Le président d’honneur du ROPPA aux chefs d’Etat : "La première souveraineté est-elle militaire ou alimentaire ?" |
Mamadou Cissoko est le président d’honneur du Réseau des organisations paysannes et des producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA). Il était de passage à Ouagadougou le 11 mai dernier dans le cadre de la préparation d’un forum ouest-africain qui mettra face à face les paysans et décideurs autour de l’avenir de l’agriculture originale face aux incertitudes des accords de l’OMC et des APE. Il donne ici la vision des paysans africains. Vous êtes le président d’honneur du ROPPA, quel est l’objet de votre séjour au Burkina Faso ? Je suis en visite au Burkina pour rencontrer la Confédération paysanne du Faso (CPF) qui est membre du ROPPA, avec laquelle nous avons rencontré les autorités du Burkina en charge de l’agriculture, de l’environnement, ainsi que celles de l’UEMOA autour de la politique agricole commune. L’UEMOA a adopté sa politique en 2001 et en janvier 2005, la CEDEAO a adopté la sienne à Accra. Actuellement , nous avons deux politiques agricoles dans la région qui sont en train d’être mises en cohérence. Nous producteurs, remercions les autorités de la zone UEMOA et CEDEAO de nous avoir donné une place importante dans la préparation et l’approbation de ces documents. Mais nous constatons que ces deux politiques vont être appliquées dans un contexte difficile, marqué par les négociations APE et OMC. Nos politiques ont donc été élaborées et adoptées dans un contexte difficile, sous un mauvais signe pour ainsi dire. L’environnement n’était pas favorable parce que les deux scénarios demandaient plus d’ouverture, de compétitivité, etc. Par principe, une politique agricole vise à amener l’ensemble des ingrédients importants et indispensables à une promotion de l’agriculture. Parmi ceux-là, il y a l’organisation d’un marché régional et sa protection. Quel est le problème précisément ? En janvier 2005, la politique agricole de la CEDEAO a été validée. En juillet , on ne voyait rien venir. Les organisations paysannes ont commencé à s’inquiéter. C’est ainsi que nous avons pris attache avec le président en exercice de la CEDEAO, le président du Niger, alors qu’on parlait d’une accélération de la mise en place du TEC (Tarif extérieur commun) et que la feuille de route pour la signature des accords APE (Accord de partenariat économique) ne souffrait de rien. Sur la mobilisation des Etats afin de consacrer 10% de leur budget à l’agriculture, il n’ y a aucun signe. Du moins, ça bouge timidement. Alors, ce qui ne nous arrange pas vraiment. Nous avons alors demandé au président l’autorisaiton d’organiser un forum sur la souveraineté alimentaire. Ce forum est une occasion pour faire entendre le point de vue des agriculteurs africains sur les enjeux actuels de notre agriculture dans le contexte de la mondialisation et des accords de partenariat économique. Les débats sur les autres grands sujets c’est bien , mais nous pensons que le levier pour notre développement est l’agriculture. C’est ce que nous maîtrisons le mieux actuellement, et il ne faut pas le brader. Il y a le coton au Burkina, le café et le cacao en Côte d’ivoire, le Nigeria est le 3e producteur mondial d’arachide suivi du Sénégal. Nous avons des atouts. Pourquoi ne pas bâtir l’ensemble que nous voulons construire sur ces atouts-là ? C’est le socle de notre intégration. C’est ce que vous avez dit au président nigérien et il est prêt à parrainer le forum ? Oui, puisque c’est dans l’agriculture que nous sommes à peu près bien et où on peut faire mieux, et il est d’accord. Nous lui avons demandé d’inviter les autres chefs d’Etat , les ministres de l’agriculture et du commerce ainsi que les partenaires au développement. Parce qu’on nous dit souvent que les villes sont pauvres, mais personne ne calcule le nombre de paysans qui abandonnent les champs pour venir chercher pitance en ville. Tous les jours , on voit des coupeurs de routes dans la presse et personne ne fait le lien avec les produits à bas prix qui inondent nos