Comment lutter contre la pauvreté ? |
L'actualité m'invite à reprendre le thème du numéro 81 et de le prolonger quelque peu. Sous l'impulsion de la Banque Mondiale, les pays du Sud ont organisé de nombreux ateliers et séminaires pour établir leur Cadre Stratégique de Lutte Contre la Pauvreté. Nous avons dit, en son temps, ce que nous pensions de ces ateliers. Voir, sur notre site : Quelle Stratégie adopter pour lutter contre la pauvreté ? Dans son rapport 2003 sur l'insécurité alimentaire dans le monde la FAO indique que le nombre de personnes qui souffrent de la faim est à nouveau en augmentation. Une fois de plus, les chances de réaliser l'objectif fixé par le sommet mondial de l'alimentation, réduire de moitié d'ici 2015 le nombre de personnes souffrant de la faim s'éloigne.
Aujourd'hui, la Banque mondiale organise à Shanghai, du 25 au 27 mai 2004, avec le concours du Gouvernement chinois, une conférence internationale, qui s’inscrit dans la perspective des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et des efforts de la communauté internationale en faveur de la réduction de la pauvreté. Mais est-ce vraiment de conférences internationales dont nous avons besoin ? N'est-ce pas plutôt d'une réelle volonté politique pour que les choses changent ? La situation est claire. Déjà le philosophe français, Voltaire, écrivait en son temps : "la bonne politique a le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres." (Voltaire, philosophe français - 1694 - 1778). Apparemment, c'est toujours la même situation qui prévaut. La plupart des pauvres de notre planète vivent en milieu rural. Il est facile de faire le constat suivant : ceux qui font les lois vivent en ville. De plus, les régimes politiques craignent davantage les populations urbaines que les populations rurales. Pas étonnant, alors, si les lois sont le plus souvent favorables aux urbains. Tout est fait pour nourrir les populations urbaines au moindre coût financier. Au risque, trop souvent, de condamner les populations rurales à la misère. Pourtant, pour sortir les populations rurales de la misère, il suffirait d'accepter de payer les productions agricoles à leur juste prix. Quand pour une raison ou une autre les paysans peuvent vendre leurs produits à un prix rémunérateur, non seulement cela leur permet de sortir momentanément de la pauvreté, mais ils sont encouragés à produire davantage. Cela pourrait être alors l'occasion de casser le cercle vicieux qui engendre la pauvreté, si le système mondial était capable de maintenir ce prix rémunérateur. Mais trop souvent, l'année suivante les prix s'effondrent. L'actualité nous en fournit à nouveau un exemple. Paradoxe au pays du chocolat, tel est le titre de la chronique de Jean-Pierre Boris, le 12 avril 2004 sur RFI . La Côte d'Ivoire, le premier producteur mondial vient de confirmer un bon niveau pour sa récolte de cacao. "Contrairement aux craintes de l'automne, les exportations sont légèrement supérieures à celles de l'an dernier. L'instabilité politique, les troubles, les barrages et le racket sur les routes avaient fait craindre une baisse de la récolte. Mais c'était oublier l'impact des prix élevés payés l'an dernier. Au plus fort des troubles politiques en Côte d'Ivoire, l'inquiétude des acheteurs avait fait exploser les cours. Toute la filière en avait bénéficié. Les paysans ont pu financer les achats d'engrais et entretenir leurs plantations. D'autant plus que les planteurs ont tenu bon. «Quelle que soit leur origine, burkinabé ou d'une ethnie locale», dit un observateur, «ces paysans ont fait preuve d'une résistance à toute épreuve. Dès qu'ils ont quelques semaines de répit, ils reprennent courage et reprennent le travail». Résultat, même la récolte intermédiaire qui arrive en ce moment sur le marché est plus belle que d'habitude. Mais comme la situation politique est ce qu'elle est, impossible de stocker, de tenter de faire monter les prix. Alors les paysans vendent et pas cher, moins d'un demi euro, le kilo de fèves de cacao." Et le cercle vicieux qui engendre la pauvreté se referme sur les planteurs de Côte d'Ivoire ! Il est relativement difficile de maîtriser le cours des produits agricoles sur le marché mondial. Aussi, un premier pas décisif de la communauté internationale dans sa lutte affichée contre la pauvreté pourrait être celui-ci : la reconnaissance du droit des peuples à produire leurs aliments de base. Et donc la reconnaissance du droit, pour un pays (ou une union de pays) de protéger son alimentation et son agriculture par des taxes à l'importation. Alors, il devient possible pour ce pays de construire une politique agricole sur les prix du marché (mais du marché intérieur et non du marché mondial). Les paysans sont encouragés à produire davantage, leurs revenus augmentent, et la dépendance alimentaire recule. Quand est-ce que la communauté internationale, et notamment la Banque mondiale aura le courage de reconnaître que le système actuel ne marche pas pour les pauvres, spécialement pour les paysans des pays pauvres, et qu'il est grand temps de sortir de ce cercle vicieux qui engendre la pauvreté dans les campagnes ? Maurice Oudet, |