Baisse du prix
du coton : La
drôle de riposte de Salif Diallo
DÉBAT
J’apprécie très
positivement les sorties médiatiques de monsieur le Ministre
sur toutes les questions importantes liées au développement du
secteur agricole. Elles permettent aux lecteurs de la presse de
connaître les grandes orientations et décisions prises ainsi
que les actes posés par les premiers responsables.
Je comprend également
que c’est une invite au débat et aux échanges.
Malheureusement, du constat que je fais, les sujets de politique
économique et sociale semblent intéresser très peu les
citoyens. Les cadres au premier chef ne réagissent pratiquement
pas ou très peu aux positions des autorités sur des questions
d’importance, quoique je reste persuadé que sur plus d’un
sujet ils ne sont pas toujours de leur avis. Mieux, ils ont des
propositions.
Les séminaires, ateliers et autres fora ne sont pas les seules
tribunes où les intellectuels peuvent apporter leur
contribution à la réflexion sur le développement. Je pense
que les colonnes de la presse nationale sont également
gracieusement offertes. Alors profitons-en !
Ma
contribution se situe dans ce cadre et s’articule de trois
points.
1)
Le coton n’est pas le seul produit agricole touché par la
politique de dumping des USA
Il n’ y a pas de
doute que le coton est une culture stratégique pour notre pays
comme le dit M. Le ministre : 2 000 000 de producteurs concernés,
plus de la moitié des recettes d’exportation du Burkina, etc.
Cependant, ce n’est pas le seul produit agricole qui est
concerné par la décision du président américain de
subventionner l’agriculture contre les règles du commerce
international.
Ceci dit, les Américains
ne sont pas les seuls à recourir à de telles pratiques.
M. Le ministre cite entre autres filières à développer au
cours des prochaines années celles du riz, du maïs et des légumes.
Je m’appesantirait sur le riz dont la production nationale
souffre déjà depuis longtemps entre autres maux de la
concurrence du riz importé dont le riz américain subventionné
à l’exportation et bradé sur le marché national. La
question de mévente de la production nationale de riz a même
fait l’objet d’une brûlante mise en scène dans la série télévisée
VIS- A-VIS. Regardez un peu sur le marché local et vous vous
rendrez compte de la présence du riz américain.
Le consommateur
burkinabè pour diverses raisons (faiblesse du pouvoir
d’achat, meilleure qualité des produits importés) se soucie
très peu de la provenance des produits agricoles qu’il a dans
son assiette. Ce qui est dommage car ce comportement dénote
d’un manque de patriotisme.
Posons-nous la bonne
question avant d’acheter tel ou tel produit : qui est-ce que
j’enrichit ou qui est-ce que je fais vivre en achetant ce
produit ? Il est évident que si tous les Burkinabè se mettent
à consommer du riz américain ou thaïlandais pour une raison
ou pour une autre, le paysan burkinabè cesserait ou presque de
produire du riz. Ce qui le priverait naturellement d’une
source de revenu, donc le rendrait encore plus pauvre.
Aussi les grands aménagements
hydroagricoles réalisés à coup de milliards (Sourou,
Bagré) et souvent contre l’avis de certains bailleurs de
fonds ne serviraient à rien ; c’est de l’argent qu’on
aurait jeté par la fenêtre.
Alors, quelles sont
les dispositions qui sont prévues par le politique pour protéger
nos producteurs de riz, seul gage pour la promotion d’une filière
riz ?
Je dis bien protection
car il s’agit de les mettre à l’abri de la concurrence déloyale
des produits agricoles du Nord dont la quasi-totalité est
subventionnée à l’exportation vers les pays pauvres.
2)
Va-t-on ressusciter Faso Fani alors qu’on vient de
l’enterrer ?
Plus d’un lecteur
sera surpris que M. le ministre évoque le développement de
structures de filature et de confection de tissu comme pouvant
compléter la chaîne de production-transformation du coton dans
l’objectif de créer plus de valeur ajoutée pour le pays.
Quand je pense aux péripéties que l’usine Faso Fani (qui
n’était rien d’autre que la structure que M. le ministre évoque
dans sa vision) a suivi jusqu’à sa fermeture récente faute
de repreneur, je comprends très mal qu’une telle proposition
soit d’actualité de sitôt. Qui est-ce qui a donc
fondamentalement changé dans le paysage économique burkinabè
pour que l’on puisse si rapidement revenir à un tel projet ?
A quoi pense M. le ministre ?
J’ose espérer que
l’Etat ne fera pas la maladresse de créer de son propre chef
une société dans ce secteur d’activité quel que soit le
soutien financier dont il peut bénéficier et saura tirer les
leçons toutes fraîches de son expérience. D’ailleurs, la
structure (industrielle) telle que proposée par M. le ministre
n’est pas la seule alternative pour créer de la valeur ajoutée.
La promotion du Faso Danfani sous un certain régime est une
autre expérience dont on n’a pas tiré toutes les leçons. Je
ne me pencherai pas sur le mode contraignant qui a été utilisé
pour la promotion de ce produit mais plutôt sur les retombées
économiques induites par le comportement obligé, j’en
conviens, des citoyens. Il est incontestable que ce comportement
a créé des milliers d’emplois pour nos mères et sœurs dans
le domaine du tissage, de la commercialisation, de la couture,
etc. Aucune usine à l’échelle nationale ne pourra créer
autant d’emplois directs, particulièrement au profit des
femmes. Alors, si ce n’est que la manière qui a été
mauvaise comme on s’accorde majoritairement à le dire (port
sous contrainte), pourquoi ne pas procéder autrement tout
simplement ? Convaincre au lieu de contraindre !