marchés au non de la libéralisation tous azimuts. Cette ville dont on dit que les populations sont pauvres. Y a- t-il de l’emploi vraiment ? Il n’y a pas assez d’entreprises, ni d’usines. Les petits vendeurs dans la rue peuvent -ils avoir autant de bénéfices qui leur permettent d’acheter le kilo de riz importé à 250 francs ? j’en doute. Il faut donc faire des calculs. Ce sont les fonctionnaires et autres agents de l’Etat salariés qui font tourner nos villes. Ils sont combien en ville à pouvoir vivre décemment ? La ville ne crée pas d’emplois mais elle continue d’attirer les paysans et surtout les jeunes qui abandonnent leurs activités. Il faut régler le problème parce que si le statu quo continue, on va droit dans le mur. Calculons le coût de cette situation pour la société. Il y a quinze ans qui aurait imaginé des braqueurs au Burkina Faso ? Il faut appréhender l’origine du mal. Tout le monde se bat aujourd’hui pour qu’on arrête les subventions. Si on arrête les subventions , le prix du riz importé va monter, le prix de la miche de pain va coûter 300 francs. Les prix actuels sont dus au fait que la production du blé est subventionnée. La lutte contre les subventions sur le coton peut donc avoir des répercussions ? Pour protéger notre coton, on lutte contre les subventions. Mais en le faisant, on lutte également contre toutes les subventions. Il faut réfléchir. Notre affaire n’est pas du tout garantie parce que les prix actuels sont de faux prix en ce qui concerne les principaux produits de consommation. Même si on opte de mettre à la disposition des populations ces produits à bas prix qui vont tuer notre agriculture que fait -on de notre souveraineté ? La première souveraineté est -t-elle militaire ou alimentaire ? Un peuple qui est capable d’assurer 80 à 90% de son alimentation, est un peuple débout qui peut négocier avec les autres . Ce n’est pas le cas dans la sous-région. De plus en plus, nous sommes dépendants de l’extérieur. Imaginons que le Burkina ne consommait que du poulet importé. Avec la grippe aviaire que se serait-il passé ? Combien de temps allait -on mettre pour développer une filière avicole nationale ? Nous voulons partager toutes ces questions avec nos responsables , avec la presse qui ne va pas toujours au fond des choses. Notre avenir est menacé. C’est pour cela que le Burkina doit continuer à faire du coton , du très bon mais il ne doit pas oublier le riz local , le sorgho et le maïs, etc. qui font partie de nos valeurs culturelles alimentaires. Ces cultures que vous citez ne rapportent pas grand-chose aux paysans monétairement parlant par rapport au coton... Qui a fait que le producteur s’attache au coton ? Ce sont les Etats qui ont négocié des programmes et des zones cotonnières. On y a construit des pistes, mis en place des programmes d’alphabétisation et des caisses d’épargne. Tout ce qui est nécessaire pour que les paysans fassent du coton a été mis en place avec les bailleurs de fonds. L’a-t-on fait pour le maïs et le sorgho ? Savez-vous qu’en 2004, au sein de la CEDEAO, on a consommé 9 millions de tonnes de riz blanc ? Mais on en a produit que 4,5 millions de tonnes. Il n’y a jamais eu une année où tous les pays sont excédentaires ; on peut donc créer un marché et le réguler. C’est valable pour le mil et le sorgho. De Cotonou à Abuja, jusqu’à Bamako les gens consomment le mil pour la pâte de tô. Il y a des zones déficitaires et excédentaires. Mais dès que tu veux transporter des tonnes de céréales d’un point à l’autre de la zone, c’est comme si tu faisais du trafic d’armes tant on te crée des problèmes. Nous voulons interpeller les chefs d’Etat sur tous ces aspects. Ce forum peut-il vraiment faire bouger les choses ? Qu’est-ce qui sera différent des autres forums ? On en organise beaucoup, vous ne trouvez pas ? Les Africains n’organisent pas beaucoup de forums, on leur fait organiser beaucoup de forums. Votre journal pourrait essayer de vérifier sur le total de forums organisés en 2005 au Burkina, combien sont vraiment d’initiative locale avec des fonds et des priorités