a b c B u r k i n a |
Il était une fois un homme qui habitait le village de Bonyolo. Il se nommait Bassoulou Kwal Nor (Gros-Ventre-Craint-la-faim), et sa femme Ediou. Il avait une seule femme, car il disait qu’un homme qui a plusieurs femmes finit par se coucher le ventre vide. Lui et sa femme, tous les deux très gourmands, ne supportaient pas la faim.
La femme venait d’un quartier de Réo, appelé Bananko. Ils avaient une très grande affection l’un pour l’autre, et ils étaient sans enfant. Ils pratiquaient bien la charité envers leurs proches-parents. C’est ainsi qu’ils avaient accueilli chez eux trois orphelins pour les élever.
L’aînée était une fille appelée Ekouara Guichir Kanyala (Respire-quand-tu-manges), fille de l’oncle maternel de Bassoulou; elle venait de Goumedyr. Ses parents avaient été emportés par la vilaine maladie appelée sida.
Le cadet s’appelait Baya Warpyéné Bagoro (Ne-supporte-pas-la-faim). Sa mère était morte des suites d’une jaunisse, et le paludisme avait emporté son père. Sa tante habitait Sanguié.
Le plus jeune venait du quartier Efodio. Il avait perdu ses parents au cours d’une épidémie de méningite. Il s’appelait Befo Bayen.
Bassoulou et sa femme travaillaient sans tenir compte de leur vieillesse : ils étaient de grands cultivateurs. Le mari cultivait un champ de riz dans le bas-fond de Guido, et la femme du gombo, malgré ses genoux fatigués. A la récolte elle vendait le gombo pour nourrir les orphelins.
Mais il y eut une année de sécheresse générale. Cette année-là, ils n’ont rien récolté. Les gens avaient travaillé pour rien. La population se nourrissait de fruits sauvages et de racines. Les paysans étaient tristes, découragés. Chaque jour, ils maigrissaient un peu plus. Bassoulou, lui, était en train de perdre son gros ventre. Les orphelins, en pleurs, s’accrochaient aux épaules de la vieille maman Ediou pour lui demander à manger en disant : « Maman, le tô ! Maman, le tô ! »
A cause de cette situation difficile, le vieux Bassoulou, se sent obligé d’envoyer quelqu’un chez la petite sœur de sa mère à Bessiel. Celle-ci s’appelle Génécolo – Karkar – Kyonafo (les fleurs d’oseille aigre valent mieux que rien). Il la supplie de le secourir avec un peu d’oseille, puisque celle-ci en produisait beaucoup. Et la vieille Génécolo n’hésite pas : elle lui offre tout un sac de ces fleurs; c’était celles de l’an passé qu’elle avait mises en réserve. Et Madame Bassoulou, très bonne cuisinière, fait des merveilles. Elle fait cuire ces fleurs en y ajoutant du sucre et du beurre de karité: elle assaisonne ainsi tout ce qu’elle peut trouver qui ressemble à de la nourriture. Et c’est ainsi que survit la famille.
La famine frappait toute la population et même les animaux. Le mil devenait de plus en plus cher au marché, et les commerçants en profitaient pour s’enrichir. Car le malheur des uns fait le bonheur des autres. Les plus déshérités vivaient dans la pauvreté la plus complète.
La saison nouvelle arrive. Une grande pluie tombe et l’eau ruisselle partout : rivières et marigots se remplissent. Dans les bas-fonds on n’entend plus que le croassements des crapauds.
Sans plus attendre, chacun se précipite dans son champ. Les vieillards, très fatigués, s’asseyent sur le sol pour semer. Les femmes, pagnes attachés aux reins, mine serrée, sarclent sans relâche. Les hommes travaillent avec ardeur. Les jeunes et les enfants courent de-ci de-là sous les insultes, et parfois même sous les coups de leurs parents.
Le prix du mil augmente de jour en jour. La faim secoue toutes les familles. Les vieillards se plaignent comme des enfants. Le vieux Bassoulou est encore obligé d’envoyer quelqu’un chez une de ses bienfaitrices, à Toucan, un quartier de Réo. Celle-ci s’appelle Eboh (sorgho). Car si vous vous connaissez, vous êtes tenus à partager vos peines. Aussitôt Eboh récolte une partie de son sorgho, bien qu’il ne soit pas tout à fait mûr. Elle en remplit 7 paniers et en charge ainsi 7 jeunes filles et les envoient chez Bassoulou. C’est ce sorgho qui sauve ainsi la famille de Bassoulou.
