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Coton et environnement : les données du problème

L'importance qu'a prise la culture du coton amène logiquement à s'interroger sur ses conséquences possibles au niveau de l'environnement. Au début des années 60, la culture du coton dans les pays africains de la zone franc occupait environ 600 000 ha, principalement localisée en Afrique centrale : Tchad et Centrafrique. Les rendements agricoles ne dépassaient guère 300 kg / ha de coton graine. Aujourd'hui, les surfaces cultivées occupent plus de 2 millions d'ha, dont les 3/4 sont en Afrique de l'Ouest, et les rendements dépassent généralement la tonne. Au vu de ces chiffres on mesure l'ampleur de la progression, qu'il s'agisse d'expansion des surfaces (+3,5 % /an en moyenne) , ou de l'amélioration de la productivité (croissance du rendement de 5 % / an jusqu'à la fin des années 80 puis stabilisation). La culture cotonnière n'a pas bonne presse dans ce domaine : les consommations importantes de produits chimiques et d'eau d'irrigation sont souvent évoquées pour montrer du doigt, en Asie centrale notamment. Le coton y est présenté comme une culture "industrielle" qui serait particulièrement polluante. Dans la pratique, qu'en est-il réellement de l'impact de la culture du coton sur l'environnement dans les savanes africaines ? Y-a-t-il un danger de surexploitation des terroirs ? Existe-t-il un risque réel de pollution et doit-on remettre en cause les techniques d'intensification qui sont préconisées et appliquées ?

Les données du problème : 
place du coton dans l'espace. Intensification

Il convient d'abord de relativiser le problème. En termes d'emprise des surfaces, soulignons que les cultures vivrières sont toujours largement dominantes dans les zones cotonnières et représentent globalement 70% à 80% des surfaces cultivées. Dans les exploitations cotonnières, le coton représente rarement plus du tiers de l'assolement et il entre systématiquement en rotation avec des cultures vivrières, céréales notamment. On ne peut donc parler de " monoculture " ou d'occupation abusive de l'espace, exception faite, peut-être, de certains terroirs du Bénin ces dernières années.

Pour ce qui concerne les pratiques d'intensification , qui sont à l'origine de la croissance des rendements et de la rentabilité de ces filières, il convient de rappeler quelques réalités :

Dans un contexte de faible densité démographique où le "travail" est le facteur rare et limitant, les techniques ancestrales d'une culture extensive "minière", itinérante, sur brûlis, derrière défriche forestière ou de longues jachères, à faible productivité peuvent parfois s'avérer les plus adaptées à une agriculture pauvre, sans moyens. Ces pratiques extensives ne sont pas, pour autant, préservatrices du patrimoine foncier, loin s'en faut : les défrichements et brûlis inconsidérés ainsi que la consommation excessive d’espace rural ont des effets négatifs sur la flore, la faune, le climat, et ce pour une très faible population concernée et une production marginale. Dans les pays tropicaux, ces pratiques extensives répétées appauvrissent et stérilisent les sols. Cela se traduit notamment par la disparition des terres arables par érosion incontrôlée, comme c'est le cas en Haïti ou à Madagascar, ou par des processus d'évolution régressive des sols tels les "bowés" du Fouta Djalon en Guinée ou les sols "hardés" du Nord Cameroun.

Le seuil de densité démographique qui autorise ce type de pratiques extensives est aujourd'hui, sauf exceptions, largement dépassé et les sols n'ont donc plus le temps d'être régénérés par des jachères dont les durées se raccourcissent inéluctablement. Préconiser aujourd'hui pour l'Afrique une agriculture extensive, sans inputs et à bas rendement telle que certains économistes ont pu le recommander pour le développement du secteur cotonnier en Ouganda ("low inputs, low outputs" ) est donc une aberration. C'est ainsi que le Mali devrait consacrer au coton 1 700 000 ha en culture extensive et non 450 000 en culture intensive pour obtenir une production équivalente. Pour la plus grande partie des savanes africaines, l'intensification de l'agriculture constitue donc un impératif économique et écologique.

