« Thomas Sankara voulait faire de l'agro-écologie une politique nationale. »
Le 15 octobre dernier, je terminai ma lettre sur la dimension écologique de l'héritage de Thomas Sankara en indiquant mon intention de revenir sur cette question. Aujourd'hui, je voudrais dire que l'intérêt de Thomas Sankara pour l'agro-écologie est dûe en partie à l'influence de Pierre Rabhi, écrivain et pionnier de l’agro-écologie. Pierre en témoigne lui-même dans un film de l'association « Baraka ».
Il dit : « Quand je suis allé au Burkina Faso en 1981, ce n'était pas Thomas Sankara qui était au pouvoir. J’avais commencé à travailler sur l’agro-écologie, je l’avais proposé d'abord dans les institutions nationales et ensuite nous avons crée le centre de Gorom Gorom. C’est parce que le travail que nous faisions a beaucoup animé le pays que Sankara a souhaité une rencontre. Nous nous sommes donc rencontrés. Après ça, il nous a beaucoup soutenu sur la démarche agro-écologique. Il voulait même faire de l’agro-écologie une politique nationale. »
Voici comment Pierre Rabhi lui-même présente, en 10 points, l'agro-écologie :
« Issue d’une démarche scientifique attentive aux phénomènes biologiques, l’agro-écologie associe le développement agricole à la protection-régénération de l’environnement naturel. »
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un travail du sol qui ne bouleverse pas sa structure, son ordonnancement vital entre surface et profondeur, entre terre arable, siège de micro-organismes aérobies, et terre profonde et souvent argileuse, siège de micro-organismes anaérobies - chaque catégorie microbienne a un rôle spécifique.
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une fertilisation organique fondée sur les engrais verts et le compostage : fermentation aérobie des déchets d’origine animale et végétale et de certains minéraux non agressifs, pour la production d’un humus stable, véritable nourriture et remède pour la terre dont il améliore la structure, la capacité d’absorption, l’aération et la rétention de l’eau. Ces techniques ont l’avantage d’être totalement accessibles aux paysans les plus pauvres ;
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des traitements phytosanitaires aussi naturels que possible et utilisant des produits qui se dégradent sans dommage pour le milieu naturel, et des substances utilisées traditionnellement pour lutter contre parasites et maladies cryptogamiques (le neem, le caelcedra, le cassia amara, les cendres de bois, des graisses animales...)
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le choix judicieux des variétés les mieux adaptées aux divers territoires avec la mise en valeur des espèces traditionnelles locales : maîtrisées et reproductibles localement (animaux et végétaux) elles sont le gage d’une réelle autonomie.
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Eau : économie et usage optimum. L’irrigation peut être accessible lorsqu’on a compris l’équilibre entre terre et eau ;
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le recours à l’énergie la plus équilibrée, d’origine mécanique ou animale selon les besoins mais avec le souci d’éviter tout gaspillage ou suréquipement coûteux. La mécanisation mal maîtrisée a été à l’origine de déséquilibres économiques et écologiques parfois graves, mais aussi de dépendances (pannes, énergie combustible importée à coût élevé). Il ne s’agit pas de renoncer au progrès mais de l’adapter aux réalités au cas par cas : l’énergie humaine et animale est parfois préférable à une mécanisation mal maîtrisée, facteur de démobilisation.
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des travaux anti-érosifs de surface (diguettes, micro-barrages, digues filtrantes, etc.) pour tirer parti au maximum des eaux pluviales et combattre l’érosion des sols, les inondations et recharger les nappes phréatiques qui entretiennent puits et sources... ;
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la constitution de haies vives pour protéger les sols des vents et constituer de petits systèmes favorables au développement des plantes cultivées, au bien-être des animaux, au maintien d’une faune et d’une flore auxiliaires utiles ;
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le reboisement des surfaces disponibles et dénudées avec diversité d’espèces pour les combustibles, la pharmacopée, l’art et l’artisanat, la nourriture humaine et animale, la régénération des sols, etc...
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la réhabilitation des savoir-faire traditionnels conforme à une gestion écologique économique du milieu.
Si Pierre Rabhi, Thomas Sankara... et bien d'autres ont été des pionniers pour la promotion de l'agro-écologie, aujourd'hui il apparaît chaque jour plus clairement qu'entre l’agriculture conventionnelle (qui utilise abondamment les herbicides, les pesticides et les engrais chimiques) et l'agro-écologie (basée sur une meilleure connaissance du sol et du vivant) le bon choix, c'est le choix de l'agro-écologie.
Ils sont nombreux, à travers le monde, ceux qui ont déjà fait ce choix. Le dernier film de Marie-Monique Robin « Les moissons du futur » (avec pour sous-titre : « Comment l'agro-écologie peut nourrir le monde ») en témoigne.
Ils sont nombreux en Afrique, ils sont nombreux au Burkina Faso ceux qui ont déjà fait ce choix , mais pas encore assez !
Oui, le bon choix, c'est l'agro-écologie. Mais les tenants de l'agriculture conventionnelle n'ont pas désarmés. Il est urgent que les tenants de l'agro-écologie mettent leurs forces en commun. C'est pour cela que l'association « Terres Vivantes – Thomas Sankara » a été créée au Burkina Faso, avec pour objectifs :
- l'agro-écologie
- la souveraineté alimentaire,
- la revalorisation de la vie paysanne et de l'agriculture familiale,
- l‘adaptation à la croissance démographique et aux effets du changement climatique,
- la sauvegarde de l’environnement et des ressources naturelles.
Tous ceux qui au Burkina pratiquent déjà l'écologie ou sont intéressés peuvent contacter « Terres Vivantes – Thomas Sankara ». Ceux qui pratiquent déjà l'écologie peuvent également se faire connaître auprès du SEDELAN : Nous souhaitons faire quelques reportages sur différentes pratiques écologiques.
Kampala, le 24 novembre 2012
Maurice Oudet
Président du SEDELAN