burkinabè ? La prmeière différence ici, ce sont des paysans qui ont interpellé le président de la CEDEAO sur leurs conditions de vie et leur avenir. Il y a des politiques agricoles régionales qui se mettent timidement en place alors qu’il y a urgence. Deuxièmement, ce sont des paysans qui veulent parler avec leurs élus parce que parmi les électeurs, nous sommes majoritaires et nous leur avons accordé notre confiance et nous voulons parler de choses qui nous concernent et les concernent. Troisièmement, nous avons souhaité que les ministres de l’Agriculture et du Commerce soient présents pour qu’on parle de notre affaire. On parle toujours du ministre de l’Agriculture alors que ce n’est pas toujours lui qui négocie. Au ROPPA, nous avons réfléchi. Le problème n’est pas technique, même pas financier. Tout le monde nous dit que l’agriculture est une priorité, qu’elle constitue 45% du PIB, nous voulons désormais que cela se voie dans les dépenses de l’Etat en matière d’investissement au village, pour rendre la vie du paysan agréable. Vous avez alors des propositions à faire ? Et qu’est-ce qui vous dit que cette fois les chefs d’Etat vont vous suivre ? En réalité , on n’a pas de propositions à leur faire. Nous allons présenter la situation et les faits. C’est à eux de nous dire ce qu’il y a lieu de faire. Nous allons leur dire que notre alimentation va dépendre de l’extérieur. Est- ce que c’est bon pour nous ? S’ils disent que c’est bien , on prend acte. Si c’est non, on verra ce qu’il y a lieu de faire. Si tout le monde dit que dans 30 ans, il n’y a plus de village et que à Ouaga , on peut gérer 8 millions de personnes et à Bobo 4 millions. On dira oui avec eux. Notre mission, c’est d’attirer l’attention des décideurs en leur rappelant qu’au rythme actuel, voilà comment les choses risquent de dégénérer. On peut y remédier à condition que le village fixe les jeunes ruraux et leur permette d’être bien. Quand vous lisez les chiffres du Burkina, on parle de 80% de ruraux. Ces chiffres sont dépassés aujourd’hui avec l’exode rural. Et les villes ce n’est pas Bobo et Ouaga seulement. Regardez le rôle d’aspirateur de jeunes ruraux de toutes ces villes moyennes. Si dans le milieu rural, il n’y a pas de travail qui puisse retenir les jeunes, nos villages vont disparaître. Notre rôle , c’est de montrer à nos dirigeants ce qu’on leur cache. Eux qui ont juré de travailler au bonheur de leur peuple prendront alors leurs responsabilités. Vous n’êtes pas d’accord avec le TEC (tarif extérieur commun) de la CEDEAO, pourquoi ? Le contenu d’un TEC obéit à des objectifs politiques clairs. Les taux sont fixés en fonction de cela. Nous, nous posons le débat, nous soulevons nos préoccupations. Aux décideurs et aux techniciens de les conformer à nos aspirations. Sinon, moi je ne sais pas comment on fait un TEC. La question que le ROPPA pose est de savoir si on a choisi d’être dépendant des bas prix aujourd’hui tout en nous battant à l’OMC contre les subventions, et si dans 30 ans, on veut voir disparaître les villages au profit des villes. Une fois ces questions posées, on peut fixer le TEC en connaissance de cause. Le prix du kilogramme de coton a baissé au Burkina. Il est passé de 175 à 165 francs CFA avez-vous un commentaire à propos ? Je ne suis pas producteur de coton. Mais je suis solidaire de tous les cotonculteurs dans leur combat pour la survie. On ne peut pas retenir les gens en milieu rural si chaque fois leurs revenus baissent. Les salariés du public ou du privé subissent-ils autant de baisse sur leurs salaires ? Si ceux-ci n’augmentent pas, ils ne baissent pas. On ne peut créer un métier et l’encourager avec la baisse constante des revenus. De toutes les façons voyez les jeunes à la télévision ; ils disent que même s’ils vont tous mourir , ils vont émigrer en Europe. Imaginez une région sans jeunes. Cela doit faire réfléchir les chefs d’Etat. S’ils veulent gérer des pays sans jeunes , c’est à eux de répondre. Nous, les paysans on leur présente la problématique. Ils décideront. Propos recueilli par Abdoulaye TAO Le Pays |