Qui veut la Paix cultive la Justice

Je viens de participer à la 2° semaine sociale de l'Eglise famille de Dieu au Burkina Faso.

La Justice sociale et la Paix au Burkina Faso : Quelle contribution de l'Eglise Catholique ?

 

Nous étions 150 personnes à travailler pendant 4 jours, venus de tous les diocèses du Burkina (sans « per-diem »), très impliqués dans la vie des populations et porteurs d'attentes fortes par rapport à ce thème, dans un souci de formation, d'engagement et de foi. (« La paix et la justice se reçoivent de Dieu », disait Mgr Philippe à l'ouverture).

Deux jours pour écouter, un jour pour échanger, réfléchir, parler et partager, un jour pour tirer les conclusions.


« Vouloir ensemble, au nom de notre foi, éveiller les consciences, renouveler l'ordre social, défendre les droits en privilégiant les plus pauvres, avec comme référence l'Evangile » (Mgr Thomas) ; « La mondialisation exige une proclamation des devoirs humains, celui de la solidarité en particulier : le monde s'enrichit, les pauvres augmentent, c'est le désastre de notre société... Il nous faut bâtir une civilisation de l'Amour : c'est cela le projet de la doctrine sociale de l'Eglise ». (Mgr Giampaolo, venu de Rome) 


Impossible ici de prétendre résumer les 13 interventions que nous avons écoutées durant les deux premiers jours, et toutes les interpellations de l'assemblée aux conférenciers. Ecoute respectueuse, mais regard sans complaisance sur notre société. Etonnant spectacle de voir à la même tribune le ministre du travail (Gérôme Bougouma) et un grand syndicaliste Tole SAGNON (SG de la CGTB), un député CDP qui n'hésite pas à parler de conquête du pouvoir (Mahamat SAWADOGO) et le président du PAREN (opposition : Laurent BADO). Plus tard, Mgr Anselme SANON (archevêque de Bobo) se retrouvera entre Achille TAPSOBA (député CDP) et maître Stanislas SANKARA (président du parti UNIR/MS – sankariste). « Nous sommes des adversaires, pas des ennemis ». Ont aussi « planché » l'abbé André Ouattara, le Professeur Augustin LOADA, Kassoum KAMBOU, Mme Monique Ilboudo (ministre de la promotion des droits humains), Raymond Goudjo du Bénin et Mgr Thomas KABORE, président de la commission Justice et Paix.


Que retenir de ce temps fort ?

Je vais mêler ici ce que j'ai entendu des discours et de ma participation au premier groupe de travail.


D'abord une conscience très vive que dans notre pays, il y a une certaine paix, mais elle reste fragile et menacée, sans cesse à construire et à consolider (la « révolte des casques » nous l'a montré).
Ne tient-elle qu'à notre pauvreté ? Sans doute pas, mais nous sommes épargnés de l'appétit des grands prédateurs de matières premières et d'énergie...


Est-elle construite sur la peur ? Oui, pour une part.

Le non-lieu dans l'affaire Zongo,

le difficile accès à la justice (félicitations pour le travail des para juristes à Nouna), l'exclusion des juges non corrompus par leur hiérarchie (un exemple particulièrement choquant a été cité au cours des débats),

l'impunité (un grand chef de service me disait un jour : « Il faut faire attention, sinon c'est Sapouy et le non-lieu.»).

Une motion fut adoptée par l'assemblée pour dire l'immense trouble qu'a suscité ce non-lieu et demander une solution juste à ce dossier pour rendre à notre pays la paix sociale.


La paix au Burkina tient surtout à la richesse humaine de nos peuples qui la désirent, à la parenté à plaisanterie, aux mariages interethniques et à toutes les structures de réconciliation traditionnelles.


Mais cette paix sociale est menacée :

Par la corruption et les injustices.

« La corruption est une culture qui se généralise, une vague de fond qui monte... », disait le ministre du travail à la tribune. A quoi on lui répondait en écho dans le travail de groupe : « On le sait en haut lieu, on ne fait rien, on ne poursuit pas, on étouffe... »

« Beaucoup de structures ont été créées ces dernières années, nous possédons tous les instruments pour lutter contre la corruption », disait Mme Ilboudo. « Mais alors, pourquoi les dossiers préparés par ces institutions n'aboutissent-ils nulle part ? », demandait-on dans le groupe. Est-ce une manière d'étendre le pouvoir sur les populations (peur et racket) et de gouverner, chacun étant « tenu » par un dossier en instance à la justice ?

