LE MONDE | 24.06.08 | 15h25
BOBO DIOULASSO ENVOYÉE SPÉCIALE

 Casimir Zoungrana est un cultivateur de coton à l'affût de toutes les innovations. Sur ses quelques hectares de terre, il cultivera dès que possible à la fois du coton biologique et du coton transgénique. Il ne voit là aucune contradiction. Le coton bio et équitable, c'est la garantie d'un prix de vente beaucoup plus élevé que la normale. Le coton OGM, c'est l'espoir d'augmenter les rendements et les marges, de sortir la tête de l'eau après plusieurs années de chute des cours mondiaux.


Les premières pluies arrivent, les semis de coton viennent tout juste de commencer au Burkina Faso, deuxième pays producteur d'Afrique derrière l'Egypte. Pour la première fois en 2008, 15 000 hectares de coton OGM seront semés. M. Zoungrana est l'un des vice-présidents de l'Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB), située à Bobo Dioulasso, en plein coeur de la zone cotonnière. Il attend beaucoup du coton OGM.

Un gène issu de la bactérie Bacillus thuringiensis (Bt), incorporé dans le génome du coton, lui permet de produire une protéine insecticide ciblant les ravageurs. Selon les recherches menées par l'Institut de l'environnement et de la recherche agricole (Inera), le coton Bt permettra d'augmenter les rendements de 30 %, et de ramener le nombre de traitements insecticides de six à deux.

Pour M. Zoungrana, cela signifie concrètement "moins de temps de travail et d'énergie dépensée pour les traitements". Et moins de contacts avec les pesticides. "Ils tuent les insectes utiles et les animaux domestiques, ils contaminent les mares, ils sont dangereux pour la santé, énumère le cultivateur. Ici, les gens traitent sans aucune protection. Je me suis déjà trouvé mal en le faisant." Utiliser ces semences, c'est aussi tenter de lutter à armes égales avec les grands producteurs mondiaux.

Annoncée en 2003 par le gouvernement, préparée par une loi sur la biosécurité, l'arrivée des OGM a lieu dans un climat tendu. Le sujet est d'autant plus brûlant que le coton fait vivre 20 % de la population, rapporte 60 % des recettes d'exportation, et représente un quart du PIB burkinabé. Un collectif anti-OGM, la Coalition des organisations de la société civile pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen), a organisé en février une caravane dans les zones cotonnières, afin de "sensibiliser" les paysans. "Nous ne sommes pas José Bové, il n'y a pas de violence, prévient René Millogo, coordinateur de la Copagen. Nous voulons simplement qu'il y ait un véritable débat."

"Nos cotonculteurs ont des difficultés, on leur dit que leurs rendements ne sont pas assez élevés, et on leur présente les OGM comme une solution miracle, affirme M. Millogo. Il faut plus de recul. Ils sont introduits sans même que les paysans, dont la plupart sont analphabètes, sachent de quoi il s'agit." Pour le militant, le principal handicap du coton burkinabé, c'est son coût, trop élevé par rapport aux cotons subventionnés venus des Etats-Unis et d'Europe, et plombé par la parité entre l'euro et le franc CFA. "Les OGM ne vont pas résoudre ça", lance-t-il.

Tout a été fait pour éviter la dépendance des paysans vis-à-vis de Monsanto, affirme Gnissa Konate, le directeur de l'Inera. La firme américaine a introduit le gène Bt dans des variétés locales. "L'Etat est copropriétaire, avec Monsanto, des variétés génétiquement modifiées, explique le chercheur. Nous discutons d'égal à égal. Le prix de la semence et la répartition de la valeur ajoutée entre nous et eux seront fixés d'un commun accord."

Ces chiffres restent encore secrets. Or le montant de la redevance payée par les agriculteurs est un élément clé. Autre inconnue, les performances des variétés OGM en conditions réelles. Des recherches menées par le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) en Afrique du Sud ont montré une grande variabilité des résultats selon les années et les producteurs. Athanase Yara, chef du service agronomie de l'UNPCB, écarte ces doutes : "Les paysans savent tenir un compte d'exploitation, si les OGM ne leur rapportent rien, ils arrêteront." Pour lui, la production bio ne sauvera pas tous les producteurs du pays. "C'est très difficile, cela demande beaucoup de main-d'oeuvre et d'engrais organique issu de l'élevage, explique M. Yara. C'est le principal facteur limitant." Et le coton biologique reste, pour l'instant, un marché de niche.

Les règles d'étiquetage des produits et de coexistence entre les filières ne sont pas fixées. Selon M. Konate, des distances d'isolement de 15 mètres entre les champs rendront "négligeables" les traces d'OGM dans les cultures conventionnelles, entre 0 et 0,4 %. Pour les opposants, il s'agit d'une pollution, et les filières biologiques et OGM ne pourront pas cohabiter sur un même territoire.

L'impact sanitaire des OGM pose question : l'huile de coton est la première consommée dans le pays. Là encore, selon le professeur Konate, rien n'a été décidé à la légère : "En l'état actuel de nos connaissances, la probabilité pour que la toxine Bt provoque des dommages à l'intestin humain est extrêmement faible." Pour M. Zoungrana, les Américains ont ouvert la voie. "Les OGM ont commencé en Occident, et les Occidentaux n'en sont pas morts", lance-t-il.

Gaëlle Dupont

Repères
Les pays producteurs. La Chine, les Etats-Unis, l'Inde et le Pakistan produisent les deux tiers des volumes mondiaux de coton, qu'il soit conventionnel ou transgénique.
Coton OGM. 43 % de la production mondiale est issue de plantes génétiquement modifiées, soit 15 millions d'hectares. Les Etats-Unis et la Chine en sont les principaux utilisateurs. L'Inde, l'Afrique du Sud, l'Australie, l'Argentine, le Mexique et la Colombie en cultivent également. Le coton transgénique représentait 13 % de l'ensemble des OGM cultivés sur la planète en 2007.
 

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