Oui, combien d’analphabètes parmi les 350 participants à la Conférence régionale panafricaine sur l’alphabétisation dans le monde qui s’est tenue du 10 au 12 septembre à Bamako ? Combien d’analphabètes parmi les signataires de l’appel de Bamako qui a marqué la fin de cette grande célébration ?
Bien entendu, je prends ici le mot « analphabète » dans un sens peu académique. Si je vous dis que je suis « analphabète en chinois », vous comprendrez facilement que je veux dire que je ne sais ni lire, ni écrire le chinois. Ce qui ne me gène pas trop dans mon travail.
En posant la question : « Combien d’analphabètes à la Conférence de Bamako... ? », je veux attirer l’attention sur un phénomène qui freine considérablement l’alphabétisation des adultes au Burkina Faso (mais aussi, très certainement, dans d’autres pays de la région). La plupart des hommes politiques, des administrateurs et des responsables de l’Eduction Nationale sont incapables de lire, d’écrire et de calculer correctement dans leur langue maternelle. Dans ce sens restreint, mais d’importance, on peut dire qu’ils sont « analphabètes dans leur langue maternelle ».
Les conséquences sont innombrables. En voici quelques-unes :
- Vous pouvez vous rendre à la poste, à la préfecture, ou dans une autre structure administrative, vous ne trouverez aucune note rédigée dans la langue locale. Les actes de naissance, les cartes d’identité nationale... sont rédigés uniquement en français.
- Si dans une famille un grand frère « a réussi », s’il a eu la chance de fréquenter l’école, puis le collège, s’il envoie un courrier au village, ce courrier sera rédigé en français.
- Au collège ou au lycée, il est rare que les jeunes soient incités à approfondir leur langue maternelle. La plupart ne sont jamais invités à apprendre à lire et à écrire la langue qu’ils utilisent pour échanger entre eux ! Les jeunes des lycées et collèges se désintéressent des langues parlées dans leur pays. A leurs yeux, seule la langue officielle (ou les langues d’examen) mérite un effort de leur part.
Dans ces conditions, il est difficile pour un adulte qui vit au village de découvrir l’intérêt de faire l’effort d’apprendre à lire, écrire et compter dans sa langue.
A Bamako, il a été dit et répété que l'objectif le plus important est de parvenir à inclure l'alphabétisation dans un agenda politique fort qui fait que les Etats africains la reconnaissent comme une priorité et un droit inaliénable. Toute la question est de savoir comment doit se traduire cette volonté politique forte. Je ne pense pas que le blocage soit d’abord financier.
Si l’Afrique veut sortir de l’analphabétisme, elle doit revaloriser ses langues. Les « élites » doivent changer de comportement et arrêter de mépriser leurs propres langues. Comment se fait-il que celles qui se risquent à écrire dans leur langue maternelle acceptent de faire 3 fautes dans un seul mot, alors qu’ils n’acceptent pas une faute d’orthographe dans toute une page en français ?
D’autre part, rien ne sert de former des alphabétisés analphabètes ! C’est pourquoi il est nécessaire que les nouveaux alphabétisés puissent disposer de lecture dans leur langue. C’est pourquoi il est triste de voir des paysans, qui viennent de faire l’effort de consacrer deux mois pour s’alphabétiser dans leur langue, quitter le stage pour retourner dans leurs champs sans documents attrayants écrits dans leur langue.
En son temps, nous avions fait quelques propositions :
1) Il faut absolument qu’à la fin d’un stage les nouveaux alphabétisés partent à la maison avec de nouveaux documents. Chaque moniteur doit donc proposer des livres à ses stagiaires à la fin du stage.
2) Ceux qui organisent ces stages devrait offrir un abonnement d’un an à un journal écrit dans la langue des élèves. Etre déclaré « alphabétisé » devrait donner droit à un tel abonnement.
3) Dans chaque cour où se trouve un ou plusieurs alphabétisés, il faudrait fabriquer un tableau noir (ou vert) en ciment. Tous ceux qui ont appris à écrire pourrait écrire sur ce tableau, comme le font souvent les élèves en ville.
4) Dans le village (près du marché, de l’église, de la mosquée...) on pourrait construire de petits murs de deux mètres de haut, et deux mètres de large. Chaque côté de ces murs servirait de tableau. Tous ceux qui auraient des informations à donner pourrait écrire sur ces tableaux.
5) Après la formation initiale et la formation complémentaire de base, il faut absolument offrir de petites sessions de 3 à 5 jours à tous les alphabétisés, adaptées aux besoins des nouveaux alphabétisés. Des documents existent pour aider les formateurs.
6) Il faut absolument que chaque association, chaque O.N.G., chaque paroisse redouble d’efforts pour offrir aux nouveaux alphabétisés des documents écrits pour eux, et dans leur langue. C’est à ce prix qu’il sera possible de faire reculer l’analphabétisme. Aidez-nous à diffuser les journaux en langue...
7) Tout projet de développement qui s’adresse à une population en partie analphabète devrait contenir un volet alphabétisation.
Je termine par une note plus réjouissante. Il y a quelques jours j’ai rendu visite aux femmes qui travaillent dans la nouvelle laiterie de Pâ. Elles venaient d’achever un cycle de formation en fulfulde (alphabétisation en fulfulde + diverses formations techniques). Deux d’entre elles m’ont montré le cahier de caisse dont elles étaient responsables. La comptabilité y est faite en fulfulde. Le cahier était très bien tenu. A l’aide d’une calculette, j’en ai vérifié les comptes. Je n’ai trouvé aucune erreur. Je les ai félicitées. Elles m’ont répondu par un large sourire qui exprimait bien leur joie et leur fierté !