a b c B u r k i n a |
Le coton, condamné à mort ! |
Face
aux producteurs américains, fortement subventionnés, De
Victoria Falls (Zimbabwe), à la mi-septembre, à Deauville (France), début
octobre, en passant par Liverpool (Grande-Bretagne), le monde du coton,
des producteurs aux filateurs, s'est beaucoup réuni, ces temps-ci. Et les
agapes auxquelles étaient invités les participants n'ont pu cacher la
situation critique de l'industrie cotonnière internationale. A Liverpool,
berceau de la filature et de la révolution industrielle, l'ambiance était
morose. Il pourrait difficilement en être autrement. Les cours du coton
sont à un niveau historiquement bas. Coup
d'accélérateur La
chute des cours s'explique par le plus simple des mécanismes économiques,
la loi de l'offre et de la demande. Il y a plus de coton produit que
demandé. Avec la nouvelle récolte, les stocks mondiaux devraient gonfler
d'un million de tonnes supplémentaires. Car malgré la crise économique
actuelle, malgré la faiblesse relative de la demande, la production est
en nette hausse. Selon les chiffres communiqués par les experts du Comité
international consultatif du coton lors de la réunion de Victoria Falls,
en septembre dernier, la production 2001/2002 devrait être en hausse de 1,7 millions de tonnes. Essentiellement en raison du coup d'accélérateur
donné par les trois principaux récoltant: les États-Unis, la Chine et
l'Inde. Mais l'Afrique n'est pas en reste. A l'occasion de la conférence
zimbabwéenne, le délégué ivoirien annonçait ainsi une progression de
la récolte en cours de 15 %. Plus de 130 000 tonnes de coton graine
devraient ainsi être produites. Cette progression n'est rien, comparée
à celle annoncée, par exemple, au Burkina Faso : + 42 % (de l'ordre de
400 000 t). Au Mali, premier producteur de la région, la progression est
encore plus impressionnante. On parle d'un doublement des chiffres. De 227
000 tonnes, on devrait passer à une production évoluant entre 500 000 et
570 000N tonnes, battant ainsi le record de la saison 1999/2000. Toute
l'Afrique de l'Ouest productrice de coton est concernée par ce mouvement.
Au total, la barre des 900 000 tonnes de coton fibre devrait être allègrement
dépassée, confirmant la région dans sa position de 5° exportateur
mondial, loin derrière les Etats-Unis, la Chine, l'Inde ou l'Ouzbékistan
qui sont les acteurs majeurs de ce marché. La
CFDT n'est plus ce qu'elle était Cependant,
avec une production que la Banque mondiale estimait dès 1996 à 15 % du
total mondial des exportations, l'Afrique de l'Ouest est loin de jouer un
rôle négligeable. C'est le fruit d'un effort mené en grande partie grâce
à la coopération française, sous la houlette de la CFDT, la Compagnie
française des textiles, récemment rebaptisée Dagris, dont les cadres
furent les piliers de ce développement. Présents des champs de coton aux
bureaux de vente, en passant par les usines d'égrenage, ces missi
dominici jouent encore un rôle important au Tchad ou au Mali. Mais la
place de la CFDT, souvent qualifié d' "Elf du coton" par les détracteurs
de la Françafrique, a été réduite par la vague de privatisations et le
démantèlement des sociétés nationales auxquels nombre de ces pays
Ouest-africains ont été contraints sous la pression de la Banque
mondiale. Pour
forcer la main des gouvernements locaux, les représentants des
institutions financières internationales ont mis en avant les mauvaises
habitudes prises par les fonctionnaires nommés à la tête des
entreprises cotonnières. La chute de la récolte malienne de coton, l'an
dernier, s'explique ainsi par la mauvaise gestion de la CMDT, la Compagnie
malienne des textiles. Les pertes engendrées ont mis la Compagnie dans
l'impossibilité de rémunérer honorablement les paysans. Furieux,
ceux-ci ont déserté les champs, provoquant une chute de la production. De même
au Bénin, le secteur cotonnier a-t-il été victime de longues années de
gestion incohérentes et de pratiques clientélistes. Ainsi, le nombre
d'usines d'égrenage construites dans le pays dépasse-t-il, et de loin,
les capacités productives du pays. Mais les pouvoirs en place ont voulu
soigner les amis plutôt que la gestion de la ressource. Pourtant, dans
le pays où il est présent, le coton représente l'une des sources de
devises et de travail essentiel. Au Bénin, c'est 75 % des recettes à
l'exportation. Au Mali, où l'or compte beaucoup, le coton ne représente
"que" la moitié des ressources en devises. Au Burkina Faso,
autre grand producteur, c'est 60 % des recettes et un bon tiers du produit
intérieur brut. L'activité
fait vivre directement deux millions de Burkinabè. Reste
à savoir si le coton Ouest-africain pourra survivre longtemps à la crise
actuelle de surproduction. Car, vu la faiblesse actuelle des cours, la
production se fait actuellement à perte. Certes une partie des récoltes
a pu être vendue par anticipation sur les marchés à terme, à des prix
supérieurs aux cours les plus faibles. Mais cela ne suffit certainement
pas à assurer la viabilité du secteur. Concurrence
des textiles synthétiques Car
celui-ci subit une double concurrence: celle des produits textiles synthétiques
dérivés du pétrole qui bénéficient, de plus, de la relative faiblesse
des cours du brut depuis le début de l'année. Ce phénomène est
d'autant plus sensible que le gros des cotons d'Afrique de l'Ouest part
vers les marchés asiatiques, où l'industrie de la filature a beaucoup
investi, ces dernières années, dans le synthétique. Contrairement à ce
qui pourrait paraître logique - la France ayant joué un rôle clef dans
le développement de ce secteur -, ces cotons ne partent pas vers
l'Europe. La raison en est simple. La filature européenne, en perdition,
se fournit d'abord auprès des producteurs locaux, la Grèce et l'Espagne,
puis en Asie centrale. Les coûts de fret sont nettement inférieurs.
L'autre concurrence, bien sûr redoutable, est américaine. Année après
année, les cotonniers américains produisent de plus en plus. La
situation de la filature américaine étant aussi relativement difficile
et la demande cotonnière intérieure en baisse, les disponibilités pour
l'exportation sont croissantes. Et la situation ne risque pas de
s'inverser, puisque les revenus des producteurs américains sont garantis
par le gouvernement fédéral. Marché
mondial inondé Selon
le Comité international consultatif du coton, à Washington, chaque livre
de coton produite aux Etats-Unis est subventionnée à hauteur de 52
cents. "Quant au coton européen, affirmait, il y a quelques
jours, Dov Zerah le président de la CFDT-Dagris, il est à hauteur de
60 cents." On ne voit évidemment pas quel pays africain pourrait
mettre sur la table de telles sommes. Un
négociant parisien voit d'ailleurs dans ces pratiques plus u'une pratique
protectionniste : une volonté politique très claire. "En
inondant le marché mondial, les Américains provoquent l'effondrement des
cours. Ils fragilisent ainsi des concurrents aux économies précaires qui
ne pourront pas très longtemps suivre le rythme."
Adopter ce raisonnement, c'est conclure que les pays
producteurs de coton d'Afrique de l'Ouest ne résisteront pas au choc et
seront obligés, à terme, d'abandonner la partie. Un point de vue partagé
par Dov Zerah, pour qui "les producteurs africains francophones
risquent... d'être rejetés de la production et du marché mondial au
profit de pays producteurs peu compétitifs mais fortement subventionnés".
Sombre perspective. Jean-Pierre
Boris dans l'autre Afrique N° 06 17-23 octobre 2001.
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