Et si les peuls étaient en train de changer de stratégie ! |
Il y a un peu plus d'un mois, j'étais à Batié, au sud-ouest du Burkina Faso, invité par le responsable de la mini laiterie. Nous avons fait une réunion avec une trentaine d'hommes, âgés de 30 à 50 ans, représentants les campements peuls de Batié et des environs (jusqu'à 30 km). Au cours de cette réunion, j'ai posé la question : "Qui parmi vous est né à Batié ou dans ses environs ? " Personne ! " Tous venaient du nord (Djibo, Yako, Koudougou...). Ainsi, par manque d'espace, ces peuls avaient quitté définitivement leur lieu de naissance pour se sédentariser dans la région de Batié. Or Batié, est à l'extrême-sud du Burkina Faso, dans cette sorte de prolongement situé entre la Côte d'Ivoire et le Ghana (voir une carte du Burkina Faso). Aussi, voici ce que j'ai répondu : " Vous êtes descendu vers ici, par manque d'espace, par manque de pâturage. Cela vous a permis de résoudre pour un temps vos difficultés. Mais d'ici peu ces mêmes problèmes vont vous rattraper. Personnellement, je suis arrivé en Haute-Volta (l'ancien nom du Burkina Faso) en 1965. Il y avait alors 4 millions d'habitants. A la fin de l'année nous serons 14 millions. En 2035, la population du Burkina Faso devrait s'élever à 30 millions d'habitants. Cela veut dire que chaque burkinabè aura moins d'espace à sa disposition. Mais aussi qu'il y aura moins d'espace pour les animaux. Le monde a changé. Le monde continue de changer. Je pense que vous ne devez plus vous poser la question : 'Où allons-nous aller pour continuer à vivre à la façon de nos parents; mais plutôt, que devons-nous faire pour bien vivre ici, et pour que nos enfants puissent bien vivre ici à leur tour. " Ma réponse a été bien accueillie. Tout simplement, je crois, parce qu'elle rejoignait les inquiétudes de ces éleveurs traditionnels. Jusqu'ici, ils se sont repliés sur eux-mêmes, sur leur culture et leur mode de vie. Mais un peu partout à travers le Burkina, ils sont en train de se demander s'ils n'ont pas fait fausse route ! En se repliant sur eux-mêmes, ils découvrent que les bons côtés de ce monde leur échappent. Par exemple, autour de Koudougou, tous les villages ont obtenu une eau plus abondante et plus saine grâce à des forages. Mais les peuls n'ont pas obtenu un seul forage dans leurs quartiers. Eux qui en ont tant besoin, et pour les homes, et pour les animaux ! Une des manifestation de ce replis des peuls sur eux-mêmes, c'est leur refus de l'école et de l'alphabétisation en fulfulde. Il ne s'agit pas d'un refus total. Mais alors que le taux d'alphabétisation des adultes au Burkina dépasse les 20 %, celui des peuls est probablement de l'ordre de 2 à 3 % ! Il s'agit d'une estimation fondée, entre autres, sur les résultats du dernier recensement où la question suivante a été posée : " Savez-vous lire dans une langue nationale (laquelle) ?" Or cette attitude semble en train de changer. L'autre jour, je me trouvais vers midi dans le quartier peul de Koudio (à quelques km de Batié), quand les écoliers du quartier rentrant de l'école sont venus me saluer. Il y avait autant de filles que de garçons ! Peu de temps après, j'étais à Pa (sur la route de Ouagadougou à Bobo-Dioulasso, au carrefour de cette route avec celle de Diébougou), invité par les membres d'une association de femmes peules désireuses d'un appui pour mettre en place une mini laiterie. Quand je leur ai dit qu'il faudrait commencer par apprendre à lire, écrire et compter dans leur langue, elles m'ont répondu : " Mais c'est ça que nous voulons. Nous voulons apprendre à lire et à écrire dans notre langue. " Actuellement, elles sont une vingtaine de femmes, et quelques hommes qui suivent assidûment un stage d'alphabétisation dans le centre de formation de Pa de la paroisse de Boni. Je pourrais multiplier les petits signes qui vont dans ce sens. Je crois que nous sommes à un tournant. Il nous faut accompagner cette communauté peule dans son désir d'ouverture. Au SEDELAN, nous sommes impressionnés et inquiets par le nombre croissant de conflits entre éleveurs et agriculteurs. Nous pensons que la scolarisation et l'alphabétisation des peuls dans leur langue, ainsi que le développement de la filière lait (à condition que cette filière reste entre les mains des femmes peules) sont des éléments qui devraient permettre aux peuls de s'adapter au monde qui change et de faire face au manque d'espace; et par là de diminuer les conflits. Aussi nous avons décidé de consacrer une partie notable de notre travail à la promotion de l'alphabétisation des peuls, et à la promotion de mini laiteries gérées entièrement par des associations de femmes peules. Koudougou, le 3 avril 2006 P-S : Nous venons de publier un dictionnaire Français-Fulfulde de 864 pages. Pour en savoir plus, rendez-vous à l'adresse suivante : http://www.abcburkina.net/sedelan/contenu/publication/dicoFF.htm |