Aujourd'hui encore, « l'OMC tue les paysans »
En janvier 2004, j'ai publié un livre intitulé « Le poids du commerce international sur les paysans africains. J'ai dédié ce livre à Lee Kyong Hae, paysan coréen qui s'est poignardé devant le mur de sécurité entourant les réunions ministérielles de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce à Cancun, le 10 septembre 2003. Il portait un panneau sur lequel on pouvait lire « L'OMC tue les paysans ».
Ce livre était également dédié à un enfant (fils de paysans) né ce même 10 septembre au Burkina Faso, dans l'espoir que le sacrifice de Lee Kyong Hae nous aide à construire un avenir meilleur pour les filles et les fils des paysans du monde entier.
Quel bilan peut-on faire de ces dix dernières années ? A l'OMC, rien n'a changé. Aucun accord sur l'agriculture. Du côté de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest), ce n'est guère mieux. En janvier 2005, nous avons eu une lueur d'espoir : les Chefs d’États de l'Afrique de l'Ouest ont signé la politique agricole de la CEDEAO, appelée ECOWAP. Cette politique devait s'inscrire « dans le cadre d’une approche garantissant la souveraineté alimentaire de la région». Malheureusement, il n'en a rien été.
Personnellement, en 2008, j'ai espéré que la crise alimentaire allait convaincre les gouvernements africains de la nécessité de protéger leur agriculture. Mais ils ont surtout découvert que les taxes à l'importation telles que l'OMC les préconise ont pour effet d'augmenter la variabilité des produits agricoles et alimentaires. Ajouter une taxe de 35 % sur le riz importé, quand celui-ci augmente sur le marché mondial, c'est le rendre hors de prix et donc risquer de voir surgir à nouveau les émeutes de la faim. Ils n'ont pas voulu prendre ce risque.
Tout se passe comme si les gouvernements de la CEDEAO préfèrent voir leurs paysans condamnés à la pauvreté plutôt que de voir leurs populations urbaines se révolter à nouveau.
Oui, aujourd'hui encore, l'OMC condamne des centaines de millions de paysans à la pauvreté et à la misère... Elle les conduit sur le chemin de l'exil... Pourtant, il existe une solution et elle est à notre portée.
Voici plus de 10 ans que les négociations sur l'agriculture s'enlisent à l'OMC.
Exigeons un traitement spécifique de l'agriculture et le rétablissement des « prélèvements variables » pour le commerce international des produits agricoles et alimentaires (voir abc Burkina 472). Progressivement, en 5 ans, il sera alors possible d'établir des prix d'entrée qui seront supportables par les populations urbaines et qui permettront aux paysans d'obtenir des prix rémunérateurs pour leur production.
Oui, cette solution est à notre portée. Je dis cela en pensant au combat que nous avons mené pour défendre le coton africain. Le 21 novembre 2001, nous avons lancé l'« Appel commun des producteurs de coton de l'Afrique de l'Ouest ». En janvier 2002 nous avons été soutenu par Peuples Solidaires et bientôt par Oxfam-Belgique puis par Oxfam International et ENDA... Et en septembre 2003 le coton africain s'est invité avec force à Cancun.
Aujourd'hui l'objectif dépasse le cas du coton africain. C'est l'avenir de toute la politique agricole de la CEDEAO qui est en jeu, et plus largement notre combat commun en faveur de la reconnaissance de la Souveraineté alimentaire. Aujourd'hui, nos réseaux se sont renforcés. Aujourd'hui, de nombreuses ONG de solidarité internationale ont fait leur ce combat en faveur de la Souveraineté alimentaire initié à Rome en 1996 (au premier sommet mondial de l'alimentation de la FAO) par le mouvement mondial de paysans « Via Campesina ».
Mon organisation, le SEDELAN, n'a pas la capacité de fédérer toutes ces organisations... mais elle a la capacité de faire des propositions.
Voici donc notre proposition. Elle est double :
1. Profitons de la sortie du livre de Jacques Berthelot « Réguler les prix agricoles » (avec la préface de Mamadou Cissoko, Président honoraire du ROPPA – Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles d'Afrique de l'Ouest) pour demander l'introduction des « prélèvements variables » à l'OMC, comme outil de régulation des politiques commerciales agricoles. En effet, ces prélèvements variables sont seuls capables d'assurer aux agriculteurs des prix rémunérateurs et stables sans léser les populations urbaines.
2. Préparons-nous à célébrer le 10 septembre 2013, le 10ème anniversaire de la mort du paysan sud-coréen LeeKyong Hae à Cancun. Créons un événement à Genève (OMC), à Rome (FAO) et dans toutes les capitales de la CEDEAO en faveur de la reconnaissance des « prélèvements variables » à l'OMC, prémices d'un monde meilleur pour les filles et les fils des paysans du monde entier.
Koudougou, le 26 juin 2013
Maurice Oudet
Président du SEDELAN
Cette lettre fait suite à la lettre 472 dont elle est inséparable.