a b c B u r k i n a |
Les
formes nouvelles du colonialisme européen :
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Communication
présentée par Raoul Marc Jennar, politologue, chercheur auprès L’Accord de Cotonou est un enfant des Accords de Marrakech, ces traités fondateurs de l’OMC et des règles qu’elle administre, signés en 1994 au terme de l’Uruguay Round. On y retrouve - la même foi dogmatique dans les vertus du libre-échange, - la même confiance absolue dans l’initiative privée, - la même volonté d’affaiblir la puissance publique et de limiter la souveraineté des peuples, - la même organisation des déséquilibres Nord/Sud et - la même consolidation d’un rapport de dépendance entre pays industrialisés occidentaux et le reste du monde. Les conditions de sa négociation ont présenté, elles aussi, des similitudes fort grandes avec les conditions dans lesquelles les pays du Sud ont été contraints de participer aux négociations de l’Uruguay Round. Ce qui autorise le constat de Mme Séverine Rugumamu, professeur à l’Université de Dar es Salam : « du fait qu’elle possédait des ressources institutionnelles et économiques intrinsèquement supérieures, l’Union européenne a été clairement en mesure de peser sur l’ordre du jour de la négociation et de définir les critères de la coopération au sens où elle l’entendait.1 » Pour ceux qui considèrent un libre-échange encadré et régulé comme un des outils possibles de la croissance et du développement, mais qui refusent d’en faire dogmatiquement l’outil exclusif, l’Accord de Cotonou, c’est l’instrument par lequel l’Union européenne contraint 77 pays à se soumettre aux Accords de Marrakech. Les préférences commerciales non réciproques qui caractérisaient, de 1963 à 1995, les Accords de Yaoundé, puis de Lomé sont condamnées par l’Accord de Cotonou qui en organise le démantèlement à l’horizon de fin 2007. De même, les mécanismes de compensation du déficit des recettes d’exportation suite à la fluctuation des prix sur les marchés mondiaux, les fameux Stabex et Sysmin, créés respectivement par les Accords de Lomé I et II, sont supprimés. Enfin, les protocoles organisant des systèmes de quota avec prix garantis sur des produits de base comme la banane, le sucre, la viande bovine sont promis à terme au démantèlement. L’Accord de Cotonou, c’est d’abord la destruction des mécanismes de solidarité mis en place tout au long des 40 années écoulées. Les Européens justifient l’abandon de ces pratiques interventionnistes à la fois par le caractère décevant des résultats obtenus, par des facteurs propres aux pays ACP (guerres civiles, mauvaise gouvernance, corruption) et par la prééminence des Accords de Marrakech dans l’ordre juridique international. Cette justification ne résiste pas à l’analyse. Elle ignore a) la responsabilité directe des pays de l’Union européenne qui maintiennent un niveau élevé de protectionnisme lequel s’est traduit par une diminution de la part des pays ACP dans le total des importations de l’Union européenne ramenée de 6,7% en 19756 à 3,4% en 1998 ; b) la diminution des aides européennes passées de 0,37% du PNB en 1988 à 0,23 % en 1998 ; c) l’impact des programmes d’ajustement structurel du FMI ; d) l’impact de la charge de la dette qui inverse les flux financiers du Sud vers le Nord ; e) la détérioration continue des termes de l’échange au détriment des pays ACP. De plus, l’Europe passe totalement sous silence le rôle des Etats membres et de leurs firmes privées dans le déclenchement et l’alimentation des guerres civiles, dans les effets de la colonisation sur la gouvernance des anciennes colonies et dans l’incitation à la corruption. On montre du doigt les corrompus, mais on se tait quant aux corrupteurs. En outre, l’Europe, qui se flatte si souvent d’être le premier donateur mondial, oublie de mettre en lumière que 60 à 80 % de l’aide à destination des pays ACP reviennent dans l’Union sous la forme d’acquisition d’équipements, de services et d’honoraires somptueux versés à des experts qui en sont issus. Enfin, l’Union européenne est tout à fait malvenue de prétexter la prééminence des Accords de Marrakech puisqu’elle est un des auteurs les plus importants de ces Accords et que c’est elle qui, aujourd’hui, entend imposer leur prééminence. La finalité de l’Accord de Cotonou, c’est le remplacement de mécanismes et de politiques de solidarité par la compétition économique et commerciale. L’article 34,2 de l’Accord est limpide à cet égard quand il stipule que « le but ultime de la coopération économique et commerciale est la transition vers l’économie mondiale libéralisée. » Il eut fallu ajouter : au profit de l’Union européenne et de ses entreprises dont la Commission recopie les recommandations dans les projets de directives qu’elle prépare et dans les traités qu’elle négocie. Celle-ci met en œuvre une politique étrangère dont le contenu le plus significatif consiste à proposer, partout où elle se trouve en position de le faire, la création d’accords de libre-échange. Cette politique a été formulée dès l’entrée en vigueur des Accords de Marrakech. Dans une communication de la Commission européenne, en 1995, on pouvait lire : « les accords de libre-échange sont profitables économiquement, en particulier là où ils promeuvent sa présence dans les économies du monde en croissance rapide (…). A ces justifications économiques s’ajoutent des considérations stratégiques relatives à la nécessité de renforcer notre présence sur certains marchés et d’atténuer la menace potentielle que représentent ceux qui établissent des relations privilégiées avec des pays économiquement importants pour l’Union européenne (…) il est manifestement de notre intérêt de persuader les nouveaux pays industrialisés et les pays en développement d’entrer dans des accords de libre-échange avec l’Union européenne qui nous donnent la capacité d’encourager l’élimination des barrières douanières et la dérégulation. 