Nous, organisations de la société civile, tenons à protester contre les APE tels qu’ils sont proposés actuellement par l’Union Européenne.
Nous croyons que la coopération UE-ACP doit être fondée sur une approche qui
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soutienne le développement durable des pays ACP et la réalisation de droits humains économiques, sociaux, environnementaux, culturels et civils ;
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soit basée sur le principe de non réciprocité et celui d’un traitement spécial et différencié pour les pays les moins avancés ;
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reconnaisse aux producteurs ACP le droit à protéger commercialement leurs propres marchés, locaux et régionaux, comme eux-mêmes et leurs gouvernements l’estiment nécessaire ;
- reconnaisse et soutienne le droit des pays ACP à la souveraineté alimentaire
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assure et protège le droit des pays ACP à disposer de l’espace politique nécessaire leur permettant de formuler et de poursuivre leurs propres stratégies de développement.
Tout en présentant les APE comme des “instruments de développement”, l’UE pousse pour qu’ils deviennent des accords de libre échange amples et approfondis. Les propositions de l’UE auraient comme effet non seulement d’éliminer presque tous les droits de douane sur les biens et les marchandises, mais ils comprendraient aussi la libéralisation des services, des investissements et des marchés publics et imposeraient des règles sur la politique de concurrence, la propriété intellectuelle, la protection des données, la facilitation du commerce, etc.
De tels APE ouvriraient les marchés ACP à la concurrence inégale des exportations européennes ; ils mineraient les efforts d’intégration régionale, et détruiraient les industries naissantes, l’agriculture familiale, les emplois et les conditions de vie. Ils réduiraient fortement l’espace politique dont disposent les ACP pour dessiner et réguler leurs propres politiques qui répondent à leurs besoins et objectifs de développement. Les APE amèneraient à une augmentation des inégalités sociales et de la pauvreté.
Face à la date butoir formelle du 31 décembre 2007, l’UE met une pression énorme sur les pays ACP pour qu’ils signent des APE avant la fin de l’année en agitant la menace de diminuer l’aide au développement et d’augmenter les droits de douanes sur les importations.
Nous condamnons le recours à de telles tactiques d’intimidation contre des pays parmi les plus pauvres du monde ainsi que l’exigence de relations commerciales réciproques entre des pays de capacités économiques si inégales.
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Nous, Organisations de la Société Civile du Burkina Faso, et donc de la CEDEAO, sommes inquiets car la position de la CEDEAO n’est pas claire. Nous ne comprenons pas pourquoi elle négocie en cachette. Alors que l’Accord de Cotonou prévoit d’associer les Acteurs Non Etatiques (communément appelés ANE !) aux négociations, tout se fait dans l’ombre, du côté de l’Union Européenne comme du côté de la CEDEAO. Nous demandons à être informés au jour le jour sur l’état des négociations.
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Plus grave, nous ne comprenons pas pourquoi la CEDEAO tarde tant à réformer le TEC (le Tarif Extérieur Commun qui définit le niveau des taxes à l’importation). La forte augmentation du prix des importations du riz, du blé, du lait en poudre, de l’huile... en provenance du marché mondial fait apparaître clairement que le TEC de l’UEMOA est beaucoup trop libéral. Il n’a pas permis de développer la filière riz, ni la filière lait pour ne citer que de ces deux filières. Aujourd’hui, il est encore temps de le corriger. Nous avons toute liberté pour ajouter une bande tarifaire (donc une taxe à l’importation sur certains produits) à 50 % et pourquoi pas une autre à 100 %. Mais si nous signons un APE avec l’Union Européenne, nous ne pourrons plus modifier le TEC vers le haut, et nous ne pourrons plus rien taxer à l’importation à plus de 20 %, ce qui n’est pas significatif. Cela ne nous protège même pas des fluctuations du dollar, sans parler des mouvements du marché mondial. Aussi, demandons nous à la CEDEAO d’introduire de nouvelles bandes tarifaires dans le TEC actuel, avec, au minimum, une bande tarifaire à 50%. La constitution de la liste des produits spéciaux (ceux qui seront dispensés de libéralisation dans le cadre de l’APE avec l’Europe) est d’une importance capitale. Elle doit se faire dans la transparence (en dialogue avec la société civile). Elle ne peut être bâclée en quelques jours, simplement pour répondre à la volonté de M. Peter Mandelson, le négociateur en chef de la Commission Européenne qui veut conclure les négociations avant le 31 décembre 2007. D’autre part, elle est liée à celles des produits sensibles qui sont actuellement en négociation à l’OMC. La voie normale serait de négocier à l’OMC une liste de produits sensibles la plus large possible, puis d’y ajouter les produits spéciaux, c’est à dire, ceux qui seraient dispensés de libéralisation dans le cadre d’un APE. Il s’en suit que rien ne justifie de signer un APE avant que le Round de Doha ne soit achevé à l’OMC.
