûts cachés, a signalé cet expert en droit. Elle augmente la vulnérabilité des pays à l’évolution des prix sur les marchés internationaux. En cas de crise alimentaire, les pays importateurs nets ne réussissent plus à payer la facture pour nourrir leur monde. Le commerce international accroît la compétition et l’écart entre les très petites exploitations (moins de 2 ha) qui constituent 85 % des fermes du monde et celles qui s’étendent sur plus de 100 hectares. 

« Je refuse l’approche économique fondée sur les avantages comparatifs qui aboutit à condamner les populations rurales des pays en développement dont 80 % vivent d’agriculture. » La libéralisation renforce le poids des firmes multinationales de l’agroalimentaire. Elles fixent le prix des intrants à des agriculteurs souvent mal organisés, elles peuvent acheter partout sur la planète et empêchent les agriculteurs de toucher une part acceptable du prix payé par les consommateurs. 

La souveraineté alimentaire
Tout au long de son exposé, M. De Schutter a fait ressortir les recoupements entre le droit à l’alimentation et la souveraineté alimentaire. Du bonbon pour les tenants de la gestion de l’offre ! « Le droit à l’alimentation ne se limite pas au droit de manger, mais il implique un revenu suffisant pour les agriculteurs et des produits à prix abordables pour les consommateurs. Il suppose que les États nationaux adoptent des stratégies pour le concrétiser notamment par des législations-cadres. Les États doivent même respecter le droit à l’alimentation des pays étrangers en contrôlant les acteurs privés qui pourraient y porter atteinte par le dumping notamment. » 

M. De Schutter a repris les mêmes grands axes que ceux de la Déclaration de Montréal sur la souveraineté alimentaire, signée par une quarantaine d’organismes, un an plus tôt. Elle implique le droit d’un pays de définir ses modes de production et de consommation alimentaires. Elle oblige les États à protéger leur secteur agricole contre le dumping et contre la volatilité des prix agricoles. « La souveraineté alimentaire ne suppose pas l’autosuffisance, mais elle exclut que les choix soient dictés par les exigences du commerce international », a-t-il avancé.


La gestion de l'offre
Pour respecter le droit à l’alimentation, « les États doivent d’abord pouvoir réguler les prix par la gestion de l’offre, grâce à des offices nationaux de commercialisation, a signalé le rapporteur spécial. La gestion de l’offre stabilise les prix sur le marché, garantit un revenu décent aux producteurs et évite aux consommateurs d’assumer la volatilité des prix. Le lait aux États-Unis est moins cher qu’au Canada. 

Cette approche suppose de renoncer à la réduction des barrières tarifaires programmée à l’OMC ». Un discours connu au Québec ! Il faut par ailleurs renforcer la capacité d’accès aux marchés des petits producteurs agricoles et régénérer l’agriculture des pays en développement affichant un déficit vivrier. M. De Schutter propose plus de solidarité entre pays importateurs et pays exportateurs par la création d’une réserve internationale virtuelle de grains. 

Le hic…
Le ton de M. De Schutter est certes moins agressif que celui de son prédécesseur, le Suisse Jean Ziegler, mais ses propos sont tout aussi tranchants. Sa tâche consiste à faire rapport à l’Assemblée générale des Nations Unies et au Conseil des droits de l’Homme qui regroupe 47 pays. Le seul hic, c’est qu’il n’a pas le pouvoir de faire appliquer ses recommandations dont le sort dépend des pressions des médias et de la société civile. Et de son propre aveu, sa vision est encore marginale à l’ONU.

D'après un article de Jean-Charles Gagné, La Terre de chez nous, du 13 novembre 2008.

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