Coton et durabilité des systèmes de production

La culture cotonnière semi-intensive, telle qu'elle est préconisée et pratiquée en Afrique francophone, joue un rôle positif dans la durabilité des systèmes de production. Elle implique en effet :

Cette intensification n'aurait pas été possible sans la mise en œuvre d'une stratégie cohérente et suivie qui découle d'une approche bien spécifique de filière intégrée. Certains éléments de cette stratégie d'intensification apparaissent cependant plus sensibles, sur le plan de l'environnement, et doivent faire l'objet d'une attention particulière. Cela concerne principalement les problèmes de fertilisation et plus largement du maintien du potentiel productif, ainsi que la protection phytosanitaire.

a) La fertilisation

La dégradation de la fertilité des terres, en culture continue, constitue un phénomène naturel général extrêmement préoccupant. Cette dégradation est due, essentiellement, à l'épuisement progressif en éléments nutritifs, ainsi qu’au déficit du bilan organique des sols cultivés qui provoque à terme leur déstructuration physique. L'utilisation raisonnée d'engrais chimiques, d'amendements et de fumure organique, et la lutte anti-érosive permettent de produire plus et constitue la meilleure façon de protéger un sol cultivé. La mise en œuvre de ces pratiques se heurtent cependant à de fortes contraintes économiques.

La fumure minérale : elle constitue, pour l'agriculteur, le moyen le plus sûr, le plus pratique et le plus économique pour améliorer le rendement au champ mais aussi pour ralentir les phénomènes de dégradation de la fertilité des sols en culture pluviale. Combinée avec la rotation des cultures, des chaulages périodiques et des compléments de fumure organique, elle stabilise et restaure le potentiel des sols. Cette fumure, à base d'engrais chimiques, est généralisée sur la culture cotonnière et profite indirectement à l'ensemble de l'assolement par le biais de la rotation coton-céréales. Avec 400 000 tonnes distribuées annuellement par les sociétés cotonnières, ce tonnage représente 90% des engrais consommés dans les zones de savane, toutes cultures confondues. Les quantités appliquées sont néanmoins modestes, de l'ordre de 70 unités / ha d'éléments fertilisants, parfois moins.

C'est ainsi que les doses d'engrais utilisés sur coton sont insuffisantes à compenser les exportations des éléments minéraux et ne peuvent, à elles seules, reconstituer la fertilité des sols de savane. A l'échelle des zones cotonnières, les quantités sont dérisoires au regard de celles que reçoit la Bretagne, le bassin parisien et toutes les grandes régions agricoles d'Europe et qui posent réellement problème, notamment les nitrates qui polluent les nappes phréatiques. Sur le plan de l'environnement, le problème ne se situe donc pas en termes d'excès mais bien au contraire en termes de sous-consommation d'engrais minéraux. Quant aux amendements, (calcaires ou magnésiens) ils ont pour objectifs de corriger les phénomènes préoccupants d'acidification des sols observés sous culture continue.

Ils devraient être systématiquement utilisés mais leur emploi reste, hélas, tout à fait marginal, compte tenu des coûts de production, de logistique et d'épandage. Il faut souligner que si la fertilisation minérale et les amendements ralentissent les phénomènes de dégradation, ils ne les inversent pas . Ces pratiques ont en effet peu d'impact sur le taux de matière organique . La fertilisation organique, la rotation des cultures ainsi que l'ensemble des techniques de lutte anti-érosive sont des compléments indispensables au maintien de la fertilité des sols de savane. La fumure organique ne peut pas cependant constituer une alternative à la fumure minérale mais un complément, sauf rares exceptions chez les éleveurs. Bien que son emploi se développe régulièrement, cette fumure se limite encore trop souvent à l'épandage d'une "poudrette" de parc dont l'impact, sur la restauration de la fertilité, reste limité et insuffisant. Quant à la production d'un véritable fumier de ferme, elle ne progresse que lentement car elle se heurte à des contraintes trop souvent encore insurmontables pour des paysans insuffisamment équipés en moyen de transport. Il faut cependant souligner le développement régulier et très significatif de la fumure organique dans les zones cotonnières de Mali sud, qui ont permis de maintenir des rendements très satisfaisants dans les "vieilles " zones cotonnières de Koutiala et Sikasso où la pression foncière est la plus forte.

