Souveraineté alimentaire en Afrique de l'Ouest : Bilan de l'année 2005 - Perspectives pour 2006 |
Bilan de l'année 2005 : 1. La première bonne nouvelle en 2005 pour les paysans de l'Afrique de l'Ouest date du 19 janvier, en provenance d'Acra, au Ghana. C'est là en effet que les chefs d'Etat de la CEDEAO ont signé la Politique Agricole Commune, appelée ECOWAP (pour ne pas confondre avec la Politique Agricole Commune de l'Union Européenne, même dans les textes en français elle est appelée ECOWAP, son nom anglais !). Pour la première fois, l'Afrique de l'Ouest se dote d'une politique agricole commune. Et cette politique se place résolument dans la perspective de la souveraineté alimentaire. C'est-à-dire que l'on va chercher à réduire les importations de produits alimentaires pour se tourner vers les productions locales. 2. Malheureusement, il n'y a aucune certitude que cette politique agricole ne soit jamais appliquée. En effet, par la suite, nous avons appris que la Commission du commerce de la CEDEAO se préparait à adopter le TEC (le Tarif Extérieur Commun; autrement dit le montant des droits de douanes pour chaque produit) de l'UEMOA. Or ce TEC est bien trop libéral pour offrir une quelconque protection aux productions agricoles de la CEDEAO. Deux exemples : alors que le Nigeria taxe le riz à l'importation à 100 %, le taux du TEC de l'UEMOA est 10 fois moindre : 10 % ! Alors que le Kenya taxe le lait en poudre à hauteur de 60 % (et que les Kenyans consomment du lait produit localement !), le TEC de l'UEMOA sur ce même lait en poudre est 12 fois moindre : 5 %. Un tel TEC ne permet pas de réduire les importations de produits alimentaires. Entrez dans une boutique d'alimentation de n'importe quelle ville de l'espace UEMOA, et cherchez les produits du terroir si vous n'êtes pas convaincus. 3. Autre menace sur l'Afrique de l'Ouest : les Accords de Partenariat Economique (APE; en fait ces accords sont des accords de libre-échange) que l'Union Européenne tient absolument à signer avec les pays ACP (Afrique - Caraïbe - Pacifique). Partout la société civile refuse de tels accords. En effet, de tels accords une fois signés, les pays pauvres d'Afrique ne pourrons plus se protéger. Comme du temps de la colonisation ! Le contraire de la souveraineté alimentaire ! 4. Autre bonne nouvelle : en novembre, le Mali adopte à son tour une politique agricole basée sur la souveraineté alimentaire. Même si son application dépend elle aussi du TEC qui sera adopté par la CEDEAO, c'est un signe manifeste que petit à petit l'idée de la souveraineté alimentaire fait son chemin dans les esprits, même dans ceux de nos gouvernants. Manque encore le courage politique. Nous y reviendrons au chapitre suivant, quand nous aborderons les perspectives pour 2006. 5. Au Burkina, les 1° et 2 décembre, les producteurs de riz ont mis en place l'Union Nationale des Producteurs de Riz du Burkina (UNPR-B). Signe que le mouvement paysan se renforce. 6. Encore au Burkina, nous pouvons saluer la mise en place des Chambres Régionales d'Agriculture (CRA). Malheureusement, ces Chambres sont encore sans ressources (humaines, matérielles et financières). 6. Enfin, toujours au Burkina, le 3 décembre à Ouagadougou, place de la Nation, 2 500 producteurs se sont rassemblés pour demander que les intérêts des producteurs soient pris en compte à Hong Kong, mais surtout à l'intérieur du pays grâce à quelques mesures réalistes et immédiatement applicables. Toutes leurs revendications étaient soutenues par le choix fondamental de faire reconnaître le droit, pour tout pays ou union de pays, à la souveraineté alimentaire. Perspectives pour 2006 : 1. Si nous voulons renforcer le peu de démocratie qui existe dans nos pays de la CEDEAO, nous devons tout faire pour qu'un large débat ait lieu à l'Assemblée Nationale de chacun de nos pays sur les questions agricoles. Avec, principalement, pour question : quel mandat pour les négociateurs de nos pays, dans la perspective de défendre l'ECOWAP, tant à l'OMC que face à l'Europe tant désireuse de signer un APE avec la CEDEAO d'ici le 1° janvier 2008 ? 2. Parallèlement, il faudrait organiser, sur les antennes des télévisions nationales, des débats sur la souveraineté alimentaire. Ces débats devraient regrouper des représentants des paysans et des représentants des consommateurs (notamment des ligues de consommateurs). Ils auraient pour but de faire en sorte de proposer un chemin pour mettre en place de façon progressive une réelle protection des produits agricoles locaux. En effet, il est urgent qu'une proportion croissante des populations urbaines adhère au principe de la mise en place du droit à la souveraineté alimentaire. 3. Les Ministres du commerce de la CEDEAO doivent se réunir pour fixer le TEC de la CEDEAO. Il est urgent que les paysans de la CEDEAO fassent entendre leur voix. Le ROPPA pourrait provoquer, dès janvier, une réunions des leaders paysans de l'ensemble des pays de la Communauté (et donc avec des représentants du Nigeria et du Ghana). Cette réunion proposerait la liste des produits spéciaux qui pourraient être protégés de façon significative. Ces produits seraient placés hors TEC, et taxés de façon variable en fonction du marché mondial. 4. Certains produits méritent une attention et un traitement particulier : le coton, le riz, la volaille, mais aussi le lait. 5. Au Burkina, tout doit être fait pour que les Chambres Régionales d'Agricultures soient enfin dotées de ressources humaines, matérielles et financières, et cela avant la fin du premier semestre. 6. Ces dernières années ont vu l'apparition de véritables leaders paysans. Des hommes et des femmes de qualité. Les grandes organisations paysannes se sont renforcées. Cependant le lien avec la base (au moins au Burkina que je connais mieux) reste faible. Il faut absolument travailler cet aspect de la communication, en développant des émissions radiophoniques et des bulletins à destination des membres de base de ces organisations paysannes. 7. Enfin, il faudra renforcer et développer l'accord mondial des agriculteurs qui demandent une régulation des marchés basée sur la souveraineté alimentaire. Le ROPPA est signataire de cet accord. Pour l'Afrique de l'Ouest, c'est donc lui qui devrait être l'artisan du renforcement de cette alliance. Cela passe, bien entendu, par un renforcement du ROPPA lui-même qui doit, sans tarder, être représentatif des paysans de l'ensemble de la CEDEAO (donc, y compris ceux du Ghana et du Nigeria). La tâche est immense. A la hauteur des enjeux : l'avenir des paysans et des éleveurs de la CEDEAO, et par là, de toute l'Afrique de l'Ouest. |