HONG-KONG |
Les paysans du Burkina sont en campagne. Ce n'est pas pour désigner des représentants au Conseil économique et social, ni pour se disputer des places au niveau des Chambrés d'agriculture. Ils sont en campagne pour recueillir des signatures dans le cadre des pétitions qu'ils comptent remettre aux autorités nationales. Un million de signatures pour dire non aux subventions sur le coton et aux dumpings sur le marché international qui asphyxient des millions de producteurs africains. Le message est clair, faire échouer, au besoin, le sommet de Hong-Kong si les agriculteurs africains ne trouvent pas leur compte dans les accords. Et depuis Cancun, les paysans africains ne dorment plus. Pour une des rares fois, ces hommes et femmes du monde rural s'approprient la parole pour dire ce qu'ils pensent, ce qu'ils souhaitent comme politique à leur égard. Fini le temps où les «braves paysans» devaient écouter sagement comme parole d'Evangile les leçons de nos politiciens. Après quarante ans d'errements, le monde rural s'éveille, doucement mais sûrement. Elle le doit à une organisation à la base et au réseautage des organisations paysannes qui sont en train de créer une conscience paysanne. Mieux organisées et structurées, les organisations paysannes pourraient être encore plus efficientes dans le choix des politiques les concernant. Elles ont plusieurs atouts: leur poids social, politique et économique. Les paysans représentent 80% de la population et sont l'épine dorsale de l'économie nationale, basée essentiellement sur les rentes du coton et quelques filières agro-alimentaires. Politiquement, c'est la couche sociale la plus courtisée lors des scrutins électoraux. Objectivement, il n'y a donc pas de raison que, tout comme leurs collègues français ou américains, ils ne puissent pas influencer les politiques. Les négociations à l'OMC représentent donc un double enjeu, celui de l'affirmation d'une identité paysanne africaine, et la capacité de nos politiques à intégrer les préoccupations du monde rural dans leurs démarches politiques. C'est un exercice nouveau pour ces derniers, confinés qu'ils étaient dans des choix économiques et politiques dictés de l'extérieur et qu'ils se contentaient d'appliquer sans toujours penser aux conséquences pour leur pays. Aujourd'hui, les paysans demandent des comptes. La preuve, le Réseau des organisations paysannes africaines (ROPPA) s'oppose au Tarif extérieur commun (TEC) de l'UEMOA, qui est la porte ouverte, selon eux, à l'élimination pure et simple des riziculteurs de la zone. Ils exigent sa modification et optent pour la politique agricole commune de la CEDEAO, dont ils ont participé à l'élaboration. A Hong-Kong, les producteurs burkinabè, tout comme leurs homologues de la sous région, seront présents. Plus rien ne doit désormais être décidé en leur nom et en leur absence. Un responsable de la confédération paysanne a même déclaré : «Nous serons également à Hong-Kong et on verra qui a dit quoi». Il faut toutefois craindre la récupération politique des mouvements paysans locaux par des politiciens en mal de réseaux de soutien. La relative indépendance de vue actuelle des organisations paysannes est due au fait qu'elles ont des partenariats stratégiques avec de grandes institutions internationales. Elles ont donc intérêt à les maintenir et à travailler à leur autonomie. C'est le défi qui attend les leaders paysans: résister à l'inféodation politique. Il s'agit pour eux de se mettre au-dessus de la mêlée et de défendre les intérêts, rien que les intérêts des producteurs qui ont compris que leur salut ne viendra que de la modernisation des exploitations agricoles familiales, pour assurer la souveraineté alimentaire. C'est en cela que l'option de demander aux gouvernements africains de protéger le riz comme produit stratégique est un choix judicieux. La lutte contre la pauvreté passe par une agriculture qui génère des revenus pour les producteurs, par des produits achetés au juste prix à travers un commerce équitable. En réalité, les paysans ne demandent pas l'aumône, ils veulent seulement vivre du fruit de leur labeur. Si nos Etats n'arrivent pas à leur garantir ce minimum, c'est la mort programmée pour nos filières que sont le coton, le riz et bien d'autres produits agricoles. Cela, les « braves paysans » l’ont compris ; aux hommes politiques de jouer leur partition. C’est une question de survie pour des millions de ruraux. « Le Pays », vendredi 25 novembre 2005 |