lundi 28 avril 2008, par Bendré
On peut faire une, deux, trois …quatre boutiques à Ouagadougou sans voir le riz local de la vallée du Sourou, de la Plaine de Banzon, de Bama. Sur les milliers de boutiques de Ouagadougou, la capitale du Burkina et grand centre d’affaires du pays, il n’y a que quelque deux ou trois points de vente public du riz local. Ce riz coûte 15 000 FCFA le sac de 50 Kg. La difficulté d’accès constitue une épine pour une consommation plus large du riz local.
Pendant que le riz qui provient de l’étranger est accessible au Burkinabè moyen, le riz local passe pour rare comme de l’émeraude. C’est à croire que le Pays des hommes intègres est le plus mauvais disciple du Programme alimentaire mondial (PAM). Il n’a visiblement rien a apporter en matière de production de riz qui est l’une des céréales les plus consommées sur la planète. Or, ni les conditions climatiques, ni l’eau ou la qualité des sols n’empêchent que le riz soit cultivé au Pays des hommes intègres.
Un autre hic à la vente du riz local c’est la mentalité. Dans la peau du colonisé, les consommateurs pour la plupart préfèrent le riz importé. Il y a manifestement une volonté politique de libéralisation de l’économie dans notre pays qui n’arrange pas tout le monde. Les commerçants ou « officieux commerçants » sont eux-mêmes juges et parties dans l’importation du riz dans notre pays. Cela ne va certainement pas plaire au député Nabaho Kanidoua - il l’a exprimé du reste lors du discours sur l’état de la nation à l’Assemblée nationale- mais c’est la réalité. Il y a des années où la récolte annuelle de riz local était excédentaire. Mais les producteurs de riz ne sont pas arrivés à liquider leur production. Leurs produits sont noyés par du riz importé. Une des pratiques en cours qui rend plus rare encore le riz local, c’est l’achat par les commerçants du riz sur les plaines elles-mêmes. Ils mélangent ensuite ce riz à celui importé qui coûte plus cher afin de dégager une plus grande marge de bénéfices.
Face à cette rareté du riz local, l’Etat aurait du mettre en place des structures de contrôle des prix qui vont recueillir des taxes à l’importation ou qui vont déterminer des quotas d’importation. Quid de la protection du marché national ? L’importation du riz dans notre pays est l’affaire de rares commerçants, de sociétés écran aidés dans leurs élans monopolistiques par des politiques tapis dans l’ombre.
Ecoeuré par le calvaire des producteurs de riz burkinabè qui n’ont qu’un marché restreint, le père Maurice Oudet, alter-mondialiste, du Service d'Edition en langues nationales (SEDELAN) écrivait aux pages 16-17 de son œuvre.
« Pour illustrer les résultats désastreux de cette politique libérale sur l’agriculture, je vous invite à faire un petit tour dans la rizière de Bama (à 25 km de Bobo-Dioulasso, au sud-ouest du pays). Vous y trouverez des producteurs de riz découragés. Certains ont transformé leur parcelle en champ de maïs ou en jardin potager. Si vous faites remarquer que la rizière est mal entretenue, ils vous diront qu’ils se sont d’abord occupés de leurs champs de maïs avant de venir sur la rizière. C’est qu’à la récolte, le prix qu’on leur propose ne les arrange pas ! Cela couvre à peine leurs coûts de production. Vous vous demandez : comment en est-on arrivé là ? Suivez-moi. Nous allons nous rendre sur le marché de Bobo-Dioulasso. Regardez ces sacs de riz. Approchez ! Que voyez-vous ? « Eléphant d’Afrique ». En quoi cet éléphant est-il africain ??! Il vient de Thaïlande, pour narguer et piétiner l’Afrique ! …et les producteurs de riz africains ! ».
Dans ce contexte de vie chère où le slogan du « Consommons burkinabè ! », cheval de bataille des révolutionnaires du 4août ressurgit, il serait préférable pour les décideurs politiques qu’on encourage une production locale par des décisions politiques efficientes.
Pendant longtemps, il était question pour les pays du Sud de « sécurité alimentaire ». Cette notion implique la production en quantité suffisante de céréales pour la planète. Elle avait pour avantage de prévenir les Etats de crises alimentaires immédiats ou à venir. Dans ce sens, des hypothèses, des statistiques, des sondages sont permanemment produits et mis à jour pour faire des prévisions justes des campagnes agricoles en cours ou à venir. Avec la subvention des producteurs européens et américains par l’Union Européenne et les Etats-Unis, avec à la clé la récente protection de stocks de riz par certains pays producteurs, il y a nécessité que les Etats du Sud trop liés à la consommation de ce riz, prennent des mesures pour réduire leur vulnérabilité les années à venir. La souveraineté alimentaire, notion introduite par l’économiste Campesina au Sommet mondial de l’Alimentation en 1996 résume mieux l’enjeu de la lutte des producteurs de riz africains. Il désigne ainsi cette notion : « La souveraineté alimentaire désigne le droit des populations, de leurs Etats ou Unions à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping vis-à-vis des pays tiers ». Elle implique la priorité à la production agricole locale, l’imposition de taxes sur les importations à trop bas prix ainsi que la maîtrise de la production sur le marché intérieur et l’implication des paysans dans la prise de décision agricole.
Aucune nation ne s’est développée sans la maîtrise de ses outils de production agricole. C’est par une production locale maîtrisée et suffisante qu’une plus-value peut-être dégagée pour booster le développement des autres secteurs d’activité et partant du pays. C’est bien dommage que notre sécurité alimentaire soit entre les mains d’autres nations et qu’on ne cogite pas dans le sens de la souveraineté alimentaire.