L’OMC, LE NEPAD ET L’UEMOA
face aux subventions agricoles
Depuis environ un an, les Etats africains, dans le cadre du NEPAD, s’efforcent de relancer le processus du développement économique qui, 40 ans après les indépendances, n’a pas encore véritablement démarré. Le NEPAD va certes dans la bonne direction. Son but déclaré est de résorber les gaps fondamentaux dans les secteurs prioritaires: la bonne gouvernance publique, la bonne gouvernance de l’économie privée, les infrastructures, l’éducation, la santé, l’agriculture, l’énergie, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, l’environnement.
Mais comment créer une dynamique incitant des investisseurs privés, locaux et étrangers, à s’insérer dans ce cadre pour donner naissance en grand nombre à des entreprises dans le secteur industriel et celui des services, ce qui est finalement la seule véritable marque du développement économique ?
Le rôle incontournable de l’Etat
L’histoire économique nous enseigne deux choses. D’une part, depuis la révolution industrielle, tout pays qui a réussi son décollage économique, l’a fait en s’appuyant sur quelques secteurs qui ont ensuite entraîné les autres. Ainsi, l’Angleterre moderne s’est bâtie à partir du textile, de l’acier et des chemins de fer, l’Allemagne de l’acier et de la chimie, le Japon des chantiers navals et du textile, la Corée du Sud des chantiers navals et de l’acier, la Malaisie de la filière oléagineuse, etc. Deuxièmement, partout et toujours, l’alchimie du développement a impliqué l’Etat pour protéger et motiver les entreprises privées par différentes méthodes (cordon douanier, subventions, marchés réservés, réglementation ad hoc), sans cependant franchir la ligne rouge de l’intervention de l’Etat dans la gestion ou, pire, de la gestion directe par l’Etat. Les exemples de cette intervention de l’Etat pour susciter le décollage économique sont bien connus : ‘’Navigation Acts’’ anglais, ‘’Zollverein’’ allemand, soutien indéfectible de l’Etat japonais aux ‘’Zaïbatsu’’ avant guerre, aux ‘’Keiretsu’’ aujourd’hui, du gouvernement coréen aux ‘’Chaebols’’, etc.
L’Afrique ne peut donc se contenter de fournir un cadre accueillant et d’attendre que des investisseurs veuillent bien venir : elle doit susciter l’apparition de ces secteurs forts qui, par leur dynamisme, entraîneront derrière eux l’ensemble du tissu économique.
Mais ces secteurs, quels peuvent-ils être ? Les technologies de pointe : informatique, logiciels, téléphonie, etc ?. Ces secteurs sont à très forte intensité capitalistique et fourniraient donc très peu d’emplois. Ils seraient isolés de l’économie réelle, comme l’est déjà le secteur pétrolier dans tous les pays en voie de développement. Le tourisme ? Son potentiel est plus faible qu’on ne le pense, avec souvent des effets négatifs sur l’environnement, y compris social et culturel.
La solution de l’agro-industriel
Le secteur agro-industriel, par contre, permet de toucher des couches très importantes de population et peut entraîner l’ensemble d’un pays dans le développement durable.
En Afrique de l’Ouest, et plus précisément dans l’UEMOA, il est évident que les deux secteurs à privilégier sont le coton et les oléagineux, qui représentent l’essentiel des économies du Sénégal, du Burkina Faso, du Togo, du Bénin et une partie importante de l’économie de la Côte d’Ivoire.
Le coton
Le coton ouest africain a commencé à se développer dans les pays de l’UEMOA au début des années 60. De 30.000 tonnes de coton graine en 1960, on atteint aujourd’hui 1.900.000 tonnes, soit 800.00 tonnes de fibre. Le coton de la zone, qui fait vivre 12 millions de personnes, représente 17 % du coton commercialisé dans le monde.
Son potentiel en terme de développement est considérable. En effet, 95% de la fibre sont exportés. Or, la transformation industrielle sur place de la moitié de la fibre produite chaque année, soit 400.000 tonnes, induirait une valeur ajoutée supérieure à FCFA 1.000 milliards, l’équivalent de 10% du PIB actuel des pays de l’UEMOA.
Le coton ouest africain est de bonne qualité. Récolté à la main et d’un coût moyen de 46 cents environ par livre, sa rentabilité jusqu’ici était bonne. Or, depuis janvier 2000, les prix sur les marchés internationaux se sont effondrés, passant de 82 cents la livre au niveau actuel de 40 cents environ la livre. Cet effondrement est essentiellement dû aux Etats Unis. Ils représentent désormais environ 20 % de la production mondiale et leur part sur ce marché mondial (fibre commercialisée hors des marchés domestiques) vient de passer de 25 à 35 %, suite à la hausse de près de 20 % de leur production et à la baisse de leur consommation intérieure de fibre de coton. Cette production, sans prendre en considération les mesures encore plus favorables du Farm Bill 2002, est subventionnée (en dehors de tout quota depuis 1996) à hauteur de $ 4,5 milliards, soit environ 52 cents la livre de coton (chiffres du Comité consultatif international du coton). En présence de subventions aussi massives, les mécanismes du marché (qui veulent que lorsque les prix baissent, on produise moins) ne jouent plus, de sorte que les prix bas actuels peuvent se maintenir indéfiniment et éliminer du marché les producteurs d’Afrique de l’Ouest, pourtant les plus efficients, mais non subventionnés.