Et voilà que cette année, les pluies sont nombreuses, et se prolongent suffisamment : la récolte est très abondante. La joie éclate partout. Elle se lit maintenant sur les visages. Tous sont soulagés, et partout on entend : « Bonjour le tô ! Au revoir la faim ! » C’est ainsi que la grande famine a disparu, et que certains l’ont déjà oubliée.
Vraiment les choses ont des degrés. Maintenant les villageois se disent entre eux : « Maintenant, c’est la viande que nous allons semer, pour avoir de quoi manger notre tô ! » Mais attention ! L’année où la récolte est bonne est parfois aussi l’année où la faim n’est pas loin, si l’on ne reste pas prudent.
Le vieux Bassoulou avait une grande confiance en trois personnes. Il envoie sa fille adoptive Ekouar chez la première qui était sa tante appelée Essona Kanzié (haricot), à Goundy, pour lui dire : « Moi, Bassoulou, je crains beaucoup la faim, ma femme est gourmande et nos enfants ont bon appétit ! Eh bien ! Ecoute mes conseils : J’ai appris que ta fille Echia (petit pois) va se marier cette année, et que pour la dot vous réclamez douze tines de haricots. Je crois savoir que si vous fatiguez trop votre belle-famille, ils risquent d’avoir la famine chez eux ». Essona, en entendant cela, se met en colère, en disant : « Je ne donnerai pas ma fille cadeau. En quoi cela dérange Bassoulou ? C’est ma fille, cela se passera comme j’ai décidé. Laissez-moi gagner ma nourriture ! Si jamais je n’ai pas les douze tines, et les animaux, Echia ne se mariera pas. » Et tante Essona met facilement son mari Oyon Bayoulou (hyène) de son côté, et les douze tines sont exigées.
La belle-famille est très ennuyée : elle n’avait pas semé de haricots. Elle est obligée de vider ses greniers, et de vendre son mil à bas prix, pour acheter un peu de haricots à chaque marché. Enfin, voilà que les douze tines de haricots sont là. On y ajoute trois chèvres et on fait porter le tout chez tante Essona. Le contrat est rempli, et on leur remet leur femme Echia.
Mais nous voici au temps de la soudure. Et chez Echia et son mari, c’est encore la famine. Les mines sont serrées. Quand Echia essaie de dire à son mari qu’il n’y a plus rien à manger, il se met en colère, il gifle sa nouvelle femme et la renverse d’un coup de pied. Pan ! Ouh ! Ouh ! (les jeunes d’aujourd’hui aiment frapper leurs femmes…). Mais le mari ne s’arrête pas là : après avoir jeté tous ses bagages au dehors, il l’a répudie en disant : « D’ailleurs, c’est avec douze tines de haricots et trois chèvres que je t’ai mariée. Est-ce que tu ne le savais pas ? »
A vrai dire, il n’y avait pas d’amour sincère entre eux. Maintenant, plus de femme, et plus de nourriture dans les greniers ! Notre vieux Bassoulou n’avait-il pas averti Essono ? Pour avoir fait la sourde oreille, voilà les conséquences.
Maintenant, Bassoulou envoie son fils Befo-Bayen chez la deuxième personne de confiance : Bado Omyela (petit-mil) du quartier Sinkou, pour lui dire : « Moi, Bassoulou, je crains beaucoup la faim. Ma femme est gourmande et mes enfants sont de gros mangeurs ! Eh bien ! Ecoute : J’ai appris que tu as eu beaucoup de mil cette année, et que tu as agrandi tes greniers. Je te félicite, tu es un bon cultivateur. Mais malgré cela, si tu ne fais pas attention, la famine risque de toucher ta famille. Pour éviter ce malheur, il ne faut pas parler de funérailles cette année. »
Quand il entend cela, Omyela change de visage. Ses yeux rougissent. Levant son bâton vers le ciel, il dit : « Qu’est-ce que dit Bassoulou ? Qu’il disparaisse ! Qu’il règle d’abord le problème de son gros ventre. Qu’il ne se mêle pas des affaires des autres. Quant aux funérailles, elles seront célébrées toutes, sans exception. Ha ! Ha ! Ha ! Et il commence à écrire sur le sol en comptant le nombre de funérailles à célébrer cette année : « Il y aura celle du vieux Bali, du vieux Bati, de la vieille Egnini, sans oublier la vieille Evour décédée il y a 48 ans ! Il y en aura plus de 10 pour notre seule cour ! Si nous ne faisons pas ces funérailles, nous n’aurons jamais la paix dans la famille. Gare à celui qui dira le contraire ! » Et le même jour, Omyela convoque ses frères pour décréter le jour des funérailles.
