Une petite fissure dans les subventions
Le quotidien économique français, Les Echos, a fait une révélation dans son édition de vendredi qui fera sursauter plus d’un Burkinabè. La Chambre des représentants des Etats-Unis vient en effet de donner son feu vert à la suppression, dès le 1er août, d’une partie des subventions accordées aux producteurs de coton du pays de l’oncle Sam. Montant du «sacrifice» consenti par le gouvernement américain, et du «cadeau» offert à tous ceux qui braillent contre les subventions : 300 millions de dollars.
De prime abord, il s’agit là d’une bonne nouvelle pour l’ensemble des pays qui revendiquent un commerce international équitable que les subventions contribuent à dévoyer. On le sait, toutes les tribunes sont mises à profit par les plus faibles pour exiger des plus forts le respect des règles édictées de commun accord au sein de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Les plus optimistes peuvent, à la faveur de la décision américaine de supprimer les subventions à l’exportation, se mettre à rêver d’un système commercial mondial plus juste, où enfin les pays développés se soumettront au verdict des instances multilatérales. Le deuxième niveau de satisfaction concerne le Brésil qui est à l’origine d’une plainte contre les Etats-Unis, et qui a obtenu gain de cause devant l’OMC l’année dernière. Enfin, il y a bien sûr les producteurs de coton africains qui ne cessent de réclamer la fin des subventions, et qui sont aussi en droit de partager cette victoire brésilienne. La croisade est menée en particulier par quatre pays, le Burkina Faso, le Bénin, le Mali et le Tchad , co-auteurs d’une initiative sectorielle en faveur du coton ou C4. Etant donné le poids de la production cotonnière pour l’économie de ces pays, et les effets néfastes des différents soutiens américains, il ya de quoi se réjouir du vote de la Chambre des représentants.
Mais l’Afrique subsaharienne doit avoir le triomphe modeste. Les 300 millions de dollars, même s’ils constituent un effort des autorités de Washington qui doivent aussi faire face à leur opinion publique et au puissant lobby des cotonculteurs, ne représentent qu’une goutte dans l’océan des subventions. Car il faut savoir que mises ensemble, les aides à l’exportation, les tarifs douaniers et les soutiens internes en faveur du coton américain s’élèvent à près de 4 milliards de dollars par an. Une somme faramineuse qui, selon l’ONG Oxfam, représente trois fois l’aide publique américaine à l’Afrique.
Mesure donc largement insuffisante pour le C4 qui réclame la suppression de toutes les formes d’aide qui ont des effets de distorsion sur le marché international du coton. Les spécialistes estiment à plus de 300 millions de dollars les pertes annuelles des producteurs africains, du fait des subventions américaines dont la fin ferait en même temps remonter le cours du coton. Autant dire que le bout du tunnel est encore loin pour les dix millions d’Africains qui dépendent directement du coton (contre 25 000 Américains). Une grande partie des subventions demeurent intactes et, malheureusement, aucun calendrier de leur démantèlement n’a pu être arrêté. Les pays du C4 ont bien essayé, lors de la conférence de l’OMC à Hong Kong, en décembre dernier, d’arracher un agenda pour l’élimination du soutien interne. Ils avaient d’abord proposé 2008 comme date butoir, puis 2010. De concession en concession, ils finirent par ne rien obtenir. Les Etats-Unis ne sont donc pas liés par un quelconque accord qui les oblige à s’exécuter à une date précise. D’ailleurs, la délégation américaine n’a pas manqué de nier les effets néfastes des subventions sur le prix du coton et sur la compétitivité des pays africains. Pour justifier leur attitude qui viole les règles du commerce international, les Etats-Unis invoquent aussi l’intransigeance des Européens sur certains points des négociations agricoles globales. Bref, la mauvaise foi de Washington dans ce dossier coton est telle que l’on se demande comment les Africains parviendront, à court terme, à obtenir justice malgré la grande mobilisation autour de leur cause.
Cette affaire du coton met à nu l’hypocrisie des pays développés en matière de commerce. Tout en se proclamant champions du libéralisme économique, les Etats-Unis font preuve d’une frilosité digne d’un régime communiste quand les intérêts de leurs producteurs sont en jeu. Dans la même logique,les Etats-Unis se font passer pour de bons samaritains en déployant des mécanismes divers (AGOA, Millenium challenge corporation, etc .), alors que, parallèlement, ils mènent une politique commerciale qui tue les pays pauvres. Cette ambiguïté doit faire comprendre aux pays africains la nécessité de continuer la lutte pour l’aboutissement de leurs revendications. Comme l’a reconnu, à juste titre, le quotidien Les Echos, «la page du dossier coton est loin d’être refermée».
Le pays (quotidien du Burkina Faso)
N° 3555 du lundi 6 février