Le gouvernement burkinabè de transition va-t-il oublier les paysans ?
Je souhaite une bonne année 2015 à tous les lecteurs de cette lettre, sans oublier les paysans du monde entier, et spécialement ceux du Faso.
Hier, au journal télévisé de 20 heures de la RTB (Radiodiffusion Télévision du Burkina), j'ai écouté le Président de transition M. Michel Kafando offrir ses vœux au peuple burkinabè. Dans son message du nouvel an, il n'a pas oublié de saluer les femmes et les jeunes qui ont pris une part décisive à l'insurrection des 30 et 31 octobre. Dans un premier message le Président ne peut pas tout dire. Il nous a assuré que le Conseil National de Transition (CNT) fonctionne maintenant à plein régime. Nous ne demandons qu'à le croire. Cependant, j'ai bien peur, qu'une fois encore, les paysans soient les grands oubliés.
En effet, sur Lefaso.net, je consulte ce matin un article intitulé « Tarif extérieur commun de la CEDEAO : Les opérateurs économiques burkinabè s’en imprègnent à 48h de son entrée en vigueur. » L'auteur ne manque pas de citer le président de la commission de la CEDEAO, M. Kadré Désiré Ouédraogo. Ce dernier ne craint pas de dire que ce TEC protège notre agriculture !
Sankara n'aurait jamais dit cela ! Mieux, Sankara n'aurait jamais accepté que le Burkina Faso accepte ce TEC qui ne protège en rien notre agriculture !
Comment M. Kadré Désiré Ouédraogo peut-il affirmer que ce TEC protège notre agriculture ?
Il ne protège presque rien. Pourquoi le conférencier n'a-t-il pas dit (ou le journaliste noté) que le TEC comporte plus de 5000 lignes tarifaires. 130 lignes tarifaires dans la bande des 35% cela ne représente que 2 à 3 % de l'ensemble des lignes tarifaires !
Pour l'essentiel, en ce qui concerne l'agriculture, il n'y a rien de changer ! Le lait en poudre est toujours taxé à 5 % au moment où l'Europe s'apprête à supprimer les quota laitier et donc à déverser ses surplus sur l'Afrique de l'Ouest.
Le riz est toujours taxé à 10 % alors que la Thaïlande, encombré par un stock de 15 millions de tonnes de riz (du jamais vu) n'a d'autre solution que de déverser ce stock sur le marché mondial à prix cassé.
La difficulté, c'est que le marché mondial des produits agricoles et alimentaires est très volatile. La protection de l'agriculture par des taxes en pourcentage n'est pas adaptée.
Pour nos produits sensibles, il faudrait remplacer certaines lignes tarifaires (celles du riz, du lait en poudre et des produits laitiers... ) par des couples constitués d'un droit d'entrée fixe et de prélèvements variables.
Un exemple pour faire comprendre de quoi il s'agit. Prenons le blé. La CEDEAO peut fixer un prix d'entrée pour le riz de 400 000 FCFA la tonne. Si la Thaïlande nous propose du riz de qualité à 450 000 F la tonne, il n'y a pas de prélèvement. Mais si elle veut brader sur notre marché le vieux riz de son stock (qui peut atteindre dix ans d'âge) à 300 000 F la tonne, cette tonne sera taxé à 100 000 F. Avec un tel système l'Europe a développé fortement son agriculture. Avec un tel système, le producteur de riz burkinabè sait qu'il peut vivre dignement de son travail. Avec un tel système l'Etat burkinabè peut investir dans le développement de rizières...
C'est possible. L’Europe l'a fait après la guerre , quand elle ne produisait pas assez pour se nourrir elle-même. Il faudra négocier cela au niveau de la CEDEAO, puis avec l'OMC. Oui, c'est possible. Il suffit d'un peu de volonté politique. Nous espérons que le gouvernement de la transition du Burkina a cette volonté et sera capable de la partager avec les autres pays de l'Afrique de l'Ouest.
Non, le TEC ne protège pas les paysans. Le gouvernement de transition va-t-il oublier l'agriculture, ou va-t-il réagir pour que le changement politique de notre pays profite à tous, et donc aussi à la population rurale. Elle représente au moins 80% de l'ensemble de la population. L'oublier conduirait notre pays à l'échec, une fois encore.
Un dernier mot plus personnel. Voici 17 ans que j'habite la troisième ville du pays, Koudougou. Je vois la ville se développer. Je vois les collèges et les lycées se multiplier. J'ai vu naître et grandir l'Université de Koudougou. Elle compte aujourd'hui plus de 12 000 étudiants.
Mais, je ne vois pas que la pauvreté recule. De nombreuses femmes en détresse frappent à nos portes. Souvent veuves ou abandonnées par leurs maris. Elles n'arrivent plus à nourrir convenablement leurs enfants ou à les scolariser. Pour les aider nous offrons de petits prêts, le plus souvent de 75 €. Parfois plus quand il s'agit d'aider à installer un salon de coiffure ou un atelier de couture, entre autres. Dans ce cas le prêt, peut-être accompagné d'un don de 100 à 200 euros, pour que le remboursement ne soit pas trop lourd.
Pour d'autres ce sera un appui pour la scolarisation (au collège ou au lycée) d'un enfant (le plus souvent une fille, les plus touchées par la pauvreté de la famille).
Merci à ceux qui voudraient participer financièrement à ce travail de solidarité de me contacter.
Bonne et heureuse année 2015 !
Koudougou, le premier janvier 2015
Maurice Oudet
Président du SEDELAN