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Il est reconnu qu’ à l’OMC, la libéralisation entre une grande puissance telle que l’Union Européenne, et une région parmi les plus pauvres de la planète, comme la CEDEAO, peut être asymétrique. C’est à dire que l’Europe peut libéraliser ses échanges à 100 % pendant que la CEDEAO ne les libéralise qu’à 50 ou 60 %. L’OMC ne chiffre pas ce taux de libéralisation. La CEDEAO ne devrait pas négocier à partir de la position de l’Europe, mais partir de ses besoins. Un taux de 50 % paraît beaucoup plus respectueux des intérêts de l’Afrique de l’Ouest, et tout à fait défendable devant l’OMC, et donc devant l’Europe qui s’appuie constamment sur les règles de l’OMC pour pousser les pays ACP à une libéralisation presque totale. Le ROPPA a développé une bonne argumentation en ce sens.
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De ce qui précède, il est facile de conclure que la date butoir proposée par l’Union Européenne (décembre 2007) est tout à fait irréaliste. Bien plus, elle ne peut être justifiée en rien. Le cycle de Doha devait s’achever en 2004. Puisque les APE sont liés aux règles de l’OMC, attendons au moins la fin du cycle de Doha pour conclure un APE. Négocions à l’OMC nos produits sensibles, rappelons le bien-fondé des préférences commerciales... et surtout prenons le temps de négocier un APE favorable aux deux parties, et notamment au développement de l’Afrique de l’Ouest et à la lutte contre la pauvreté, parties intégrales de l’Accord de Cotonou.
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L’Assemblée Nationale sera appelée à ratifier l’APE quand les chefs d’Etat de la CEDEAO l’auront approuvé. Nous ne comprenons pas comment, aujourd’hui, l’Assemblée Nationale semble se désintéresser des négociations qui préparent cet APE. Quant à nous, membres de diverses Organisations de la Société Civile et signataires de ce document, nous demandons qu’un débat soit institué sans tarder à l’Assemblée Nationale sur les enjeux d’un APE, et qu’il se prolonge à travers l’ensemble des médias du pays.
Le 11 juin 2007, répondant à la question d’un journaliste, le Premier Ministre, M. Tertius Zongo disait : « Aller tout de suite aux APE n’est pas la solution ». Nous partageons pleinement cette prise de position. Pour dissiper nos inquiétudes, nous souhaitons vivement qu’une délégation des signataires de ce document puisse nous représenter auprès du Premier Ministre dans les tous prochains jours.
Ouagadougou, le 27 septembre 2007
Ont signé :
La CPF (Confédération Paysanne du Faso)
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Le ROPPA (Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest)
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Le RECIF-ONG
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Le SEDELAN (Service d’Editions en Langues Nationales)
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L’Inades - Formation
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Le SPONG (Secrétariat Permanent des ONG)
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L’ORCADE |
La (LCB) Ligue des Consommateurs du Burkina
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L’AJAD (Association Jeunesse Action et Développement)
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ATTAC-Burkina |
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