La Table Filière Lait du Burkina ne peut pas rédoudre tous les problèmes des producteurs de lait

La  Table filière lait du Burkina vient de prendre la décision d'augmenter le prix des produits laitiers commercialisés sur Ouagadougou. A cette occasion, j'ai reçu un courrier du coordinateur de la Table filière qui souhaite que nous puissions renforcer nos liens pour une meilleure collaboration en vue de la promotion de la production locale de lait. J'y suis évidemment favorable.

Je crois savoir que l'expression "table filière" est une expression canadienne. Il s'agit de s'asseoir à la même table se concerter, de négocier. Une table filière est donc un lieu de négociation, voire de concertation comme cela est indiqué sur le logo de la Table Filière du Burkina. Ailleurs, on parle de comité interprofessionnel. Au Burkina, par exemple, nous avons le Comité interprofessionnel du riz (CIR-B).

Ce qui est étrange, au Burkina Faso, c'est qu'on a mis en place ces comités interprofessionnels  avant d'appuyer les producteurs pour qu'ils mettent en place leur propre organisation.

Pour le riz, par exemple, le CIR-B a été mis en place avant l'UNPR-B (l'Union Nationale des Producteurs de Riz du Burkina).Plus grave, on a fait croire aux producteurs de riz que le CIR-B était là pour les aider à résoudre leurs propres problèmes,alors qu'il s'agit d'un lieu de négociations. Comment peut-on imaginer qu'un gros importateurs de riz thaïlandais, à prix cassé, va aider les producteurs burkinabè de riz à améliorer leur situation, alors que leur problème n° 1, c'est justement l'importation de ce vieux riz thaïlandais qui se fait en dessous des coûts de production ?

La Table filère lait du Burkina se démarque du CIR-B en ce sens que les importateurs et les transformateurs de lait en poudre n'y ont pas leur place.


Que vient-il de se passer ?

Pour comprendre, il faut remonter quelques années en arrière. En effet, depuis des années la situation était bloquée par l'importation massive de lait en poudre à prix cassé.
Avec 200 FCFA on pouvait se procurer assez de poudre pour reconstituer un litre de lait (alors que localement, sur Ouagadougou, il faut compter 300 F pour se procurer un litre de lait local). Les transformateurs de lait en poudre vivaient confortablement, d'autant plus que les sacs de 25 kg de lait en poudre n'étaient taxé qu'à hauteur de 5 % (quand ils n'entraient pas frauduleusement !).
Aucune négociation n'était possible entre ces transformateurs et ceux qui transformaient le lait local.

La solution ne pouvait pas venir de la table filière. Il aurait fallu se tourner vers les Etats de l'UEMOA, et maintenant de la CEDEAO, pour obtenir que le lait local (et donc aussi les transformateurs de lait local) soit protégé par des taxes à l'importation sur le lait en poudre de l'ordre de 60 % (ce qu'a fait avec un certain succès le Kenya). Une partie des recettes de ces taxes auraient pu permettre de développer la production locale de lait.

Que vient-il de se passer ?

Ce que la Table filière ne pouvait pas faire seule ! Ce que les Etats de l'UEMOA et de la CEDEAO ont refusé de faire, voici que le marché mondial est en train de le faire !
Le lait en poudre arrive enfin sur le marché à des coûts proches des coûts de production. Le lait local est redevenu concurrentiel.


Du coup les transformateurs de lait  local qui étaient en difficulté depuis des années (à cause de la concurrence du lait en poudre) ont pu se mettre d'accord sur une augmentation de leurs produits laitiers. Les mini laiteries, qui ont besoin de cette augmentation pour se développer, ne peuvent qu'applaudir.

Et demain ?

Les petits éleveurs et les mini laiteries ont maintenant leur propre organisation. Ils ont compris que c'est à eux de défendre leurs intérêts et ils sont prêts à le faire, y compris au sein de la Table filière lait. Ils s'y rendront sachant qu'il s'agit là d'un lieu de concertation et de négociation. Et donc qu'ils doivent s'y rendre pour que leurs préoccupations soient entendues.


Et après-demain ?

Si le prix du lait en poudre devait continuer à augmenter rapidement, il est probable que les entreprises qui transforment uniquement le lait en poudre vont faire faillite. Ils seront en partie (avec les gouvernements de l'UEMOA) responsables de leur propre perte.
En effet, actuellement les éleveurs burkinabè ne sont pas capables de remplacer le lait en poudre par leur propre production. Il en aurait été autrement si le TEC (Tarif Extérieur Commun qui fixe les droits de douanes) avait été plus favorable à la production locale.

Remplacer les importations de lait en poudre par une augmentation forte de la production locale de lait est possible. Cela demande du temps. Cela demande surtout un environnement sain.

Il me semble que les producteurs de lait devraient demander deux choses aux gouvernements de la CEDEAO :


1. Qu'il soit mis fin à cette aberration : deux taxes différentes à l'importation pour le lait en poudre, selon qu'il est importé sous forme de sac de 25 kg ou sous forme de boite pour la consommation familiale. Tout le monde sait qu'une partie importante des sacs de 25 kg est mise en sachets et revendue ainsi au détail. Tout le monde sait aussi que ce sont ces sacs de 25 kg qui nuisent le plus à la production locale de lait.


2. Ensuite, il faut obtenir un engagement ferme des Etats de la CEDEAO qu'ils protégeront la production locale de lait en instaurant une taxe à l'importation variable en fonction du prix du marché mondial, et calculée de sorte que le prix du lait en poudre sera maintenu à l'intérieur de la CEDEAO au cours actuel, même si le prix sur le marché mondial devait baisser à nouveau. Seule cette protection peut garantir les investissements nécessaires.


Ces revendications doivent être portées devant les gouvernements de la CEDEAO par les producteurs eux-mêmes (et les transformateurs de lait local) et leurs organisations, y compris la Table filière du Burkina.


C'est aux Etats de trancher et de décider s'il veulent continuer à sacrifier les éleveurs aux profits des importateurs de lait en poudre. Aux éleveurs de défendre leurs intérêts. Et aux Organisations de la Sociétés Civiles (y compris les ligues des consommateurs) de discerner où sont leurs intérêts à long terme.

Koudougou, le 20 août 2007
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

 

P-S : Signalons, qu'en vous rendant sur la page d'accueil de www.abcburkina.net, vous trouverez de nouveaux articles relatifs aux conflits entre éleveurs et agriculteurs.

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