2» Cette franchise, qu’on s’est bien gardé d’exprimer lors de la négociation de l’Accord de Cotonou, on la retrouve dans un document interne de la Commission, un an plus tard, à propos du futur accord de libre-échange avec l’Afrique du Sud : « L’Union européenne a beaucoup à gagner d’un accord de libre-échange avec l’Afrique du Sud. L’ouverture prochaine du marché sud-africain dans le cadre d’un tel accord créera des avantages compétitifs pour les exportateurs européens… 3» La perspective de tels profits est à l’origine de la volonté européenne d’imposer dans l’Accord de Cotonou des dispositions qui inscrivent les relations économiques et commerciales des pays ACP dans le cadre de ce qui est hypocritement appelé « Accords de Partenariat Economique » (APE). On notera l’évolution sémantique. Depuis ses commentaires de 1995-1996 sur les avantages qu’elle escompte tirer des zones de libre-échange, l’Union européenne préfère habiller son radicalisme libéral d’un langage humaniste et parler de partenariat. Ce sera sans doute, notons-le au passage avant que les historiens le confirment, l’apport original de Pascal Lamy aux politiques ultra-libérales initiées par son prédécesseur et convenons qu’il excelle dans ce double langage. L’Union européenne a donc voulu remplacer le système des préférences non réciproques par un ensemble d’accords commerciaux entre elle et des entités régionales organisées en zones de libre-échange. Elle propose à cette fin de diviser l’ensemble ACP en six zones et on ne peut s’empêcher de se poser la question : que restera-t-il du groupe ACP une fois ce travail de division effectué ? Une nouvelle fois, l’adage divide ut imperes est à l’œuvre. La Commission européenne considère que la création de telles zones économiques sera profitable en termes d’exploitation des économies d’échelle, de développement des spécialisations, d’augmentation de la compétitivité, d’attraction des investissements étrangers, d’augmentation des flux interrégionaux, d’augmentation du commerce avec l’Union et le reste du monde. Ces progrès devraient à terme favoriser des formes durables de développement économique et social. On ne peut s’empêcher de comparer ce discours avec la rhétorique libérale qu’on retrouve dans les brochures des lobbies d’affaires, de la Banque Mondiale, du FMI et de l’OMC. Une nouvelle fois, le libre échange est érigé en panacée universelle. Alors que sur chacun des gains promis ci-dessus, on peut d’ores et déjà formuler les réserves les plus grandes. Certes, la Commission a sans nul doute raison lorsqu’elle affirme que ces APE vont accroître les relations commerciales avec l’Union européenne puisque leur principal avantage est d’offrir aux entreprises européennes des espaces où elles bénéficieront pleinement des possibilités offertes par l’existence garantie dans la durée de larges marchés accessibles à des conditions préférentielles. L’unilatéralisme européen est si manifeste dans ses relations avec les pays ACP, les positions défendues par l’Union européenne à l’OMC sont à ce point éloignées des attentes exprimées par les pays en développement qu’il est devenu clair pour un grand nombre de gouvernements ACP que l’objectif réel poursuivi par l’Europe n’est pas la solidarité, mais la création d’opportunités nouvelles et durables pour les entreprises européennes. L’ouverture des marchés est le but que cherchent à atteindre les Européens lesquels manifestent une nouvelle fois leur volonté d’aller plus vite et plus loin que les Accords de l’OMC. A partir du 27 septembre de cette année vont commencer des négociations ACP-UE sur ces APE. Un grand nombre de gouvernements ACP ont exprimé des réserves sur les APE. Ces réserves viennent encore d’être formulées par M. Satiawan Gunessee, Ambassadeur de Maurice. Celui-ci insiste sur le respect, dans les APE, d’une différenciation positive qui prenne en compte la vulnérabilité des économies ACP. Il insiste également, dans des termes vraiment pathétiques, sur la nécessité du maintien d’un véritable partenariat tel qu’il était voulu par le premier accord de Lomé en 1975.4 Ce qui est central dans l’Accord de Cotonou, c’est l’alignement sur les règles de l’OMC. Il est explicitement formulé à l’article 34,4. Or, comme le rappelle très diplomatiquement l’Ambassadeur Gunessee dans le document déjà cité, les règles, les disciplines et les décisions de l’OMC ne favorisent pas toujours la réalisation des objectifs proclamés lors de la création de cette organisation, à savoir que les relations économiques doivent contribuer à l’amélioration des standards de vie, au plein emploi et à un accroissement des revenus tout en permettant une utilisation optimale des ressources compatible avec un développement durable qui protège et préserve