« Vous êtes des privilégiés ! »

Le vendredi 22 août dernier, Tertius Zongo, accompagné d'une forte délégation (composée des ministres Joseph Paré, Laurent Sedogo, Amadou Maïga, des députés de la localité, et des autorités provinciales), est allé rencontrer les producteurs sur les plaines aménagées du Sourou. Après avoir écouté les doléances des producteurs, il ne s'est pas privé de fustiger le comportement laxiste de certains producteurs dont les efforts demeurent en deçà des attentes.

« Oui, Monsieur le Premier Ministre, vous avez bien raison d'être déçu ! Oui, la production, notamment de riz (la vocation première des aménagements de la vallée du Sourou), est très en deçà de vos attentes, et de celles de la nation entière ».

Mais il ne faut pas se tromper de cible ! Les premiers responsables de cette situation ne sont pas les producteurs de la vallée du Sourou, mais bien la politique libérale, sans mesure de sauvegarde, du gouvernement.

Pour comprendre la situation d'aujourd'hui, il faut remonter aux années 90, et par exemple, relire le dossier de M. Salif Diallo, alors Ministre de l'agriculture, datant du mois d'août 2002, et intitulé :
Pauvreté rurale et commerce international

On peut retenir les passages suivants :

" * Depuis les années 1990, le Burkina Faso, en concertation avec les partenaires au développement, a entrepris d’importantes réformes afin de créer un environnement politique, économique et institutionnel favorable à l’insertion du Burkina Faso dans le contexte nouveau de la mondialisation de l’économie. C’est ainsi qu’avec l’appui (NDLR : certains parlent plutôt de « pression ») des institutions de BRETTON WOODS (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International), le Gouvernement a mis en place à partir de 1991 un Programme d’Ajustement Structurel (PAS) en vue de la réforme des principaux secteurs de l’économie nationale. (Bientôt suivi de la mise en œuvre du ) Programme d’Ajustement du Secteur Agricole (PASA) dont les mesures visaient:
- la libéralisation du secteur agricole
- la Réorganisation des Services Agricoles... (marquée par ) le désengagement de l’Etat au profit des opérateurs privés

La libéralisation du secteur agricole a donc entrainé (entre autre) :

* La libéralisation du commerce interne du riz en 1996.

Cette mesure s’est traduite par :
- la suppression du monopole de la collecte et de la transformation du paddy par la Société Nationale de Collecte de Traitement et de Commercialisation du Riz (SONACOR) financé par la Caisse Générale de Péréquation (CGP), principal actionnaire,
- la suppression du monopole dont jouissait la CGP pour l’importation et la commercialisation du riz (importé ou produit au niveau national),
- la privatisation de la SONACOR.
Il convient de souligner que l’arrêt du financement de la collecte du paddy par la CGP (via la SONACOR) a entraîné d’énormes difficultés au niveau des producteurs qui n’arrivaient pas à écouler leur production de paddy se retrouvaient avec des impayés auprès des banques et des fournisseurs d’intrants agricoles (engrais et pesticides). Il a fallu la reprise récente de la SONACOR par la SOPROFA pour que ces contraintes commencent à trouver des solutions."
(fin de citation).

Malheureusement, très vite il est apparu que la SOPROFA (mise en place avec la bénédiction et l'appui financier du gouvernement) ne faisait pas partie des solutions, mais des problèmes. C'est ainsi que la SOPROFA a mis plus d'un an pour payer les 40 millions qu'elle devait à l'association Cani en règlement du riz fourni par cette dernière.

Mais bientôt, la libéralisation du commerce international a été renforcée. Le premier janvier 2000, l'UEMOA (Union Economique et Monétaire de l'Afrique de l'Ouest), crée à la suite de la dévaluation du Franc CFA, est devenue une zone de libre-échange, avec la mise en place du Tarif Extérieur Commun (TEC) sans doute le plus libéral du monde, avec quatre bandes tarifaires, allant de 0 % à 20 %. C'est ainsi que la taxe à l'importation appliquée au riz s'élève seulement à 10 %. A comparer aux 100 % pour le riz importé au Nigeria, ou au 500 % du Japon. D'autres pays appliquent des taxes variables.

