a b c B u r k i n a

Le coton, condamné à mort !

Face aux producteurs américains, fortement subventionnés,
les paysans africains sont dramatiquement démunis.
A (court) terme, ils pourraient disparaître, asphyxiés.

De Victoria Falls (Zimbabwe), à la mi-septembre, à Deauville (France), début octobre, en passant par Liverpool (Grande-Bretagne), le monde du coton, des producteurs aux filateurs, s'est beaucoup réuni, ces temps-ci. Et les agapes auxquelles étaient invités les participants n'ont pu cacher la situation critique de l'industrie cotonnière internationale. A Liverpool, berceau de la filature et de la révolution industrielle, l'ambiance était morose. Il pourrait difficilement en être autrement. Les cours du coton sont à un niveau historiquement bas.
"On a perdu 60 % depuis le début de l'année", relève un négociant français. A New York, la livre de coton ne vaut plus que 30 cents. Elle en valait 50 au début de l'année. "Il n'y a plus que 30 cents à perdre", lâche un courtier américain. Une boutade un rien cynique, qui en dit long sur le brouillard dans lequel sont plongés les multiples acteurs de la profession et sur les doutes quant aux perspectives d'un éventuel redressement.

 Coup d'accélérateur

 La chute des cours s'explique par le plus simple des mécanismes économiques, la loi de l'offre et de la demande. Il y a plus de coton produit que demandé. Avec la nouvelle récolte, les stocks mondiaux devraient gonfler d'un million de tonnes supplémentaires. Car malgré la crise économique actuelle, malgré la faiblesse relative de la demande, la production est en nette hausse. Selon les chiffres communiqués par les experts du Comité international consultatif du coton lors de la réunion de Victoria Falls, en septembre dernier, la production 2001/2002 devrait être en hausse de 1,7 millions de tonnes. Essentiellement en raison du coup d'accélérateur donné par les trois principaux récoltant: les États-Unis, la Chine et l'Inde. Mais l'Afrique n'est pas en reste. A l'occasion de la conférence zimbabwéenne, le délégué ivoirien annonçait ainsi une progression de la récolte en cours de 15 %. Plus de 130 000 tonnes de coton graine devraient ainsi être produites. Cette progression n'est rien, comparée à celle annoncée, par exemple, au Burkina Faso : + 42 % (de l'ordre de 400 000 t). Au Mali, premier producteur de la région, la progression est encore plus impressionnante. On parle d'un doublement des chiffres. De 227 000 tonnes, on devrait passer à une production évoluant entre 500 000 et 570 000N tonnes, battant ainsi le record de la saison 1999/2000.

Toute l'Afrique de l'Ouest productrice de coton est concernée par ce mouvement. Au total, la barre des 900 000 tonnes de coton fibre devrait être allègrement dépassée, confirmant la région dans sa position de 5° exportateur mondial, loin derrière les Etats-Unis, la Chine, l'Inde ou l'Ouzbékistan qui sont les acteurs majeurs de ce marché.

 

La CFDT n'est plus ce qu'elle était

 Cependant, avec une production que la Banque mondiale estimait dès 1996 à 15 % du total mondial des exportations, l'Afrique de l'Ouest est loin de jouer un rôle négligeable. C'est le fruit d'un effort mené en grande partie grâce à la coopération française, sous la houlette de la CFDT, la Compagnie française des textiles, récemment rebaptisée Dagris, dont les cadres furent les piliers de ce développement. Présents des champs de coton aux bureaux de vente, en passant par les usines d'égrenage, ces missi dominici jouent encore un rôle important au Tchad ou au Mali. Mais la place de la CFDT, souvent qualifié d' "Elf du coton" par les détracteurs de la Françafrique, a été réduite par la vague de privatisations et le démantèlement des sociétés nationales auxquels nombre de ces pays Ouest-africains ont été contraints sous la pression de la Banque mondiale.