l’environnement et prend en compte les besoins respectifs des pays au niveau de développement où ils se trouvent. Les pays ACP ne sont pas dupes. Ils ont vérifié que « les règles qui régissent le commerce international ne visent qu’à favoriser les intérêts politiques et économiques des grands acteurs de l’économie mondiale.5 » Ils ont compris que lorsque l’Union européenne parle de partenariat, elle parle d’un calendrier pour la réduction des barrières tarifaires en faveur des exportations européennes. Ils ont compris que l’Union européenne met en œuvre, avec une série de pays avec lesquels elle entretient des liens historiques de domination, un mécanisme qui lui garantisse une exécution rapide des règles de l’OMC. Les pays ACP demandent, eux, une révision des règles de l’OMC afin qu’elles cessent de leur imposer des contraintes dont s’exonèrent les pays industrialisés. Cette contradiction entre les objectifs poursuivis par les Européens et les attentes des pays ACP explique sans doute pourquoi l’Union européenne a imposé, dans l’Accord de Cotonou, les dispositions inscrites aux articles 41, 46 et 67. L’article 41 impose aux pays ACP le respect de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) géré par l’OMC Il s’agit d’un mécanisme destiné à privatiser, par étapes successives, l’ensemble des services, en ce compris les services publics. Les récentes propositions avancées par la Commission européenne relatives aux demandes de libéralisation concernant 29 pays fournissent le plus flagrant démenti aux assertions de la Commission européenne et des quinze gouvernements de l’Union sur le caractère limité des intentions européennes. Une nouvelle fois, il est manifeste que les pays industrialisés cherchent, à travers l’AGCS, à créer un marché global au profit des pourvoyeurs transnationaux privés de services. L’article 46 impose le respect de l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle en rapport avec le Commerce (ADPIC) géré par l’OMC. Il s’agit de l’instrument le plus sophistiqué du colonialisme moderne. Plus besoin de contrôler des territoires et des populations pour s’appropier leurs ressources naturelles, le brevet suffit. La double obligation contenue dans l’ADPIC – les Etats membres de l’OMC sont obligés d’adopter une législation sur les brevets conforme à l’ADPIC et obligation est faite de breveter toutes les espèces et variétés animales et végétales – fournit le cadre légal à la biopiraterie, au brevetage du vivant et à la perpétuation d’un rapport inégal entre le Nord qui détient 97% des brevets et le Sud où se trouve la biodiversité. C’est en vain que l’ensemble des pays africains ont demandé et continuent à demander la révision de l’ADPIC. Même sur la question de l’accès aux médicaments essentiels, l’Union européenne a refusé toute modification des textes, concédant seulement une interprétation flexible de ceux-ci dont la formulation retenue lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Doha n’a quasiment rien réglé. L’article 67 impose le respect des plans d’ajustement structurel du FMI dont on sait à quel point ils sont destructeurs des politiques sociales, des politiques d’éducation et des politiques de santé. L’Union européenne se transforme en gardienne vigilante des conditionnalités imposées par le FMI. Les négociations qui vont commencer et qui doivent en principe se terminer fin 2007 offrent une opportunité d’infléchir les orientations néocolonialistes de l’Accord de Cotonou. Si on se place dans une perspective favorable aux pays ACP, l’occasion leur est donnée de définir les conditions de l’intégration de ces pays dans l’économie mondiale de telle sorte que cette intégration, progressive, encadrée et équilibrée, serve à la mise en place de fondations durables pour la réduction de la pauvreté et pour le développement. Mais les Européens permettront-ils de telles considérations ? Et s’ils acceptent de les entendre, accepteront-ils de les prendre en compte ? A Doha, les Européens ont fait payer leur soutien à la dérogation que devait accorder l’OMC pour que les préférences tarifaires puissent survivre jusque fin 2007. Ce prix, ce fut l’acquièsement des pays ACP au refus des pays industrialisés de modifier les accords existants et leur accord à l’ouverture d’un nouveau cycle de négociations en vue de nouvelles avancées néo-libérales. Aussi longtemps que les peuples d’Europe seront incapables d’abolir les politiques néocoloniales soutenues par ceux qui les représentent, je crains que les peuples d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique n’aient rien à attendre de l’Europe qui aille dans le sens de leur véritable développement. 1 RUGUMAMU (Séverine M.), Le nouvel accord de partenariat entre les ACP et l’Union européenne ne résout pas tout. New York : PNUD, Coopération Sud, n°2, 2000, p. 59-73). 2 Union européenne, Communication de la Commission, SEC (95) 322 final, p.6. 3 Vers une zone de libre-échange entre l’Union européenne et l’Afrique du Sud : une évaluation. Document de travail de la Commission, 7 février 1996. 4 SATIAWAN GUNESSEE, Ambassadeur de Maurice, Non Paper on Negotiations Of Economic Partnership Agreements, 17 mai 2002. 5 voir note 1. Retour à la présentation du dossier sur l'Accord de Cotonou. Retour à la page le Burkina de A à Z |
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