Dans la plupart des cas, qu'il s'agisse du chaulage ou de la production et du transport de matière organique, le prix du matériel agricole et en particulier des charrettes, constitue un obstacle majeur à la mise en œuvre de ces actions. La production et l'épandage, sur des parcelles éloignées, de composts, fumier, terres de parc, exigent en effet des moyens de transport attelé ou motorisé. Ils font encore cruellement défaut et restent souvent hors de portée des petits agriculteurs. Comme dans le cas des amendements, il a souvent manqué une politique active de soutien à l'équipement agricole, ainsi qu'à la mise en œuvre de pratiques conservatrices des sols.

Quant à l'érosion, qui constitue un corollaire à toute mise en culture, son impact est lié au mode de gestion du parcellaire. Sauf en Afrique centrale où des blocs de cultures regroupent plusieurs hectares d'un seul tenant, la taille des parcelles de coton est inférieure à 2 hectares dans la grande majorité des cas ; en outre, malgré une large utilisation de la culture attelée pour la préparation des sols, le maintien des arbres "utiles" (nérés, faidherbias, karités) au sein des champs, est encore la règle.

Bien que les sols africains soient particulièrement fragiles, dans un contexte de pluviométrie agressive, d’ensoleillement intense et de vents chauds et secs, on est donc loin des risques d'érosion inhérents aux grandes cultures mécanisées à outrance sur des parcelles dénudées de centaines d'hectares d’un seul tenant, en proie à l’érosion pluviale et éolienne. Néanmoins, le système de culture pure associée à la préparation des terres à la charrue augmentent les risques d'érosion pluviale. A cet égard, il faut souligner l'évolution récente des itinéraires techniques vulgarisés dans certains terroirs cotonniers, notamment au Cameroun, associant les techniques d'herbicidage et les semis directs sans labour, techniques qui limitent les risques d'érosion par le maintien d’un paillis d’herbes grillées protecteur du sol, et permettent la mise en place de semis précoce, facteur primordial de rendement.

Diverses techniques de lutte anti-érosive sont également mises en œuvre avec un certain succès dans les zones cotonnières du Mali et du Cameroun. Mais leur vulgarisation à grande échelle exigent des contributions financières importantes qui font défaut. Ces investissements à long terme sont en effet rarement prioritaires, que ce soit au niveau des agriculteurs, des États ou des bailleurs de fonds.

b) La protection phytosanitaire

La protection phytosanitaire par voie chimique constitue une contrainte forte en matière d'environnement. L'incidence du parasitisme sur la culture cotonnière en climat tropical est telle que la lutte chimique reste un passage obligé. En effet, les "savoirs paysans" ancestraux, relativement efficaces dans le domaine de la protection des grains au stockage, sont impuissants face aux attaques parasitaires dans les champs. Or la pression des ravageurs augmente naturellement avec l’extension des surfaces cultivées en coton, maïs et cultures maraîchères de contre saison.

Soyons clair : sans protection phytosanitaire chimique, il n'y a pas place, aujourd'hui, pour une production cotonnière rentable en Afrique. Mais cette protection chimique doit être contrôlée, maîtrisée. On peut constater qu'à ce jour, en Afrique francophone, le protection phytosanitaire a été réalisé avec un ratio coût - efficacité satisfaisant pour les producteurs. Les consommations d'insecticides non seulement n'ont pas augmenté, mais encore ont été progressivement réduites. Les quantités de matières actives utilisées sont parmi les plus faibles de la culture cotonnière, et le choix judicieux, en étroite collaboration avec la recherche, des matières actives et des associations de familles chimiques a permis de retarder l'apparition de résistances des ravageurs aux insecticides.

