"Que cherchez-vous dans ce réseau... |
De nombreux réseaux participent aux différentes campagnes sur la souveraineté alimentaire, ou pour des Accords de Partenariat Economique entre l'Europe et les pays ACP (Afrique, Caraïbe et Pacifique) respectueux des besoins des populations de ces régions. Le réseau AEFJN (en français Réseau Foi et Justice Afrique-Europe :
http://www.aefjn.org/fr/bienvenue.htm ) en fait partie. Depuis 1988, ce réseau international, basé sur la foi et mandaté par 45 Instituts religieux et missionnaires catholiques oeuvrant en Afrique et en Europe, travaille à promouvoir des relations économiques équitables entre l'Afrique et l'Europe. Des groupes de religieux(ses) dans différents pays d'Afrique et d'Europe, les Antennes d'AEFJN, sont attentifs à nos préoccupations au niveau de leurs pays respectifs, tandis que, dans l’administration de chaque Institut membre, une personne contact intègre nos objectifs dans les programmes de "Justice et Paix" de l’Institut. A la base, comme dans les autres réseaux, le travail d'animation n'est pas toujours facile. La bonne volonté ne suffit pas, comme en témoigne l'échange de correspondance entre deux membres de ce réseau que nous vous proposons. Nous le publions car il rend bien compte des réactions que nous pouvons percevoir. Et il montre à l'évidence la nécessité d'être le plus clair possible, et de s'assurer d'être bien compris. Je suis sûr que de nombreux animateurs ont vécu et vivent de telles situations. Voici un premier courrier faisant état de difficultés de communautés vivant en Afrique pour participer à la campagne : "L'Europe est vache avec l'Afrique" "Je profite de ce courrier pour vous expliquer la non participation des soeurs de notre congrégation à la pétition contre la vente de lait en poudre par l'Europe à l'Afrique. Nous avons des soeurs dans la région sud-est (d'un pays africain), une région très pauvre, enclavée, que personne ne prend en considération. Le climat y est dur, il n'y a pas d'élevage de vaches laitières mais l'élevage de boeufs. Les soeurs sont privées de beurre; par contre elles apprécient de trouver dans les commerces du lait en poudre. Lorsque j'ai visité les communautés de cette partie du Cameroun, je leur ai parlé du réseau foi et justice et de la campagne menée pour le développement de l'élevage en Afrique en interdisant la vente du lait en poudre à l'Afrique. De la part de toutes les communautés sans exception, la réaction a été un tollé général : " Que cherchez-vous dans ce réseau... à affamer encore davantage l'Afrique ? " Au point de vue intellectuel votre démarche semble bonne mais elle est utopique. Ce n'est pas par la suppression de la vente de lait en poudre qu'il faut commencer, mais plutôt par l'essai de l'élevage de vaches laitières dans la région". Leur réaction par rapport à la vente des poulets surgelés à l'Afrique avait été semblable. Devant la colère de soeurs missionnaires face à cette pétition, il m'a semblé plus honnête de ne pas la présenter aux soeurs de la Congrégation. Peut-être ai-je tort ? mais je ne suis pas assez au clair avec cette question pour proposer aux soeurs de signer la pétition. Vraiment, je le regrette." Voici la réponse d'un membre du réseau de l'antenne de Paris : "Bonjour, Peut-être ne nous sommes-nous pas bien fait comprendre. Il s'agit de laisser les pays d'Afrique décider de leur politique alimentaire qui demande : 1- à nourrir les populations au moindre coût (donc importer pour l'appoint, et pourquoi pas d'autres pays d'Afrique plus "laitiers" par exemple) 2- et à favoriser le développement d'une production locale (ce qui demande du temps) et qui sera d'un coût supérieur pendant longtemps encore. Les campagnes demandent à l'Europe d'arrêter de subventionner les exportations qui interdisent à l'Afrique de développer leur agriculture (maïs, poulet, lait), et à ne pas imposer à l'Afrique l'ouverture totale de ses frontières commerciales. Et non d'interdire d'importer ! La solution d'un élevage de vaches laitières dont parlent vos soeurs est bien dans l'axe de cette campagne, surtout si dans cette région on élève déjà des boeufs, ce qui veut dire que ce genre d'élevage y est possible. Je me permets de vous renvoyer le document à partir duquel la campagne a été présentée au Forum du 6 novembre dernier. Il vous donnera des arguments pour informer vos soeurs en France et surtout en Afrique. Merci de nous avoir donné l'occasion de cet échange qui montre votre engagement dans ce type de plaidoyer. Je vous assure de ma cordiale amitié. Enfin, voici la réponse au courrier ci-dessus : Merci pour l'attention que vous avez apportée à ma réaction... Merci aussi pour la rapidité de votre réponse et pour les précisions que vous me donnez sur la campagne lait... Elles sont éclairantes! En vous lisant, je prends conscience que j'ai fait quelques raccourcis qui durcissent les moyens mis en oeuvre par la "campagne lait" pour développer la production du lait en Afrique. Par exemple, lorsque je parle d'interdire l'exportation du lait en poudre en Afrique, alors que cette campagne demande à l'Europe d'arrêter de subventionner les exportations qui empêchent le développement de l'agriculture en Afrique. Cette erreur peut bloquer ceux et celles qui entendent ces propos. Je vous ai parlé du désaccord des soeurs de ma congrégation... Par contre, je veux vous partager deux autres réactions tout à fait différentes, celle de Monseigneur X, évêque de Y. Cet évêque est très soucieux du développement de son peuple... Il a un élevage de boeufs (nous sommes en Afrique et non en France!)... et lorsque je lui ai parlé d'élevage de vaches laitières dans cette région... il ne voyait pas cela impossible. Une deuxième réaction qui va aussi dans le même sens que la précédente c'est celle du chancelier de l'évêché de Z. Cette solution de promouvoir l'élevage de vaches laitières dans cette région était pour lui source d'enthousiasme. En arrivant à l'évêché de Z, il aurait aimé élever une vache... mais l'évêque ne l'y a pas autorisé. Je vous partage ces quelques réactions pour vous montrer que les réunions que vous organisez au réseau foi et justice sont des lieux de prise de conscience qui nous obligent à parler de certaines questions vitales touchant l'avenir de l'Afrique aussi bien à nos soeurs en France qu'en Afrique et à d'autres personnes soucieuses du développement de ce pays. Encore merci de votre attention et de votre réponse.
En lisant cet échange et en vous transmettant ce courrier, je me dis que notre travail en réseau a sa raison d'être ! Koudougou, le 16 janvier 2007 |