Or, sous l’angle du libéralisme et de la théorie ricardienne des avantages comparatifs qui est la justification même du processus de ‘’mondialisation’’, les choses sont on ne peut plus simples et claires : la production du coton américain n’est pas rentable et elle doit donc disparaître. En effet, il faut dépenser plus de 90 cents (40 cents environ de prix d’achat sur le marché ‘’libre’’ et 52 cents de subvention) pour produire une livre de coton américain, alors que le meilleur prix que l’on a pu obtenir sur le marché dans les années passées a été de 82 cents.
Une telle disparition, selon la théorie de Ricardo, aura les meilleurs effets à la fois sur l’économie nord américaine et sur celle de l’Afrique de l’Ouest. Aux Etats-Unis, les moyens de production et l’argent des contribuables gaspillés à produire du coton pourraient se redéployer vers les activités dans lesquelles ils excellent : microprocesseurs de haut de gamme, avions de combat, logiciels informatiques, superproductions hollywoodiennes, etc. Cette production excédentaire de coton ayant disparu, les prix sur le marché s’aligneraient au plus haut, sans doute vers les 80 cents la livre, montant au delà duquel ils se heurteront à la concurrence du synthétique. Les producteurs de coton africains pourraient ainsi obtenir une juste rémunération de leur activité d’excellence.
Il est bien possible que les Américains, pour d’obscures raisons électorales, refusent ce genre de logique économique, qui est pourtant la seule justification possible à la ‘’mondialisation’’.
Dans ce cas, il est urgent que les Etats africains, et particulièrement ceux de l’UEMOA, réagissent. Cette action ne doit pas être une protestation de plus, mais une intervention au niveau de l’Organisation Mondiale du Commerce. Les textes préparés en novembre dernier à Doha doivent être discutés et signés avant fin avril 2003. Et là, les Etats africains doivent signifier aux Etats-Unis qu’ils refusent de signer les textes de Doha si ceux qui violent les règles de base de la mondialisation ne versent pas des compensations adéquates à ceux qui souffrent de ces comportements délinquants.
On estime que $ 200 millions sont actuellement nécessaires pour que les revenus des producteurs de coton dans l’UEMOA redeviennent positifs. On pourrait donc miser sur une compensation annuelle immédiate d’un montant équivalent à 10% des subventions versées à la filière coton américaine, soit $ 450 millions, avec un mécanisme d’augmentation annuelle, par exemple 20% la deuxième année ( $ 900 millions), 30% la troisième ($ 1350 millions), etc, pour inciter le gouvernement américain à mettre rapidement en place des mécanismes bien connus de l’Union Européenne, tels que les quotas, les primes à la jachère, etc.
Une action similaire devra être entreprise au niveau de l’Union Européenne qui contribue pour sa part à perturber la vérité des prix et l’équité du commerce international avec des subventions vertigineuses aux cotons espagnol et grec (plus de 60 cents la livre !).
Si l’Afrique obtient satisfaction, et elle le doit sous peine de voir le NEPAD rester une coquille vide, sa production de coton sera pérennisée et elle pourra alors lancer un vigoureux programme d’intégration en aval : filature , tissage et industrie du vêtement, toutes activités pour lesquelles elle pourra exciper auprès des investisseurs potentiels d’avantages comparatifs irrésistibles : matière première disponible et d’excellente qualité, main d’œuvre bon marché et surtout démonstration faite de l’engagement des Etats dans le soutien de ce secteur.
Les oléagineux
En Afrique de l’Ouest, la superficie cultivée en oléagineux représente environ 11.500.000 hectares, dont 3.600.000 hectares dans l’UEMOA, correspondant à une production d’huile de 2.700.000 tonnes, dont 600.000 pour l’Union. Pour la seule région, cette activité est génératrice de 2 millions d’emplois directs, le premier pourvoyeur d’emplois ‘’formels’’ de la zone.
Dans les années 60, l’Afrique (essentiellement de l’Ouest) représentait 99 % des exportations mondiales d’huile. Aujourd’hui, l’Afrique, qui représente 10 % de la consommation mondiale, aurait disparu complètement du marché mondial sans l’huile d’arachide du Sénégal. Elle est importatrice net. Il en est de même de l’UEMOA, dont le marché intérieur de 500.000 t est couvert à hauteur de 340.000 t seulement, si l’on retranche l’huile d’arachide qui est exportée. Il en est de même sur le marché nigérian où le gap est probablement de 400.000 tonnes (bien qu’il soit difficile de l’appréhender, compte tenu de l’importance de la contrebande).
