La CEDEAO saura-t-elle accompagner sa liste de produits sensibles
d'une réforme du TEC cohérente ?
Les 15 et 16 octobre 2008, un atelier de validation de la liste des produits sensibles de la CEDEAO doit se tenir à Ouagadougou. Tous les Etats membres de la CEDEAO doivent y être représentés. Cet atelier a été préparé par de nombreux travaux dans chaque pays, puis par des rencontres régionales. Aujourd'hui la Commission de la CEDEAO dispose d'un document qui offre la synthèse de ces travaux, et surtout des recommandations à faire aux Etats membres.
Parmi ces recommandations, notons que la Commission propose une liste de produits sensibles qui permet d'exclure de la libéralisation des échanges entre l'Union Européenne et la CEDEAO 35 % des importations en provenance de l'Union Européenne (dont la grande majorité est composée de produits agricoles ou alimentaires).
Ce taux d'exclusion représente près du double de ce que propose l'Europe : 20% seulement d'exclusion, pour 80% de libéralisation. On voit, ici, le chemin parcouru par la Commission de la CEDEAO qui, il y a un peu plus d'un an, négociait encore à partir des propositions européennes. En effet, sous la pression de la société civile, entre autres, en septembre 2007, l'équipe des négociateurs a été profondément remaniée et son mandat clairement défini : « Pas de négociations à partir d'un texte proposé par les européens, mais à partir d'un document traduisant les intérêts de la CEDEAO ».
Ensuite, la CEDEAO propose un « schéma de libéralisation des 65 % des importations restantes, sur une période allant de 2009 à 2032 ». Avec le commentaire suivant : « Cette période de 23 ans assure une transition acceptable si les Etats et la région mettent en œuvre les réformes nécessaires et que ces réformes et les programmes de développement qui les accompagnent sont fortement soutenus par la Commission européenne et les Etats membres de l’Union ».
Cette période de 23 ans est-elle acceptable ?
Il est difficile pour la société civile d'y répondre. Car cela va dépendre de la volonté politique qui va accompagner les décisions des Etats membres. C'est déjà mieux que ce qui est retenu dans l'accord intérimaire de la Côte d'Ivoire, qui a accepté de libéraliser 80,8 % de ses importations en provenance de l'Union Européenne sur une période de 15 ans. D'où l'importance dans les négociations régionales d'obtenir que les accords intérimaires soient caduques le jour où un accord régional est signé.
Cette période de 23 ans est-elle donc acceptable ?
Cela dépendra de beaucoup d'autres éléments. Comme le document sur les produits sensibles le reconnaît, l'établissement d'une liste de produits sensibles ne peut se faire qu'en lien avec la réforme du TEC (Tarif Extérieur Commun) qui est en cours. C'est pour cela que nous avons publié, la semaine passé, un document faisant des propositions précises sur le TEC de la CEDEAO, et la nécessité pour celle-ci de protéger son agriculture par des taxes à l'importation variables (voir l'abc Burkina n° 300 ).
Le document précise bien que la liste des produits sensibles a été construite en tenant compte des politiques régionales, notamment la politique agricole de la CEDEAO, appelée ECOWAP. Cette politique, placée dans la perspective de la souveraineté alimentaire, demande que la production agricole soit protégée. C'est ainsi que la presque totalité des produits agricoles ou alimentaires se trouvent dans les produits sensibles. Si, en même temps, la CEDEAO se dote d'un TEC qui lui permette de protéger son agriculture, alors l'Afrique de l'Ouest aura fait un grand pas en direction de la Souveraineté alimentaire, en rupture totale avec la décision des Etats membres qui en janvier 2006 ont décidé d'étendre le TEC – par trop libéral – de l'UEMOA à l'ensemble de la CEDEAO , condamnant par là la politique agricole de la CEDEAO à rester « lettres mortes » .
C'est dire que la société civile doit rester vigilante et veiller à la cohérence des décisions qui seront prises dans les prochains jours.
En attendant, il est permis de saluer la qualité du travail qui a été accompli par la commission sur les produits sensibles. Il lui revient, avec l'appui de la société civile, de défendre son travail et ses propositions et de convaincre les politiques, non seulement d'adopter leurs propositions sur les produits sensibles, mais surtout de les adjurer d'adopter une réforme du TEC en cohérence.
Koudougou, le 6 octobre 2008
Maurice Oudet
Président du SEDELAN