La veille de l'ouverture du Forum social mondial de Bamako, le 18 janvier, une Journée consacrée au 50e anniversaire de Bandung a été organisée dans cette ville. Il en est sorti l' « Appel de Bamako » soumis à la signature des organisations. Cet appel contient dix chapitres. Voici celui qui concerne l'agriculture paysanne. Dans le domaine de l'agriculture paysanne, il existe d'abord des objectifs à moyen et long termes, liés à la souveraineté alimentaire et qui se situent à la fois aux niveaux national, international, multilatéral (celui de l'OMC) et bilatéral (Accords de partenariat économique [APE], négociés entre les pays ACP et l'Union européenne). Ensuite, au niveau national, cela concerne aussi bien la politique des prix et marchés agricoles que la politique des structures, l'accès des agriculteurs aux moyens de production et d'abord à la terre. A très court terme, en 2006, il s'agit de faire échouer la finalisation du Doha Round, ce qui facilitera le refus de conclure les Accords de partenariat économique. A cet effet, les propositions portent sur deux axes : les moyens pour imposer la souveraineté alimentaire à moyen terme, et comme préalable la mise en échec du Doha Round et les Accords de partenariat économique. 1) Propositions pour imposer la souveraineté alimentaire : La souveraineté alimentaire est le droit qui doit être reconnu à chaque État (ou groupe d'États) de définir sa politique agricole intérieure et le type d'insertion qu'il souhaite dans le marché mondial, avec le droit de se protéger efficacement à l'importation et de subventionner ses agriculteurs à condition de s'interdire toute exportation de produits agricoles à un prix inférieur au coût de production total moyen sans subventions directes ou indirectes (en amont ou en aval). Elle est le bras de levier devant permettre à tous les pays de recouvrer leur souveraineté nationale dans tous les domaines. C'est aussi un outil de promotion de la démocratie puisqu'elle nécessite d'impliquer fortement les différents acteurs des filières agroalimentaires à la définition de ses objectifs et moyens, en commençant par les agriculteurs familiaux. Elle implique donc des actions de régulation aux niveaux national, sous-régional et international. - Au niveau national :
Les États doivent garantir l'accès des exploitations paysannes aux ressources productives, et d'abord à la terre. Il faut arrêter de promouvoir l'agriculture d'agrobusiness avec accaparement de terres par les bourgeoisies nationales (dont fonctionnaires) et les firmes transnationales au détriment des exploitations paysannes. Cela implique de faciliter les investissements des exploitations familiales et de transformer les produits locaux pour les rendre plus attractifs aux consommateurs. L'accès à la terre de tous les paysans du monde doit être reconnu comme un droit fondamental. Sa mise en oeuvre exige des réformes adéquates des systèmes fonciers et parfois des réformes agraires. Pour faire partager l'objectif de la souveraineté alimentaire aux consommateurs urbains - condition indispensable pour que les gouvernements s'y engagent -, trois types d'actions sont à mener : - encadrer l'action des commerçants qui pénalise les agriculteurs et consommateurs. - faire des campagnes de sensibilisation des consommateurs sur le tort immense fait à l'agriculture et à toute l'économie par la dépendance des produits importés, qui sont pratiquement les seuls vendus, par exemple dans les supermarchés d'Afrique de l'Ouest. - relever progressivement les prix agricoles par la hausse des droits à l'importation pour ne pas pénaliser les consommateurs au pouvoir d'achat très limité. Cela doit s'accompagner de la distribution à ceux-ci de coupons d'achat au prix ancien des produits alimentaires locaux, à l'image de ce qui se fait aux États-Unis, en Inde et au Brésil, et cela en attendant que les gains de productivité des agriculteurs aient fait baisser leurs coûts de production unitaires, leur permettant de baisser leurs prix de vente aux consommateurs. - Au niveau sous-régional :
Pour que les États puissent recouvrer leur pleine souveraineté, et d'abord la souveraineté alimentaire, l'intégration politique régionale s'avère incontournable pour les petits pays du Sud. A cet effet, il faut réformer les institutions régionales actuelles, notamment, en Afrique, l'UEMOA et la CEDEAO, trop dépendantes de ces diverses méga-puissances. - Au niveau international :
Faire pression pour que les Nations unies reconnaissent la souveraineté alimentaire comme un droit fondamental des États indispensable pour mettre en oeuvre le droit à l'alimentation défini par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1996. A ce niveau, quatre instruments de régulation des échanges agricoles internationaux sont à instaurer pour rendre la souveraineté alimentaire effective : - Une protection efficace à l'importation, c'est-à-dire fondée sur des prélèvements variables garantissant un prix d'entrée fixe de manière à garantir des prix agricoles intérieurs minima sécurisant les investissements des agriculteurs et les prêts des banques, les droits de douane étant insuffisamment protecteurs face à des prix mondiaux fortement fluctuants, fluctuation aggravée par celle des taux de change. - L'élimination de toutes les formes de dumping, en interdisant toute exportation au dessous du coût de production total moyen du pays sans subventions directes ou indirectes. - Des mécanismes de coordination internationale de la maîtrise de l'offre, de manière à éviter des surproductions structurelles et à minimiser les surproductions conjoncturelles qui font s'effondrer les prix agricoles. - La nécessité de sortir l'agriculture de l'OMC en confiant la régulation internationale des échanges agricoles à une institution des Nations Unies qui pourrait être la FAO. En particulier en réformant son organisation sur le modèle tripartite de l'OIT (Organisation internationale du travail), ce qui associerait à la régulation les représentants des syndicats agricoles (FIPA et Via Campesina) à côté de représentants des firmes agroalimentaires (qui agissent déjà dans l'ombre sur les gouvernements négociant à l'OMC) et des États. 2) Propositions à court terme pour mettre en échec le Doha Round et les Accords de partenariat économique : Un enseignement majeur de la Conférence ministérielle de l'OMC à Hong Kong est que le Brésil et l'Inde, et avec eux le G-20, se sont distancés des intérêts des populations du Tiers Monde et se sont révélés des promoteurs les plus déterminés de la mondialisation néo-libérale. Puisque le Doha Round est un « paquet global » (single undertaking), il y a moyen de le mettre en échec. La société civile internationale, et d'abord les organisations paysannes du Nord et du Sud, pourront dans une campagne médiatique, montrer que ces subventions (particulièrement de la « boîte verte »), sont un instrument de dumping bien plus considérable que les subventions explicites à l'exportation, et le seront encore plus à partir de 2014 lorsque les premières auront été éliminées.
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