Une motion fut adoptée sur la corruption : travailler à la moralisation de la vie publique et à l'application des lois.


Par un déficit de justice

Tous les intervenants ont convenu que notre justice dysfonctionnait gravement, victime de trop de pressions (politique, économique, parentèle). Tous l'ont dit à la tribune. Alors pourquoi ne fait-on rien ?


Par des coutumes injustes venues de la tradition et lentes à évoluer

Mutilations sexuelles

Mariages forcés et violences faites aux femmes

Exclusion des vieilles qualifiées de « mangeuses d'âmes ». (Il est évidemment plus facile d'accuser des gens sans défense de maux « invisibles » plutôt que les puissants de leurs maux bien « visibles »). Le jeudi soir, nous sommes allés leur rendre visite à Tangin où elles sont 400 !!!

Une motion fut adoptée par l'assemblée pour demander que des moyens soient mis en oeuvre pour que cessent ces pratiques d'exclusion, que des documents d'état civil soient donnés à ces femmes et que leurs accusateurs soient condamnés par la loi.


Par une politisation à outrance de tous les secteurs de la vie

Confusion entre le parti majoritaire et l'État, installation de cellules politiques dans les administrations, politisation de certains chefs coutumiers et de certaines autorités religieuses (avec perte de leur autorité morale), privilèges exorbitants pour les adhérents au parti majoritaire (de l'attribution des marchés publics à l'exemption de poursuites en cas de délit).


Par la pauvreté endémique d'une grande partie de la population et de l'étalage choquant de leurs richesses par une minorité.

Les déséquilibres régionaux dans les plans de développement du pays.
Le monde rural qui se sent abandonné.

Par l'impossibilité pour beaucoup d'accéder aux services sociaux de base

(alors que s'élèvent à Ouagadougou de richissimes villas dites « de l'impunité »).

Une motion fut adoptée pour renforcer l'éducation à la culture de la paix et promouvoir de vraies politiques sociales qui nous conduiront à la paix


La paix est menacée aussi (et surtout peut l'être) parce que notre engagement pour la justice est trop limité, que l'engagement de la société civile pour la justice est trop timide, l'engagement des citoyens tarde à se faire jour.

Civisme trop faible, peur latente, pesanteurs sociales...

Le silence des « braves gens » devant les injustices, la corruption, les inégalités, c'est grave !

C'est une invitation tout particulièrement pour nous, chrétiens, à nous réapproprier la dimension prophétique de notre baptême : agir et dénoncer, pour construire une société plus juste, pour bâtir la paix.

Une motion fut adoptée pour nous inviter au discernement, à l'action courageuse, à l'engagement en faveur de la justice et de la paix, sans jamais nous laisser instrumentaliser comme parfois, hélas, cela arrive aujourd'hui. Il faut qu'à travers nos engagements, l'Eglise retrouve sa crédibilité.


Bien d'autres aspects furent abordés dans cette rencontre : l'Église, sa hiérarchie et ses structures ne furent pas épargnées ; en particulier à propos de l'école où l'Église, n'ayant pas les moyens de ses choix, se retrouve elle-même dans une position délicate ; de plus, certains de ses pasteurs nous paraissent trop liés au régime, etc...

Des suggestions nombreuses ont été faites pour le travail de la commission Justice et Paix et pour les sujets de nos prochaines semaines sociales... mais c'est un autre chapitre.


Pour terminer, je cite ces mots tout simples du responsable Afrique de Caritas internationalis qui était avec nous :

« Dieu nous aime... L'Afrique est belle et riche... Chacun naît pauvre et nu... Que faisons nous de nos talents ?... Restez unis, travaillez ensemble, vous serez forts pour faire ce que vous avez dit... Jésus a promis d'être toujours avec nous. »


Koudougou, le 16 novembre 2006.
Jacques Lacour
Assistant au SEDELAN
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(Pour accéder au texte complet des « recommandantions » adoptées par les participants, cliquez ici.)

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