La création
d’industries n’est pas synonyme de développement comme on
peut le croire très souvent. Il faut qu’elle soit soutenue en
amont par une production et/ou une disponibilité de matière
première et en aval par un marché sûr et solvable.
Si nous examinons le
contexte sous-régional actuel il n’est pas du tout favorable
dans le domaine du textile industriel à notre pays pour au
moins trois raisons :
* Depuis que Faso Fani
est fermé, les impressions d’étoffes spécifiques (pagnes à
motif religieux et autres) se font essentiellement en Côte
d’Ivoire. Ce pays semble avoir un avantage comparatif par
rapport au Burkina ; pour preuve, toute qualité gardée, le
prix des pagnes n’a pas augmenté après la fermeture de
l’usine Faso Fani. Visiblement, il y a plus d’expertise
ivoirienne.
* Le Mali est le
premier producteur de coton dans l’Ouest africain et le second
après l’Egypte à l’échelle du continent. Il dispose
d’un meilleur atout en terme de disponibilité de matière
première dans l’espace UEMOA.
* Enfin la densité
des usines textiles dans la sous-région ne recommande pas pour
l’instant la création d’une nouvelle unité au Burkina
Faso. En plus de la Côte d’Ivoire et du Mali que je viens de
citer, le Niger, le Ghana voisins et le grand Nigeria disposent
d’unités industrielles qui inondent notre marché de produits
de qualités variables parmi lesquels chacun peut trouver son
compte.
Alors ne faisons pas ce que tout le monde fait, mais recherchons
des solutions plus originales et viables.
3)
Quel drôle de riposte ?
Le titre de l’article m’a bien séduit plus que la substance
des propos de M. le
ministre. En rapport avec le titre de l’article, je
m’attendais à une réaction énergique à la hauteur de
l’affront que les Américains ont lancé à la communauté
internationale tout entière en bafouant les règles du commerce
international qu’ils se sont évertués à fixer pour garantir
un marché planétaire à leur production (mondialisation).
Je me rends compte à
la lecture des propos de M. le ministre qu’il ne s’agit pas
d’une riposte mais d’une simple plainte que le Burkina va déposer
avec le soutien d’autres pays auprès de l’OMC contre les
USA. Une telle plainte a-t-elle la chance d’être entendue par
les Américains ? Je dirai très peu, pour plusieurs raisons :
* La
première c’est que l’Afrique compte pour très
peu dans le commerce international (moins de 3 % si je ne
me trompe). Que représenteraient alors le Burkina et ses
supporters ? Assurément une part insignifiante alors qu’en
matière de négociations commerciales c’est le poids
commercial en terme de volume et de valeur de marchandises échangées
qui déterminent sa force de parole. Celle du Burkina sera
inaudible. Quand l’Europe a réagi à cette décision du président
américain, c’est en brandissant l’arme du boycott et de
l’augmentation des droits d’entrée de certains produits américains
sur son espace ; toute chose que les Américains redoutent.
* La
seconde est que le Burkina ne disposent d’aucune
matière première stratégique pour les USA. D’ailleurs, ce
n’est que depuis peu que les Américains s’intéressent à
l’Afrique comme partenaire commercial. On se souvient encore
de la tournée du président Bill Clinton en Afrique et de son
message qui ne souffre d’aucune ambiguïté : «trade, not aid».
* La
dernière est que l’Afrique et le Tiers-Monde
n’ont pas pu se faire entendre lors des négociations
commerciales qui ont abouti à la fixation des premières règles
de l’OMC. Ils ont plutôt été les spectateurs d’une
bataille des grands (USA/UE) ; or c’est là qu’il faut
gagner les batailles.
Que
faire donc face à une telle situation ?
Le Burkina Faso, à
l’instar de la grande majorité des pays pauvres, meuble le
paysage des institutions comme l’OMC et M. le ministre l’a
si bien illustré en déclarant : «on ne peut pas nous
pousser à adhérer et à ratifier la convention de création de
l’OMC et en un tour de main mettre près de 170 milliards de
franc de subvention dans les mains des seuls producteurs
agricoles américains». Il faut en plus de la réaction de
principe qui est toutefois légale et légitime que chaque
citoyen soit sensibilisé à avoir le bon réflexe dans son
comportement quotidien ; celui de dépenser pour la survie de la
grande majorité des burkinabè que sont les agricultures.
Rassurons-nous, au Nord c’est un réflexe de vie. Un Belge
consommera en priorité un produit belge et à défaut un
produit de substitution de l’Union européenne. Il n’achètera
un produit étranger (hors Union) que s’il n’est pas produit
sur place, donc non concurrentiel.
Si nous ne prenons
garde, nous contribuerons consciemment ou inconsciemment à tuer
notre agriculture et, par-là ses acteurs (agriculteurs) ; toute
chose qui ne déplairait pas aux pays du Nord car ils verraient
s’élargir des marchés pour absorber leurs excédents de
production.
Pour terminer mon
propos, j’invite une fois de plus les cadres et praticiens des
ministères à réagir plus souvent aux visions, décisions et
orientations politiques de nos premiers responsables car ils
n’ont ni le monopole du savoir, ni celui de la décision.
Aidons-les à rester sur le bon chemin au nom de la
responsabilité que chacun de nous porte par rapport au devenir
de ce pays.
Jean-Paul Rouamba
01 BP 3247 Ouagadougou 01