 

Pour forcer la main des gouvernements locaux, les représentants des institutions financières internationales ont mis en avant les mauvaises habitudes prises par les fonctionnaires nommés à la tête des entreprises cotonnières. La chute de la récolte malienne de coton, l'an dernier, s'explique ainsi par la mauvaise gestion de la CMDT, la Compagnie malienne des textiles. Les pertes engendrées ont mis la Compagnie dans l'impossibilité de rémunérer honorablement les paysans. Furieux, ceux-ci ont déserté les champs, provoquant une chute de la production.

 

De même au Bénin, le secteur cotonnier a-t-il été victime de longues années de gestion incohérentes et de pratiques clientélistes. Ainsi, le nombre d'usines d'égrenage construites dans le pays dépasse-t-il, et de loin, les capacités productives du pays. Mais les pouvoirs en place ont voulu soigner les amis plutôt que la gestion de la ressource. Pourtant, dans le pays où il est présent, le coton représente l'une des sources de devises et de travail essentiel. Au Bénin, c'est 75 % des recettes à l'exportation. Au Mali, où l'or compte beaucoup, le coton ne représente "que" la moitié des ressources en devises. Au Burkina Faso, autre grand producteur, c'est 60 % des recettes et un bon tiers du produit intérieur brut.

L'activité fait vivre directement deux millions de Burkinabè.

 

Reste à savoir si le coton Ouest-africain pourra survivre longtemps à la crise actuelle de surproduction. Car, vu la faiblesse actuelle des cours, la production se fait actuellement à perte. Certes une partie des récoltes a pu être vendue par anticipation sur les marchés à terme, à des prix supérieurs aux cours les plus faibles. Mais cela ne suffit certainement pas à assurer la viabilité du secteur.

 

Concurrence des textiles synthétiques

 Car celui-ci subit une double concurrence: celle des produits textiles synthétiques dérivés du pétrole qui bénéficient, de plus, de la relative faiblesse des cours du brut depuis le début de l'année. Ce phénomène est d'autant plus sensible que le gros des cotons d'Afrique de l'Ouest part vers les marchés asiatiques, où l'industrie de la filature a beaucoup investi, ces dernières années, dans le synthétique. Contrairement à ce qui pourrait paraître logique - la France ayant joué un rôle clef dans le développement de ce secteur -, ces cotons ne partent pas vers l'Europe. La raison en est simple. La filature européenne, en perdition, se fournit d'abord auprès des producteurs locaux, la Grèce et l'Espagne, puis en Asie centrale. Les coûts de fret sont nettement inférieurs. L'autre concurrence, bien sûr redoutable, est américaine. Année après année, les cotonniers américains produisent de plus en plus. La situation de la filature américaine étant aussi relativement difficile et la demande cotonnière intérieure en baisse, les disponibilités pour l'exportation sont croissantes. Et la situation ne risque pas de s'inverser, puisque les revenus des producteurs américains sont garantis par le gouvernement fédéral.

 

Marché mondial inondé

 Selon le Comité international consultatif du coton, à Washington, chaque livre de coton produite aux Etats-Unis est subventionnée à hauteur de 52 cents. "Quant au coton européen, affirmait, il y a quelques jours, Dov Zerah le président de la CFDT-Dagris, il est à hauteur de 60 cents." On ne voit évidemment pas quel pays africain pourrait mettre sur la table de telles sommes.

 Un négociant parisien voit d'ailleurs dans ces pratiques plus u'une pratique protectionniste : une volonté politique très claire. "En inondant le marché mondial, les Américains provoquent l'effondrement des cours. Ils fragilisent ainsi des concurrents aux économies précaires qui ne pourront pas très longtemps suivre le rythme."  Adopter ce raisonnement, c'est conclure que les pays producteurs de coton d'Afrique de l'Ouest ne résisteront pas au choc et seront obligés, à terme, d'abandonner la partie. Un point de vue partagé par Dov Zerah, pour qui "les producteurs africains francophones risquent... d'être rejetés de la production et du marché mondial au profit de pays producteurs peu compétitifs mais fortement subventionnés". Sombre perspective. 

Jean-Pierre Boris dans l'autre Afrique N° 06 17-23 octobre 2001.

 

 

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