De plus, depuis l'an 2000, le dollar n'arrête pas de s'effondrer. C'est dire que les 10 % de taxe ne protège plus rien.

Revenons à nos producteurs du Sourou. En avril 2004, j'ai rendu visite à l'association Cani qui gère 500 ha. A cette époque, leurs magasins étaient remplis de riz. Ils contenaient non seulement la dernière récolte, mais aussi une partie, encore invendue, de la récolte précédente ! Pourquoi cela? Parce que les commerçants préféraient s'approvisionner sur le marché mondial où on pouvait se procurer du riz de mauvaise qualité, mais à des prix défiant toute concurrence ! C'est pourquoi, les commerçants qui venaient précédemment enlever le riz du Sourou ne proposaient plus que 85 F pour un kilo de riz paddy. Or au même moment, le CNRST (Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique) publiait une étude montrant que le prix de revient d'un kilo de riz paddy produit au Sourou était de 85 F CFA (sans tenir compte du travail de la famille du producteur). Accepter de vendre à ce prix, c'était accepter de vendre à perte.

Dans ces temps difficiles, aucun ministre n'est venu leur rendre visite. Aucun ministre n'est venu leur dire « Nous allons vous aider à commercialiser votre riz ». Il a fallu la crise et les émeutes urbaines de la vie chère pour que les producteurs reçoivent les visites attentionnées de plusieurs ministres.

Le Premier ministre nous dit que l'Etat a investi 30 milliards de F CFA pour la réhabilitation de la Vallée du Sourou. Très bien. Mais comment peut-on investir sans se soucier de la rentabilité d'un tel investissement ? Si on n'avait pas laissé la situation se détériorer en laissant entrer des milliers de tonnes de riz à prix cassé, on n'en serait pas là aujourd'hui ! Faut-il attendre que le prix du riz augmente sur le marché mondial pour venir encourager les producteurs? La responsabilité de l'Etat n'est-il pas de veiller à la rentabilité de ses investissements en se protégeant des importations à prix cassé, en soutenant les producteurs dans la durée, en garantissant des prix minimum aux producteurs, et donc en déclarant : « Nous avons fait l'expérience du libre-échange. Nous avons vu que cela ne marche pas. Désormais nous allons faire comme les européens, les japonais, les américains... nous allons soutenir nos producteurs. Nous n'avons pas les moyens de subventionner leur production. Il existe une alternative. Nous allons instaurer une taxe variable sur le riz, afin de permettre aux producteurs de riz de vivre dignement de leur travail. Nous ferons de même sur le lait et sur tous les produits qui sont menacés de l'extérieur. Il est temps de consommer ce que nous produisons, et de produire ce que nous consommons. »

Ajoutons que «  le Premier ministre, Tertius Zongo, a fait montre d'un grand étonnement en apprenant que le Directeur Général de l'Autorité de la mise en valeur de la Vallée du Sourou (AMVS) ne résidait pas sur place. Celui-ci a évoqué un problème de logement. Séance tenante, le Premier ministre a instruit le ministre Laurent Sédégo de construire des logements dans la vallée pour que désormais le DG ainsi que les ingénieurs de l'AMVS y résident. » (cf. Sidwaya du lundi 25 août 2008). Bravo ! Enfin !

Quand à l'annonce du bitumage de l'axe Didyr - Toma – Tougan, elle ne peut que nous réjouir. Mais nous attendrons sa réalisation pour applaudir !

Enfin, le Premier ministre a expliqué aux producteurs que l'Etat a dépensé près de 10 millions de F CFA par hectare pour que chaque producteur (qui possède en moyenne environ un hectare) puisse s'installer à la Vallée du Sourou. Il a conclu :

« Vous êtes des privilégiés ! »

Que dire du chef de l'Etat qui possède 50 ha dans la plaine rizicole de Nyassan (donc dans cette vallée du Sourou)? Et du Premier ministre lui-même qui possède 170 ha dans cette même vallée !

Koudougou, le 30 août 2008
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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