Il est vrai que le contrôle, par les sociétés cotonnières, des approvisionnement en insecticides a empêché la prolifération des revendeurs de produits souvent douteux et la sur-consommation des pesticides. On citera, pour mémoire, les contre-exemple des pays d'Amérique centrale ou de la Thaïlande, champions toutes catégories des consommations de pesticides. Ces pays ont vu leurs productions de coton s'effondrer en raison des surconsommations d'insecticides et des résistances des insectes qui s'en suivent.

Une libéralisation sauvage du système de distribution des pesticides pour le coton serait lourde de conséquences. Nul ne se fait en effet d’illusions sur la capacité des pouvoirs publics à contrôler l’importation et la distribution, par des commerçants et intermédiaires n'ayant d'autres objectifs qu'un profit immédiat, de produits toxiques de qualité douteuse ou prohibés. Le surcroît de réglementation généralement préconisé pour faire face à ces inévitables dérives ne présente sur ce point aucune garantie ; la preuve en est administrée à grande échelle dans les pays voisins du Nigeria qui sont inondés de produits pharmaceutiques plus que douteux, comme ces cocktails d’antibiotiques dont l’utilisation croissante et totalement incontrôlée va conduire à des catastrophes sanitaires.

Ces risques de résistances des ravageurs aux insecticides se précisent néanmoins en Afrique de l'Ouest, et sont souvent liés à l'extension des périmètres maraîchers péri-urbains où les cultures sont traitées, sans contrôle, à outrance. Aussi de nouveaux modes opératoires sont vulgarisés sur le coton. Ils devraient permettre la mise en place progressive d'une lutte intégrée plus ciblée et plus respectueuse de l'environnement et prévenir le développement des résistances. Cette stratégie implique une parfaite coordination entre les organisations de producteurs, les fournisseurs de produits, la recherche et les sociétés cotonnières, comme cela s’est mis en place rapidement et efficacement en 1998/99 en Afrique de l’Ouest avec le Projet régional de prévention des résistances.

Conclusions

Quel bilan de la culture cotonnière en Afrique francophone peut-on donc tirer sur le plan de l'environnement ? On peut considérer que la stratégie mise en œuvre dans les filières cotonnières a permis, jusqu'alors, un développement rapide et néanmoins relativement équilibré de la production, surtout si l'on compare les résultats à ceux des autres cultures de rente de ces mêmes régions (arachide, riz pluvial, igname), ou à d'autres filières cotonnières dans d'autres pays en voie de développement.

Elle a notamment contribué à maintenir les nuisances imputables à la protection phytosanitaire à un niveau économiquement et écologiquement supportable et a contribué à ralentir de façon significative voire à stopper les phénomènes de dégradation des sols. Les mesures prises sur la culture cotonnière sont nécessaires ; elles ne sont pas suffisantes cependant pour garantir la durabilité des systèmes de production dans les zones de savane. Pouvoirs publics et organismes de développement devraient s'attacher à mettre en œuvre des programmes visant :

Le moins qu’on puisse dire est que l’on perçoit mal la prise en considération des impératifs de développement durable dans cette politique agricole. Il ne faudrait pas en effet s’illusionner de façon excessive sur la résolution des problèmes de production, de revenus agricoles et d’environnement, que ce soit pour la culture cotonnière ou les productions vivrières, sous le seul angle de solutions techniques "pointues". Elles seront en outre de plus en plus difficiles à mettre en œuvre dans un environnement déstructuré qui laissera sur la touche les petits producteurs, c’est à dire 90% des paysans africains, qui auront bien du mal à concilier production accrue et préservation de l’environnement, laissés à eux mêmes ou aux "conseils techniques" d’entrepreneurs de labours motorisés à disques et des vendeurs de pesticides.


Par François BEROUD, Ingénieur agronome

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