Cette année là, chaque jour, les gens se déplaçaient de quartier en quartier, ou de village en village pour des funérailles. Il y en avait partout. Ni les griots, ni les beaux, ni les oncles n’avaient le moindre temps pour se reposer ou pour s’occuper des affaires de leur famille. Partout les villageois dansaient et buvaient, tout en respirant la poussière qui montait vers le ciel malgré eux. Et le rhume, la toux, et d’autres maladies contagieuses se répandaient. Et les funérailles vidaient tous les greniers !
Et bientôt voici que la faim fait sa réapparition. Celle-ci, surnommée « pense-à-tout » « mine-serrée » rend visite à toutes les familles. Le prix du mil augmente rapidement. Les rires sont finis. Et pourtant, le vieux Bassoulou n’avait-il pas conseillé Omyela ? Et voilà, ce que notre sage avait prévu est arrivé.
La dernière personne chez laquelle le vieux Bassoulou envoie son fils Baya Bagoro s’appelle Bassolé Oyala du quartier Essosso. C’est pour lui donner les mêmes conseils, et lui dire que lui, Bassoulou, ne supporte pas la faim, que sa femme est gourmande et que leurs enfants sont de gros mangeurs ! Et il ajoute : « J’ai appris que ton champ a bien donné et que tu parles dans les cabarets que tu vas vendre ton mil pour battre la campagne politique pour gagner le pouvoir. Je suis sûr que si tu fais cela, la famine va revenir chez toi avec autant de force que l’an dernier. Entendant cela, le vieux Oyala se met en colère. Il respire avec peine. Il sue à grosses gouttes, et sa voix tremble quand il dit : « Si on ne vote pas pour moi, pour qui va-t-on voter ? Ce Bassoulou ne connaît rien. Il croit qu’il s’agit d’un problème de gros ventre ! Va dire à Bassoulou que je ne mange pas chez lui; que je n’ai pas besoin de ses conseils. Pour qui se prend-il ? Et qu’il se méfie ! Il ne faudrait pas qu’il abuse de notre amitié pour gâter mes affaires. Qu’il fasse attention à lui ! »
Le même jour, le soir venu, le vieux Oyala fait appeler un joueur de flûte, pour faire annoncer à toute la population qu’il était candidat à la chefferie. Aussitôt, le joueur de flûte monte sur le toit de la maison, et après avoir chanté les louanges d’Oyala, il annonce que celui-ci est candidat à la chefferie.
Le lendemain matin, Oyala appelle un commerçant pour le conduire en brousse afin d’évaluer avec lui sa prochaine récolte de mil. D’un commun accord, ils l’évaluent à 150 tines. Puis ils se mettent d’accord sur le prix : 100 francs la boite appelée « Yoruba ». A leur retour des champs, le commerçant lui remet donc 120 000 francs. A partir de ce jour, le vieux Oyala n’a plus une minute à lui. Chaque jour il fait le tour de la ville pour battre sa campagne avec ses poches pleines d’argent. Il passe de cabaret en cabaret, de buvette en buvette. Il ne manque aucun marché. Le « 21 » de Réo, c’est sa fête. Il offre à chacun un peu de dolo, et même du porc au four. C’est l’occasion de manger et de boire gratuitement. Mais, en fait, tout le monde le connaît, et sait bien qui il est. Et tous le critiquent dès qu’il a le dos tourné. Quand on l’aperçoit au loin, on parle mal de lui, mais dès qu’il est proche, on se lève pour le saluer respectueusement. Quand il offre le dolo, on l’applaudit, on chante ses louanges. Mais dès qu’il s’est éloigné, ce n’est plus que des insultes. Et lui ne se rend compte de rien. Il ne voit pas que la population ne l’aime pas. Ils cherchent seulement à le ruiner.
Et c’est bien ce qui est arrivé. Il a échoué complètement aux élections. D’autres ont été élus. Dans tout le village, pour lui, c’est la honte. La famine ne tarde pas à entrer dans sa cour, avec toutes sortes de difficultés. La faim devient sa compagne de tous les jours, et la compagne de toute sa famille. Ses femmes ne supportent plus la situation et elles prennent la fuite.
Et Oyala se retrouve seul, découragé, et tourmenté . Il maigrit de jour en jour. Il est vraiment malheureux, mais personne ne le plaint.
Et pourtant, le vieux Bassoulou ne l’avait-il pas conseillé ?
Voilà ce qui est arrivé à ceux qui ont négligé les conseils du vieux
Bassoulou.
A bon entendeur, salut !
André-Jules Bassono
Ce
conte est tiré du N ° 7 de la revue Cili-n-zê
revue trimestrielle, en langue lyele.
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