Les handicaps sont importants. Seul l’un d’eux est incontournable : le sol et le climat de l’Indonésie et de la Malaisie se prêtent mieux au palmier à l’huile que ceux d’Afrique de l’Ouest.
Les autres handicaps relèvent par contre de la logique de subventions par les pays du Nord que nous venons de voir pour le coton. Les importantes subventions américaines au soja accentuent la chute des cours sur les marchés de l’huile où le produit de référence, l’huile de palme de Malaisie, est passé de $ 600 la tonne au 1er janvier 1999 à $ 310/320 aujourd’hui FOB Malaisie, après un creux maximum à $ 210 en février 2001.
Quant à la graine de coton, la production pour l’ensemble de l’UEMOA s’élève à 900.000 tonnes, ce qui devrait permettre de produire 145.000 tonnes d’huile. Les triturateurs locaux (et singulièrement ceux des pays côtiers) subissent la concurrence des éleveurs de vaches laitières des pays du Sud européens qui, à l’abri des subventions de l’Union Européenne dans le cadre de leurs quotas peuvent acheter les graines de coton africaines à des prix qui se situent en dehors de toute logique économique. Ce sont actuellement 200.000 tonnes qui, tous les ans, sont soustraits à la trituration en Afrique où l’huile est déficitaire, ceci pour permettre la production en Europe d’un lait dont les Européens ne savent que faire.
Ici encore, le potentiel en terme de décollage économique est important : satisfaire les besoins locaux, aussi bien au niveau de l’UEMOA que de la CEDEAO, signifie un accroissement de 50% de la production actuelle, susceptible, compte tenu de la très forte intensité capitalistique du secteur au niveau de la première et de la deuxième transformation, de donner à l’Afrique de l’Ouest la base industrielle qu’il lui fait défaut.
Le Symposium de l’AIFO-UEMOA (Association des Industriels de la Filière Oléagineuse de l’UEMOA) des 19 et 20 juillet 2001 a tracé les grandes lignes d’un programme de renaissance du secteur. Pour qu’il suscite l’intérêt des investisseurs, les Etats doivent sécuriser les approvisionnements en matières premières et les marchés. Ceci est parfaitement possible dans le cadre de l’OMC où ces pays doivent obtenir compensation pour les dommages causés par les subventions intempestives sur les oléagineux et le lait distribués par les Etats-Unis et l’Union Européenne.
Il est clair que le sauvetage puis la relance de ces deux secteurs, coton et oléagineux, sont d’un intérêt fondamental pour l’UEMOA et pour le NEPAD :
- pour l’UEMOA, si ces secteurs s’effondrent, c’est l’économie de l’UEMOA qui se délite. Si ces secteurs s’épanouissent, l’Union assure son décollage économique : les investissements lourds dans les usines textiles et les huileries lui assureront sa base industrielle et l’effet d’entraînement nécessaire à un développement durable ;
- pour le NEPAD : son objectif est d’attirer les investisseurs privés étrangers en Afrique ; mais qui viendra investir dans telle région d’Afrique, si les Etats de cette région ne savent pas défendre efficacement leurs secteurs économiques clés existants?
Or, il est plus tard qu’on ne le pense. Malgré l’AGOA, le NEPAD et autre conventions ACP-UE, la première décennie du nouveau millénaire pourrait bien voir l’extrême pauvreté gagner la bataille du non développement en Afrique de l’Ouest.
Avec une parfaite inconscience, les Etats Unis et l’Union Européenne, pour soutenir quelques centaines de milliers de fermiers chez eux, ruinent tout espoir, pour des centaines de millions d’Africains, de sortir du cercle vicieux du sous développement. A leurs ordres, la Banque Mondiale et le FMI, avec un cynisme renversant, envoient des misions pour interdire aux gouvernements africains de subventionner leurs producteurs de coton.
Il convient que les Etats africains réagissent vite et sans complexe. Ce n’est pas être hostile aux Etats Unis que de leur faire comprendre que le présent système ne peut conduire qu’à un ressentiment extrême à leur égard, tout à fait à l’opposé de leur but actuel de rassemblement mondial autour de la lutte contre le terrorisme. Ce n’est pas être hostile à l’Europe que de lui faire comprendre qu’elle n’a rien à gagner à se retrouver face à un mouvement massif d’immigration clandestine des paysans ruinés de l’UEMOA.
Si ces pays du Nord veulent bien consacrer l’équivalent d’une fraction de leurs subvention à l’agriculture à un fonds géré conjointement avec les opérateurs locaux, consacré à la relance des secteurs du coton et des oléagineux de l’Afrique de l’Ouest, ils contribueront plus efficacement à la réduction de la pauvreté qu’avec tous les schémas imaginables de remise de dettes ou de saupoudrage de l’aide, simplement parce qu’ils s’attaqueront enfin aux causes du sous-développement et non plus à ses conséquences.
Roland RIBOUX Président-Directeur Général de FLUDOR BENIN S.A.
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Ancien Président de l’Association des Industriels de la Filière Oléagineuse de l’UEMOA - AIFO-UEMOA