View of the South - View from the South

... et le tabac du vieil homme de Loroni (au Burkina Faso)

Le jeudi 28 octobre 2004, nous étions trois participants revenant du Forum Social du Bénin sur la route de Ouagadougou. Nous nous sommes arrêtés à Savalou pour le repas de midi. On nous propose un plat de riz à 100 FCFA et un morceau de viande à 200 F. Nous demandons : "De quelle viande s'agit-il ?". Il nous est répondu : "Du torotoro !". Nous pensons qu'il s'agit d'une viande locale, peut-être de l'agouti. Nous passons donc la commande.

Nous sommes servi rapidement : une bonne assiettée de "riz gras" (du riz thaïlandais !), avec un morceau de viande. Curieusement, nos trois morceaux de viande se ressemble étrangement : ils sont tout en longueur... Après enquête auprès d'autres consommateurs, nous apprenons qu'ils s'agit de morceaux d'aile de dinde... de ces bas-morceaux qui arrivent par bateau de l'Europe dans des conteneurs... Ces bas-morceaux que les européens ne veulent pas manger, et qu'ils déversent sur l'Afrique à des prix cassés. Ces bas-morceaux qui cassent le marché de la volaille des Burkinabè, le marché des "poulets bicyclettes".

Et je repense à mon vieil ami de Loroni. Il y a quelques années, je logeais chez son voisin pour y apprendre la langue de ce village, le samoma. Je le voyais partir en brousse chaque matin avec un panier à l'arrière de sa bicyclette. Il revenait avec des termites qu'il donnait en nourriture à ses poussins. Il m'expliquait qu'il faisait cela pour acheter son tabac. Il était trop vieux pour cultiver. C'était maintenant son fils qui le nourrissait, mais il devait élever des poules pour obtenir de quoi s'acheter du tabac !

De temps à autre, des ramasseurs circulaient en vélo dans le village pour acheter les poulets qu'on voulait bien lui vendre, et ces poulets étaient conduits, toujours en vélo, jusqu'au village de Dio, où chaque lundi un camion chargé entièrement de poulets partait vers le Sud, vers un pays côtier, pour y être vendus. 

Et je m'interroge : mon vieil ami de Loroni arrive-t-il encore à vendre ses poulets ?

Au Sahel, les poulets sont souvent la seule richesse des familles pauvres. C'est grâce à eux que certains peuvent encore se soigner ou mettre leurs enfants à l'école primaire. En condamnant ces familles à la misère, l'Europe doit s'attendre à voir s'accentuer l'immigration clandestine. Est-ce cela qu'elle recherche ? 

Quand aux responsables politiques africains, quand auront-ils le courage de refuser les déchets des pays riches ? ! 

Maurice Oudet
Koudougou, le 30 octobre 2004